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Accusé d'être le candidat du privilège blanc, Beto O'Rourke divise les Démocrates

Temps de lecture : 6 min

Selon les points de vue, Beto O'Rourke est un candidat narcissique et sans idées qui ferait mieux de laisser sa place ou un leader authentique et rassembleur qui pourrait l’emporter contre Trump.

Le candidat Beto O'Rourke en campagne dans l'Iowa, le 15 mars 2019 | Chip Somodevilla / AFP
Le candidat Beto O'Rourke en campagne dans l'Iowa, le 15 mars 2019 | Chip Somodevilla / AFP

La veille de l'annonce de la candidature de Beto O'Rourke à l'élection présidentielle américaine de 2020, il faisait la une du magazine Vanity Fair.

Sur la photo, prise par la célèbre photographe Annie Leibovitz, Beto, un ancien représentant du Texas à la Chambre des représentants, a les mains dans les poches arrière de son jean et pose à côté de sa voiture et de son chien dans un paysage aride typiquement texan. Ses cheveux sont grisonnants et un peu décoiffés, et la citation choisie en première page est un défi qu'il se lance: «Je veux en faire partie. Mec, je suis né pour ça.»

Deux bourdes et des excuses

«Ça», c'est le combat pour la présidentielle. Devant une foule de jeunes de l'université du Texas à El Paso, sa ville natale, O'Rourke, 46 ans, avait comparé la lutte contre la réélection de Donald Trump à «tous les films épiques que vous avez vus, de La guerre des étoiles au Seigneur des Anneaux».

Le 14 mars 2019, il a annoncé sa campagne avec une vidéo dans laquelle il évoque quelques objectifs –investir dans la «dignité des gens qui travaillent et de ceux qui cherchent du travail», assurer l'accès aux soins médicaux, considérer l'immigration comme une chance, lutter contre le réchauffement climatique… Assise à côté de lui sur leur canapé, sa femme Amy sourit et le regarde sans dire un mot –ce qui a valu à la mise en scène d'être taxée de rétrograde.

Quelques jours plus tard en Iowa, une plaisanterie sur sa vie de famille est également mal passée: «Je viens d'avoir ma femme Amy au téléphone. Elle est chez nous à El Paso au Texas, où elle élève –parfois avec mon aide– Ulysse, qui a 12 ans, Molly, 10 ans, et leur petit frère Henry, 8 ans.»

O'Rourke voulait souligner que sa femme en faisait plus que lui, mais la remarque a été jugée sexiste et il s'en est excusé. «Je ferai désormais plus attention à la facon dont je parle de notre couple, et aussi à la façon dont je reconnais les critiques, justifiées, selon lesquelles j'ai bénéficié du privilège blanc», a-t-il déclaré.

Très critiqué pour sa une de Vanity Fair, Beto a également précisé qu'il ne voulait pas dire qu'il était «né pour» être président, mais plutôt qu'il était né pour servir son pays et se battre pour lui.

«Un exercice de vanité»

À plusieurs reprises, le politicien a tenté de corriger l'image qui lui colle à la peau, celle d'un homme blanc privilégié (son père était juge du comté d'El Paso, son beau père est multimillionnaire) –une position problématique à un moment où beaucoup de Démocrates pensent qu'il est temps pour une femme ou un candidat hispanique ou afro-américain d'être désigné par le parti.

Sur la chaîne NBC, Beto a expliqué qu'une grande partie de sa campagne consisterait à reconnaître son privilège et à faire en sorte de créer «des opportunités et des possibilités d'avancement pour tout le monde».

L'ancien maire de New York Michael Bloomberg s'est moqué de ces contritions: «Il a dû s'excuser d'être né», a-t-il résumé.

Toujours est-il que la tournée d'excuses de Beto n'a pas empêché la publication de nombreux articles accusant sa campagne de n'être qu'«un exercice de vanité». Une chroniqueuse du Guardian a décrit Beto comme le «summum de la confiance en soi du mâle blanc médiocre», tandis qu'un journaliste de The New Republic a évoqué la «profonde vacuité» du candidat.

Le charisme sans le projet

L'un des problèmes de sa candidature est qu'alors que plusieurs autres Démocrates qui se présentent (quatorze en tout) se définissent surtout par leurs idées, Beto O'Rourke est en premier lieu connu pour sa personnalité et pour l'enthousiasme qu'il a suscité lors de sa campagne –infructueuse– pour l'élection sénatoriale de 2018 au Texas.

Son énergie, son charisme et son centrisme sont souvent comparés à ceux de Barack Obama et Beto vient d'ailleurs d'embaucher une ex-conseillère de l'ancien président en tant que directrice de campagne.

O'Rourke admet qu'il ne sait pas encore tout à fait où il en est au niveau de ses propositions. Pendant ses trois mandats à la Chambre des représentants, il ne s'est pas fait remarquer pour un projet législatif particulier. Il a en revanche la capacité de décrire ses discours comme des expériences quasi-mystiques: «Chaque mot sortait de moi comme s'il était guidé par une force supérieure. Cette force, c'était les gens qui étaient là.»

Beto O'Rourke à Austin, au Texas, le 4 novembre 2018 | Suzanne Cordeiro / AFP

De son côté, la candidate et sénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren a entre autres proposé de démanteler le monopole d'Amazon, Facebook et Google et d'augmenter les impôts sur les plus riches pour créer un système de crèches abordables. À chaque fois, elle a publié des plans détaillés.

La sénatrice de Californie Kamala Harris a quant à elle un projet pour revaloriser les salaires des profs des écoles publiques, et Bernie Sanders parle, comme en 2016, d'universités gratuites et d'Assurance-maladie universelle.

Le flou du programme de Beto O'Rourke ne l'a pas empêché de récolter un montant record de donations individuelles: 6,1 millions de dollars [environ 5,4 millions d'euros] dans les vingt-quatre heures qui ont suivi l'annonce de sa candidature. La deuxième place revient à Bernie Sanders, qui a levé 5,9 millions [près de 5,3 millions d'euros], et avec 1,5 million de dollars [1,3 million d'euros], Kamala Harris complète le podium.

Sarcasmes en ligne

Plus que son message, c'est la façon de communiquer de Beto qui a attiré l'attention. Depuis le début de sa campagne, il fait ses discours dans des lieux intimistes –des bars, des restaurants à tacos, des cafés, des parkings– et n'hésite pas à monter sur des comptoirs, des tables, des chaises ou des voitures pour mieux parler à son auditoire, à grand renfort de mouvements de bras.

Contrairement aux autres Démocrates dans la course, Beto, dont le vrai prénom est Robert, est actuellement sans emploi, ce qui lui offre beaucoup de temps pour sillonner le pays dans sa voiture.

Skateur occasionnel et ancien membre à la fois d'un groupe de punk-rock et d'un collectif de hackers, O'Rourke a ce côté cool qui fascine autant qu'il horripile. Après sa campagne contre Ted Cruz en 2018, il s'est mis à bloguer sur le site Medium, notamment pour parler de son coup de blues post-défaite –des billets dont la presse s'est beaucoup moquée.

Beaucoup journalistes ont néanmoins précisé que le sarcasme dont Beto fait l'objet sur Twitter ne se retrouvait pas sur le terrain. Après avoir écouté ses discours dans l'Iowa, le New Hampshire ou le Nevada, de nombreuses personnes ont dit avoir été impressionnées par l'authenticité, l'humilité et l'optimisme du candidat.

Même s'il est encore un peu tôt pour que les sondages sur la primaire démocrate aient un véritable sens, il faut ajouter que Beto est pour l'instant en troisième place (12%), derrière Bernie Sanders (19%) et Joe Biden (29%), qui ne s'est même pas présenté –et est accusé de gestes déplacés par plusieurs femmes. Elizabeth Warren, dont les propositions sont les plus novatrices et détaillées, n'est qu'à 4%.

La question reste de savoir si pour gagner en 2020, les Démocrates ont besoin d'un ou une candidate qui aurait un discours de lutte contre les inégalités plus offensif –la popularité de Bernie Sanders et de la jeune élue Alexandria Ocasio-Cortez semble montrer que le virage à gauche peut payer– ou d'un pragmatique plus centriste comme Beto O'Rourke, avec l'idée qu'il pourrait remporter les grands électeurs du Texas.

La personne qui remportera la nomination du Parti démocrate devra parvenir à mobiliser la classe ouvrière blanche et afro-américaine d'États comme l'Ohio et le Wisconsin, où Trump a obtenu une majorité des voix en 2016. Dans ces conditions, il n'est pas évident qu'un candidat punk-rock optimiste posant pour Vanity Fair soit le plus à même de convaincre.

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