Monde

La machine à laver, une pilule qui ne passe pas pour l'Osservatore Romano

Temps de lecture : 4 min

Nouvelles illustrations du divorce entre les conservateurs de l'Eglise et les femmes.

Machine à laver, Tangi Bertin, CC (Creative Commons) /FLICKR

Le nouveau patron de l'Osservatore Romano, Gian-Maria Vian, historien cultivé et distingué, très francophile, nommé en 2006 par Benoît XVI, veut faire du quotidien du Vatican, écrasé par son image vieillote et conservatrice, un outil de communication libre et moderne. Il y réussit au delà de toute mesure, dans un article à l'humour très spécial qu'il a publié dans son édition du 8 mars, confiée pour la journée de la femme à une journaliste italienne, Guilia Galeotti. Pour celle-ci, la... machine à laver serait le nec plus ultra de la libération de la femme, en quelque sorte son septième ciel, comme elle l'explique sans rire.

Mesdames, n'allez pas chercher d'autre moyen d'émancipation supérieur au lave-linge! Poétique était le lavoir où les femmes du village faisaient la conversation, mais contraignante était la corvée de linge. Si elle a disparu en Occident, elle demeure en Afrique. L'inventeur de la machine à laver (en 1767), un théologien allemand du nom de Jacob Christian Schäffer, est donc un bienfaiteur de l'humanité. «Mets la lessive, ferme le couvercle et détends-toi »: son premier mode d'emploi n'était-il pas prophétique, interroge Guilia Galeotti? Et la célèbre féministe américaine Betty Friedan n'a t-elle pas chanté «la sublime mystique de pouvoir changer les draps deux fois par semaine au lieu d'une»? «Au début, les machines étaient très encombrantes, explique sérieusement l'auteur de l'article. Mais la technologie a mis au point des modèles plus stables, légers et efficaces». Ainsi a pu se construire «l'image de la super-femme au foyer, souriante, maquillée et radieuse parmi les appareils électroménagers de sa maison», écrit l'Osservatore Romano, dans un style qui a dû faire frémir plus d'un cardinal, dans les bureaux austères et machistes de la Curie.

Humour volontaire ou pas? En tout cas, Giulia Galeotti dérape carrément quand elle écrit qu'au XXème siècle, c'est la machine à laver qui a libéré la femme. «Certains disent que c'est la pilule, d'autres la libéralisation de l'avortement, ou encore le fait de travailler hors du foyer. En réalité, c'est la machine à laver». Toutes les femmes le savent, ajoute t-elle. La machine à laver vient même d'être célébrée par l'Anglaise Kate Bush dans une chanson où elle décrit les rêveries de «Mrs Bartolozzi» - son titre - en regardant tourner son linge.

Giulia Galeotti n'est pas docteur de l'Eglise. Son libre propos n'engage pas le Vatican, mais il fait des ravages dans les milieux féministes, sur les sites et blogs du monde entier. Dans la même livraison de l'Osservatore Romano, l'éditorialiste Lucetta Scaraffia, se prévalant de l'autorité de la philosophe française Sylviane Agacinski, épouse de Lionel Jospin, s'efforce de convaincre son lecteur que l'Eglise a historiquement joué un rôle capital dans la marche pour l'égalité des femmes. Elle a lutté contre leur mariage forcé, institué leur libre consentement. L'Eglise, plaide t-elle, est pour l'égalité, dans la différence des sexes.

Certes, mais comment ignorer la méfiance qui inspire encore tant de textes de l'Eglise, de décisions, de règles de fonctionnement, la composition même de sa hiérarchie? «Où est donc ici la moitié de l'humanité?», tonnait le cardinal Suenens, archevêque progressiste de Bruxelles, lors du concile Vatican II (1962-1965), quand 2.500 hommes - pape, cardinaux, évêques - décidaient seuls, sans une femme, du sort de leur Eglise. En 1994, le pape Jean Paul II transformait en dogme la pratique selon laquelle tous les ministères ordonnés de l'Eglise catholique (épiscopat, sacerdoce, diaconat) étaient «exclusivement et définitivement réservé aux hommes». Exit le sacerdoce féminin que les anglicans et les protestants ont introduit; exit même le diaconat féminin qui existait pourtant dans les communautés chrétiennes des origines.

Macho de l'année

L'humour noir de l'Osservatore Romano n'a d'égal que celui de l'archevêque de Paris, le cardinal André Vingt-Trois, à qui les Chiennes de garde, à l'occasion de la Journée de la femme, viennent d'attribuer le titre de «macho de l'année». Le 6 novembre, sur les ondes de Radio Notre-Dame, à propos du rôle des femmes dans la célébration des offices, il avait déclenché une belle polémique en affirmant: «Le plus difficile, c'est d'avoir des femmes qui soient formées. Le tout n'est pas d'avoir une jupe, c'est d'avoir quelque chose dans la tête». Furieuses, des théologiennes catholiques s'étaient instituées en «tribunal de la jupe» pour le juger. Depuis, l'archevêque de Paris a demandé pardon pour ce propos «blessant», mais le mal était fait.

Le scandale Sobrinho

Beaucoup plus grave — et cette fois l'envie de sourire manque et fait place au cri scandalisé — est la décision prise par un certain José Cardoso Sobrinho, archevêque de Recife, dans le Nordeste pauvre du Brésil, d'excommunier la mère responsable d'une fillette de 9 ans qui, enceinte de jumeaux après avoir été violée par son beau-père, avait avorté. La grossesse de la fillette, cadette d'une sœur déjà handicapée, mettait sa vie en danger. Toute l'équipe médicale a été excommuniée avec elle.

La polémique est telle au Brésil que le président catholique Luiz Inacio Lula da Silva est intervenu pour «déplorer profondément» cette mesure de l'archevêque de Recife, successeur de Dom Helder Camara, qui fut l'une des plus belles figures progressistes de l'Eglise catholique des dernières décennies, nommé à sa place par rétorsion. Il s'est même trouvé un cardinal de la Curie romaine, et l'un des plus importants, Giovanni-Battista Ré, préfet de la congrégation des évêques, pour approuver, dans La Stampa du 7 mars, une telle excommunication.

En France, le quotidien catholique «La Croix» s'est révolté. «Il arrive que des enfants naissent de viols et redire leur dignité n'est pas incongru, écrit le 8 mars sa directrice, Dominique Quinio. Mais en l'occurrence, une autre vie est en jeu, tout aussi fragile, celle d'une fillette déjà si douloureusement blessée. Sa vie à elle ne doit-elle pas être protégée? Faut-il en rajouter en condamnant sa mère, ses médecins? Faut-il punir les femmes pour les crimes des hommes? Excommunication, un mot que l'on entend décidément trop en ce moment», conclut l'éditorialiste de La Croix. Bel exemple d'indépendance.

Henri Tincq

Crédit photo : Machine à laver, Tangi Bertin, CC (Creative Commons) /FLICKR
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