«Les femmes savent-elles que le sport peut parfois causer des problèmes tels que les fuites urinaires?» interrogeait Lucie Mouly dans sa thèse, soutenue en 2013, pour le diplôme de docteur en médecine. Pas forcément. Parmi les coureuses du marathon de Toulouse que cette généraliste a interrogées à la fin de ses études de médecine, dont 30,8% avaient des pertes involontaires d’urine, seules 11,3% estimaient que l’incontinence était un problème lié à la course à pied et au sport et 13,1% affirmaient que c’était un problème qui touchait les sportives et les femmes. Tandis que 3% de ces sportives âgées en moyenne de 41 ans ne connaissaient pas le lien entre incontinence urinaire et sport, 5,2% pensaient que c’était un problème uniquement lié à l’accouchement et 2,9% considéraient que les fuites était une fatalité liée à l’âge. Pourtant, ces fuites ne touchent pas que les femmes âgées ou venant d’accoucher. Elles concernent aussi les femmes jeunes et nullipares. La preuve: 23,3% des coureuses qui n’avaient pas eu d’enfant étaient incontinentes.
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L'activité sportive, un facteur de risque
Ce problème peut survenir dès l’adolescence. En 2005, la médecin de l’Éducation nationale Marianne Lenoir a ainsi interrogé quatre-vingt-trois élèves filles en classe de 5e et quarante-trois jeunes filles de 3e; parmi les collégiennes interrogées, 9,5% «avouent avoir des fuites urinaires», notamment «en faisant du basket ou du saut en hauteur», «en sport et surtout dans les sports où on saute beaucoup». Soit majoritairement pendant les cours d’éducation physique et sportive (EPS). Dans son ouvrage Féminité et muscles cachés, la kinésithérapeute Régine Coussé Henker indique également que ces pertes urinaires involontaires commencent dans 8,5% des cas entre 16 et 20 ans lors des cours d’EPS. Signe que la pratique sportive est révélatrice de ce phénomène, comme le confirme la kinésithérapeute Marina Cremel, spécialisée en rééducation périnéale: «Certaines patientes consultent car elles s’aperçoivent qu’elles sont gênées dans la pratique de sport par des fuites qui arrivent uniquement lorsqu’elles font des efforts.» Mais pas seulement: l’activité physique régulière peut, lorsqu’elle n’est pas bien pratiquée et parce que l’«on apprend très peu ce qu’il y a dans cette région pelvienne», déplore la sage-femme Corinne Audinet Husson, être à l’origine même de cette pathologie. Bien que bénéfique pour la santé, «la pratique du sport ne protège pas de l’incontinence urinaire, tout particulièrement d’effort, et peut en être pourvoyeuse», expose le gynécologue Ruben Lousquy dans son mémoire pour le diplôme d’urodynamique.
La Haute Autorité de santé (HAS) a ainsi identifié l’activité physique intense comme un facteur de risque de survenue de cette affection. «Pas besoin de faire du sport de haut niveau» pour être concernée, glisse le docteur, également co-auteur de l’article «Incontinence urinaire chez la femme sportive»: «Les femmes dans les salles de sport qui font un peu de fitness, de body attack ou de body bump, peuvent être gênées.» Encore une fois, l’injonction à être fine et musclée fait des ravages, d’autant que l’on ne tient pas assez compte des spécificités physiologiques féminines.
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Pression abdominale sur le périnée
Tout est une question de pression, au sens figuré… et au sens propre. «L’incontinence urinaire d’effort survient lorsque la pression vésicale dépasse les capacités sphinctériennes au cours d’un effort, en dehors de toute contraction vésicale», décrit Ruben Lousquy dans ce mémoire d’urodynamique. Et de toute envie d’uriner. Les efforts, comme un saut, un démarrage rapide ou un smatch au tennis, vont augmenter la pression abdominale verticale exercée sur le périnée, laquelle vient alors faire pression sur la vessie. Le problème, c’est lorsque le périnée n’est pas suffisamment tonique pour pouvoir résister à cette pression, qui va alors se répercuter sur la vessie, ce qui provoque des fuites inopportunes, et ce, sans même que la vessie soit pleine. Car «l’urètre ne s’adapte pas au changement de pression et on assiste à des fuites en jets, ça fait “pschitt” en quelque sorte, détaille Corinne Audinet Husson, la sage-femme spécialiste de rééducation périnéale. Si on contracte le périnée, on peut limiter les dégâts à quelques gouttes; ce ne sera pas une miction complète.»
Les femmes vont donc avoir des mini-fuites lorsqu’elles pratiquent «des sports à impacts comme la course à pied, très à la mode et très pratiquée», dépeint Marina Cremel, qui reçoit «beaucoup de patientes qui font les courses populaires, comme la Parisienne notamment». Autres sports pendant lesquels des gouttes d’urine peuvent s’écouler involontairement: «tous les sports d’impact, les cours collectifs féminins, comme la gym suédoise ou la zumba, le trampoline, la corde à sauter, le crossfit, mais aussi les sports à trop grande hyperpression abdominale comme la pratique excessive des abdominaux type crunch, ou les ports d’altères très lourdes par exemple.»
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Déséquilibre au plancher
Ces efforts sportifs ne sont pas juste un déclencheur indirect des fuites. Certes, ajoute la kinésithérapeute, «on a toutes une qualité tissulaire différente: certaines femmes ont un périnée plus faible, plus fragile de base». Mais, comme le pointe la généraliste Lucie Mouly dans sa thèse, «l’activité sportive intense ne muscle pas le plancher pelvien», qui comprend le muscle du périnée ainsi que le muscle compresseur de l’urètre et le sphincter. Pire: «certains sports favorisent l’étirement et l’affaiblissement du périnée par l’augmentation répétée de la pression intra-abdominale», poursuit la médecin. Sans compter qu’«un renforcement musculaire inadéquat des muscles abdominaux» peut diriger cette pression abdominale directement «vers la fente vulvaire».
«Les exercices abdominaux dits classique (crunch, ciseaux, pédalages), que l’on voit partout dans les salles de fitness et dans les magazines, sont délétères pour le périnée féminin.»
En gros, on aboutit à «un déséquilibre entre une sangle abdominale trop puissante et un plancher périnéal insuffisamment musclé», détaille par écrit le gynécologue. Ainsi, «les sportives ont tendance à avoir un abdomen hypertonique, c’est-à-dire toujours en tension, sans relâchement possible», observe Marina Cremel. Alors qu’«un abdomen doit être compétent, savoir se contracter mais savoir aussi se relâcher pour bien gérer la gestion des pressions lors des efforts». Il faut dire que l’injonction du ventre plat n’aide pas. «Les gens ont l’impression qu’il faut avoir mal ou beaucoup transpirer pour que le travail abdominal soit efficace. Sans parler de l’obsession des carrés de chocolat, qui consiste en un renforcement des abdos uniquement superficiels (grands droits de l’abdomen) et crée un déséquilibre avec les abdos profonds ou transverses, décrie-t-elle. Les exercices abdominaux dits classique (crunch, ciseaux, pédalages), que l’on voit partout dans les salles de fitness et dans les magazines, sont délétères pour le périnée féminin.» Ils exercent trop de pression abdominale et vont donc opérer «des pressions répétées sur un périnée qui ne peut pas supporter autant».
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Rires en fuite
On pourrait se dire que quelques gouttes d’urine, ce n’est pas si grave. D’autant que toutes les femmes ne s’en rendent pas forcément compte: ainsi, une enquête menée sur les participantes aux courses en marge du marathon Provence-Luberon en 2009 a montré que près d’une coureuse sur deux déclarant ne pas avoir de fuites en avait. Et puis leur échappée survient seulement lorsqu’un effort est réalisé. Mais encore faut-il savoir ce que recoupe la dénomination «effort». Pas seulement un geste sportif.
Le rapport sur le thème de l’incontinence urinaire établi à la demande du ministère de la Santé et des Solidarités reconnaît que c’est un «handicap».
Dans le cas des coureuses étudiées par la docteure Lucie Mouly, 62,7% des femmes incontinentes perdent lors de la toux, de l’éternuement ou du rire. Idem pour les collégiennes suivies par la médecin de l’Éducation nationale: elles disent qu’il leur arrive d’avoir des fuites «en toussant en classe», «en bougeant ou en riant», «quand je rigole beaucoup». Sans compter que cela peut aussi impacter la vie sexuelle, les femmes pouvant avoir des fuites dites d’effort pendant l’orgasme, rappelle Corinne Audinet Husson, qui est aussi sexologue. Pas pour rien que le rapport sur le thème de l’incontinence urinaire établi à la demande du ministère de la Santé et des Solidarités reconnaît que c’est un «handicap».
C’est ainsi que l’incontinence urinaire, par la gêne qu’elle entraîne pendant et en dehors de l’activité physique, peut être «un frein à la pratique sportive», abonde Lucie Mouly dans sa thèse. De nombreuses études ont démontré que les femmes peuvent éviter les activités sportives pour limiter les fuites. Ou développer des stratégies pour les «gérer» –bonjour la charge mentale. Dans le cas des participantes au marathon de Toulouse 2012, 23,7% portent des serviettes de protection, 10,8% se restreignent en boisson et 46,8% se forcent à uriner avant l’effort. Alors que l’hydratation est fondamentale lorsque l’on fait du sport. Et qu’uriner sans en ressentir le besoin n’a rien d’une bonne idée, puisque cela vient renforcer ce phénomène d’hyperpression abdominale et donc entretenir les problèmes mictionnels.
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Verrouiller le périnée pour se protéger
Un problème qui semble sans fin. On peut alors avoir l’impression que la seule échappatoire serait l’arrêt du sport, purement et simplement. Car la bonne nouvelle, c’est que ces conséquences périnéales ne sont pas irréversibles et que, si l’on stoppe ces exercices sportifs, l’équilibre entre abdominaux et périnée finira par se rétablir. «Le sport semble donc être un facteur favorisant l’incontinence urinaire au moment de la pratique, mais pas à distance de l’arrêt de l’activité physique et sportive», tempère la généraliste dans sa thèse.
Heureusement, pas besoin d’en arriver à de telles extrémités. «Il existe des moyens efficaces, simples, pas chers, et sans effets indésirables pour traiter l’incontinence urinaire, et très certainement pour la prévenir», certifie-t-elle. Avant de développer: «La sensibilisation (prise de conscience de la contraction périnéale) et l’apprentissage d’une gestuelle sportive (la gestion de la pression intra-abdominale)». Ainsi, il faudrait plutôt faire des abdos «le ventre plat et rentré comme quand on attache le bouton du pantalon», exprime la sage-femme –on protègerait de la sorte le périnée d’une excessive pression. Et verrouiller le périnée lorsque l’on fait du sport à risque (de fuite).
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Prendre conscience de ses muscles
Des conseils qui paraissent plutôt simples à suivre. Reste toutefois à surmonter encore quelques obstacles. Certes, «les coachs peuvent aider à restaurer la continence», poursuit la généraliste. Mais «c’est fonction des profs de sport, de leur sensibilisation et de leur formation, regrette Corinne Audinet Husson. Il y en a qui ne savent même pas que le périnée existe!»
Une affirmation loin d’être excessive. Une étude norvégienne de 2011 menée sur 685 professeures de fitness, y compris yoga et pilate, révélait que 26% des coachs étaient elles-mêmes concernées par des fuites urinaires! D’abord parce que, ce sujet étant tabou, les femmes n’osent pas en parler, notamment aux professionnelles et professionnels de santé, et ne peuvent donc savoir qu’elles sont nombreuses dans cette situation. Ce n’est pas comme ça que la situation peut évoluer. Mais aussi et surtout parce que, en France notamment, «c’est avec la rééducation périnéale en post-partum que l’on va découvrir son périnée», s’exclame la sage-femme. Au point que de nombreuses patientes en post-partum, lorsqu’on leur demande de contracter les muscles du périnée et de maintenir cette contraction, ne le font pas correctement, voire font l’inverse et poussent, note le gynécologue dans son mémoire.
«Au vu des connaissances actuelles, la prise de conscience du périnée, l’apprentissage d’une activation “automatique” du périnée avant l’effort et/ou l’amélioration de la force des tissus du plancher pelvien expliquent pourquoi cet “entraînement” du périnée serait efficace»
Pour rompre ce cercle urinaire vicieux, la docteure Lucie Mouly suggère donc… de suivre les recommandations de la Haute Autorité de santé, à savoir que les professionnelles et professionnels de santé abordent systématiquement le sujet lors de la rédaction du certificat de non-contre-indication à la pratique sportive. Mais aussi de proposer une rééducation périnéale préventive pour les jeunes femmes à risque, qui auraient une pratique intensive ou se dirigeraient vers des sports venant faire pression sur leur périnée.
«Au vu des connaissances actuelles, la prise de conscience du périnée, l’apprentissage d’une activation “automatique” du périnée avant l’effort et/ou l’amélioration de la force des tissus du plancher pelvien expliquent pourquoi cet “entraînement” du périnée serait efficace», conclut-elle. C’est aussi ce que préconise la sage-femme Corinne Audinet Husson: «Je pars du principe qu’une femme avertie en vaut deux. Une fois qu’on a pigé, on ne sait même plus faire autrement.» Il serait peut-être temps de réaliser que les femmes ne sont pas fatalement des pisseuses.