L'omniprésent -et vaguement irritant- «What else?» nous avait un peu fait perdre de vue le véritable George Clooney, l'acteur. Mais voici que ce dernier revient en force avec deux films très réussis, In the Air (de Jason Reitman) et The Fantastic Mr. Fox (de Wes Anderson), corrigeant ainsi le cliché d'un séducteur qui se réduit à quelques mimiques, comme une tête savamment penchée et un sourire ravageur. Retour sur les différentes facettes de l'acteur.
L'élégant séducteur
Avec pour atouts son pelage soyeux et son agilité inégalée, M. Fox est vraiment un renard fantastique. Marié à la non moins charmante Mme Fox, il est également le père d'Ash, un adolescent complexé. Malgré sa vie familiale harmonieuse, M. Fox ne parvient pas à tenir la promesse faite à sa femme de renoncer à l'activité principale de Maître renard: le vol, et cela bien au-delà de la chasse aux poules! Voleur charmeur, rusé et bien élevé: voilà qui pourrait définir bon nombre des rôles interprétés par Clooney au cinéma. Braqueur de banques dans Hors d'atteinte (Steven Soderbergh, 1998), et bien sûr de casinos dans la série des Ocean's (11, 12, 13 de Steven Soderbergh), l'homme n'est jamais attiré par l'argent mais bien par le goût du danger. Clooney, charmeur dans l'âme, utilise sa séduction comme une arme: n'est-ce pas son doux sourire rassurant qui lui permet de braquer une banque en plein jour dans la scène d'ouverture de Hors d'atteinte?
Séducteur invétéré, l'homme se doit d'être accompagné de belles femmes. Mais attention, tout comme le docteur Doug Ross de la série Urgences, Jack Foley, Danny Ocean ou encore M. Fox, sont tous trois de grands romantiques. Dans Ocean's 11, Danny ne souhaite qu'une chose: dérober les affections de la belle Julia Roberts au richissime directeur de casino que joue Andy Garcia. Quant à M. Fox, il réalise vite qu'il ne saurait vivre sans son épouse. Enfin, c'est dans Hors d'atteinte, l'excellent thriller de Soderbergh, que Clooney culmine dans l'alliance délectable du voyou et du charmeur. Le film reste une référence dans la carrière de George: si parfaitement sexy aux côtés des rondeurs érotiques de Jennifer Lopez! Sûr de son charme, et romantique dans l'âme, voilà le Clooney qu'on aime adorer et qui nous est, par conséquent, le plus familier.
L'idiot
Il fallait imaginer le séducteur en imbécile. C'est ce qu'ont fait les frères Coen, et c'est un coup de génie. Les Coen offrent à l'acteur un tout autre registre: le comique à l'état pur. Fidèles à leur thème favori - la stupidité humaine -, Joel et Ethan permettent à Clooney d'incarner les rôles de trois idiots aux obsessions diverses mais toujours focalisées sur l'apparence physique: Ulysses Everett McGill et ses cheveux gominés dans O'Brother (2000); Miles Massey et ses dents à la blancheur inaltérable, dans Intolérable cruauté (2003); et Harry Pfarrer et son jogging rituel après l'amour dans Burn after reading (2008). Clooney en profite pour se livrer à des performances hilarantes qui révèlent son sens aigu de l'autodérision. Parodie de l'image même de l'acteur, chaque rôle est celui d'un homme convaincu, à tort, d'avoir un charme dévastateur et d'être doté d'une intelligence bien supérieure au reste de l'humanité. Il est réjouissant pour le spectateur de voir un Clooney aussi libre dans son jeu et peu soucieux de son image. Déjanté et ironique, voilà le Clooney dont on ne se lasse pas et qu'on retrouvera bientôt dans un film sous l'influence des frères Coen, Les chèvres du Pentagone (sortie le 10 Mars).
L'homme brisé
Venons-en au plus mystérieux et au moins plébiscité des visages de l'acteur: le Clooney tragique. Grâce aux succès commerciaux des trois Ocean's, Steven Soderbergh s'est autorisé deux films exigeants avec en vedette sa star préférée. Dans le magnifique Solaris (2002) - remake du film de Tarkovski -, George Clooney joue un psychiatre envoyé sur une station spatiale pour venir en aide à ses habitants et enquêter sur les événements étranges qui s'y produisent. Au-delà du film de science-fiction, il s'agit d'une réflexion sur la perte et le deuil. Pour la première fois, on découvre un Clooney renfermé et vulnérable, brisé par le suicide de sa femme dépressive. Ce n'est plus le sourire de l'acteur qui fait chavirer le spectateur, mais la tristesse saisissante des yeux et du visage. Tout comme dans The Good German (2006), brillant exercice de style sur le film noir de l'après-guerre, où Clooney est un journaliste américain chargé de couvrir la conférence de Postdam qui se met à enquêter sur la mort mystérieuse de son chauffeur. Confronté à son ancienne maîtresse, Lena, Clooney interprète un homme vaincu par le mal qu'il découvre dans le Berlin de 1945. Complexe et torturé, voilà le Clooney qu'on aimerait revoir davantage dans les années à venir.
L'homme seul
Clooney a désormais la cinquantaine, et une chose est sûre: le vieillissement lui va bien! C'est un visage fatigué et plus habité qu'il offre à la caméra dans In the air de Jason Reitman. Ecrit spécialement pour lui - en miroir de ce qu'on connaît de sa vie privée-, le personnage est un brin cynique, un célibataire endurci qui n'a au départ aucune intention de se transformer. Mais au cours du film, Ryan découvre peu à peu la solitude et la tristesse de sa vie... sans pour autant pouvoir s'en échapper. Reitman se joue de toutes les conventions: il ne s'agit là ni d'une comédie ni d'un drame, et encore moins d'une histoire d'amour. Et il a le mérite de révéler un Clooney que l'on avait jusqu'alors jamais soupçonné, un homme ordinaire. Clooney se montre bouleversant lorsque, après avoir vu sa romance se briser sur l'écueil de la réalité, il reçoit un appel de la femme qu'il aimait. En une seule scène, l'acteur parvient en toute subtilité à faire passer le désarroi et la désillusion d'une vie entière. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard que ce soit pour ce film et pour aucun autre que Clooney a reçu cette année sa première nomination à l'oscar du meilleur acteur. Inattendu et émouvant, voilà le Clooney mûr qui a encore bien des visages à nous révéler.
Juliette Berger
Image de une: George Clooney au festival de Toronto en 2007, REUTERS/Mario Anzuoni