Le 5 février dernier, nous rendions compte d'une étude, reprise par CNN, selon laquelle «la population américaine» prendrait «moins au sérieux» la douleur des petites filles par rapport à celle des petits garçons. Un phénomène, disions-nous, révélateur du «sexisme» imprégnant jusqu'au monde médical et ayant «malheureusement aujourd’hui une incidence sur la manière dont les femmes sont traitées par le système de santé».
Quelques semaines plus tard, sur son compte Twitter, l'auteur principal de cette étude, Brian D. Earp, spécialiste d'éthique médicale à Yale et Oxford, faisait le point sur la façon dont son travail, réalisé en collaboration avec Joshua T. Monrad, Marianne LaFrance, John A. Bargh, Lindsey L. Cohen et Jennifer A. Richeson, avait été repris dans les médias.
Selon Earp, dans un thread intitulé «entre stéréotypes de genre et stéréotypes médiatiques», les données et conclusions de son étude avaient été quelque peu déformées.
Complété par un autre, consécutif aux commentaires que le premier avait suscités, ce thread entendait «rappeler qu'il est important de prendre le traitement médiatique d'une étude scientifique avec du recul, de lire si possible les sources primaires et de faire attention au biais de confirmation».
En l'espèce, l'étude de Earp et al. ne dit pas que «la population américaine» prend la douleur des petites filles «moins au sérieux» que celle des petits garçons, mais que, dans un échantillon de 246 personnes, les femmes estiment la douleur d'un enfant de 5 ans comme plus forte lorsqu'elles croient qu'il s’agit d'un petit garçon et non pas d'une petite fille.
En effet, sur la vidéo présentée aux participantes et participants, le sexe et le genre de l'enfant n'étaient pas manifestes et seul son prénom (Samuel ou Samantha) changeait lorsque les chercheurs et chercheuses leur demandaient d'évaluer la souffrance qu'il avait l’air de ressentir lors d'une prise de sang. Earp fait notamment remarquer que les hommes considèrent la souffrance de la «petite fille» comme plus forte que celle du «petit garçon», avec une différence cependant non statistiquement significative.
Confusion entre minimiser la douleur des filles et maximiser celle des garçons
Le scientifique explique ensuite que s’il est possible d’interpréter ces résultats à la lumière de stéréotypes genrés, c’est davantage ceux par lesquels on estime que les garçons seraient éduqués pour moins exprimer leurs sentiments. Dès lors, ce n’est pas que les participantes ne «prenaient pas au sérieux» la souffrance de l’enfant lorsqu’elles croyaient qu’il s’agissait d’une petite fille, mais qu’elles se disaient quelque chose comme «si cet enfant (Samuel) pleure beaucoup, vu que notre culture a tendance à dire aux garçons de prendre sur eux, alors c’est qu’il a VRAIMENT très mal». En d’autres termes, qu’elles compensaient leurs stéréotypes non pas en minimisant la souffrance féminine, mais en maximisant la masculine. Et Earp d’ajouter que même si cette interprétation est la plus juste eu égard aux données disponibles, elle ne «dit rien de la douleur des filles qui serait ignorée ou moins prise au sérieux».
En ce qui concerne l'application de son étude au domaine médical –faut-il alerter les praticiens sur les possibles biais sexistes dont ils peuvent faire preuve face à leurs patients–, Earp souligne que son étude n’est significative que sur un plan statistique et non pas forcément sur un plan clinique. En d’autres termes, là encore, qu’elle ne dit rien de ce que beaucoup ont voulu lui faire dire.
Enfin, sur la question du sexisme, Earp fait une expérience de pensée qui met en lumière le caractère infalsifiable (et donc proprement non-scientifique) de cette notion. Selon le chercheur, si son étude était tombée sur des données inverses (les hommes jaugeant la douleur des filles à la baisse), son interprétation médiatique aurait été identique, à savoir : les femmes sont désavantagées par des stéréotypes sexistes dès leur plus jeune âge. Or si des données inverses peuvent être considérées comme prouvant un même phénomène (le sexisme), alors nous sommes face à un «cadre explicatif qui n’est pas significativement falsifiable».
Comme disait Darwin, on rend parfois à l'humanité un plus grand service en corrigeant une erreur qu'en énonçant une vérité. Dont acte.