Société

Internet: à la recherche de l'équilibre parlementaire

Temps de lecture : 4 min

Amendement Marini et Tardy, loi Loppsi... Le complexe pas de deux entre l'Assemblée et le Net.

Grosse actualité parlementaire la semaine dernière.

Alors que le projet de loi de finances rectificative pour 2010 devait concrétiser le lancement du Grand Emprunt qui doit, à terme, permettre à la France d'accélérer le développement de toute l'économie numérique, la commission des Finances du Sénat a adopté la semaine dernière un amendement déposé par Philippe Marini destiné à taxer les recettes publicitaires générées sur Internet.

Quelle mouche a piqué ce bon sénateur? D'après ce que j'en sais, un lobbyiste travaillant à la fois pour un constructeur informatique très aimé du public et pour un syndicat professionnel de l'industrie du cinéma a su le séduire en lui soumettant un argumentaire. Bon boulot.

Mais comment peut-on accepter cette idée qui aurait pour seul effet de fragiliser un secteur émergent, porteur de croissance, mais dont les équilibres pour la majorité des acteurs ne sont pas encore fixés, et inciterait naturellement à la délocalisation. Certes, il y a des géants américains, mais l'amendement vise toutes les recettes publicitaires, même celles des start up dont pourtant beaucoup n'arrivent pas à survivre.

Territoire français hostile aux investissements internationaux

Cette proposition —unique au monde! Ah l'exception française!!!— n'est pas neutre. Elle a pour effet de créer une taxation de tous les acteurs de l'internet et pas seulement des «moteurs de recherche» qui agacent tant et parfois (souvent?) à raison. Toutes les sociétés sur Internet ont un modèle économique reposant en partie ou en totalité sur la publicité. Plates-formes de vidéos, de blogs, de musique, médias Internet, sites d'informations mais aussi, par effet ricochet, créateurs ou consommateurs, seront autant d'acteurs français soumis à cette nouvelle fiscalité.

Il convient de rappeler que toute taxation de ce type d'activité rendrait le territoire français hostile aux investissements des acteurs internationaux du numérique et pénaliserait lourdement le développement des acteurs français, potentiels champions internationaux.

Taxer la publicité en ligne, quel que soit son périmètre, c'est faire de la France un enfer fiscal pour l'économie numérique, ai-je écrit et dit ailleurs de manière un peu ampoulée. Cela relève d'une vision tournée définitivement vers le passé. C'est au contraire en s'appuyant sur les opportunités permises par le numérique - et non en s'y opposant - que la création française sera aux avant-postes de la Toile et trouvera le rayonnement qu'elle mérite! Allez on s'accroche et on y croit, ça finira par passer.

On a en tous cas une super ministre NKM qui a vraiment compris notre idée. En plus c'est vrai mais ça c'est mon petit secret de la semaine. On espère maintenant que les Sénateurs à refuser clairement l'adoption de cet amendement en séance publique (à partir de lundi prochain) et envoyer ainsi un signal encourageant à l'économie du Net française.

Equilibre complexe entre liberté d'expression et lutte contre la cybercriminalité

Deuxième événement sur le front parlementaire, la Loppsi qui passait à l'Assemblée la semaine dernière. Le projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi) comporte certaines mesures relatives à la cybercriminalité. On ne peut que soutenir les efforts destinés à rendre l'internet plus sûr. Le maintien de la confiance des internautes est clé pour le développement de l'économie numérique. En même temps, l'un des enjeux du projet de loi consiste à préserver un équilibre entre lutte efficace contre la cybercriminalité et liberté d'expression permise par les nouveaux outils du web et tant appréciée par les internautes français.

Compliqué. En effet, en choisissant l'angle «protection de nos chères têtes blondes», on pose aussi des jalons pour, demain, empêcher jeux ou contrefaçon en bloquant les sites les plus divers... Inquiétante intrusion dans notre vie en ligne. Qui va décider ce à quoi on pourra accéder désormais?

La volonté l'industrie Internet de lutter contre la présence de contenus pédopornographiques sur la Toile est bien évidemment totale. Nous coopérons tous de manière étroite avec les différents services de l'Etat compétents, et notamment avec l'Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information (OCLCTIC) qui fait un travail remarquable et qui doit être salué.

Nous répondons évidemment aux demandes de retrait de contenus pédopornographiques conformément à la loi pour la confiance dans l'économie numérique et aux réquisitions judiciaires dans le cadre d'éventuelles investigations. Bon, personnellement, en 15 ans d'Internet, ça m'est jamais arrivé. Comme le disent souvent les flics spécialisés, Al-Qaida et les pédophiles utilisent plus souvent les pigeons voyageurs que les ordis pour communiquer entre eux mais ce n'est pas une raison pour ne pas être vigilant.

Attention à la neutralité du Net

La Loppsi a voulu compléter le cadre existant par un dispositif de filtrage au niveau des fournisseurs d'accès. Il convient d'abord de rappeler que le retrait des contenus auprès des hébergeurs demeure la seule solution réellement efficace pour rendre les contenus en question inaccessibles. Les dispositifs de blocage par l'accès sont contournables. Mais on peut concevoir le souhait politique de vouloir instaurer un dispositif de filtrage pour les réseaux des contenus pédopornographiques.

Il faut néanmoins avoir conscience de l'enjeu lié à un dispositif de blocage. La directive européenne sur le commerce électronique a posé le principe d'absence de surveillance des réseaux par les opérateurs de télécommunications. Le dispositif de blocage constitue un risque énorme de porter atteinte à ce principe essentiel de neutralité vis à vis des contenus et correspondances privées transportés sur les réseaux. Par conséquent, un dispositif de blocage doit bien être considéré comme exceptionnel et limité définitivement aux contenus pédopornographiques.

Dans ce contexte, on ne peut que se réjouir qu'un de nos amendements aient été adoptés (merci au Député Tardy qui l'a porté!): prévoir une validation de la liste noire des sites à filtrer par l'autorité judiciaire. Compte tenu de la récente décision du Conseil Constitutionnel qui consacre l'accès à Internet comme une liberté fondamentale, l'intervention de l'autorité judiciaire est une petite victoire.

On va dire ce que dira le Sénat maintenant.

Giuseppe de Martino

PS: bon premier anniversaire Slate ! Grâce à toi et à mes dilettantes «kro» (« chroniques » en langage slatien), je me suis fait tricardiser dans deux autorités administratives indépendantes, cramer chez trois ministères et poupéevaudouiser dans 23 syndicats professionnels. Tout ça pour un nombre de lecteurs inconnus (ah la mesure d'audience sur Internet!), un rédacteur en chef qui ne paie jamais un coup et un président que je n'ai jamais rencontré mais quelques messages sympas rattrapent tout le reste.

Merci et à bientôt.

Image de une: CC Flickr monoglot

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