C'est un cas unique dans les annales de la criminologie et de la médecine légale. En 1988 à Tours (Indre-et-Loire) Sylvie Reviriego, aide-soignante de 37 ans tue son amie puis la dépèce durant deux jours dans sa cuisine et sur son balcon. Elle disperse ensuite les différents éléments du corps tout en continuant à mener une vie normale avec ses enfants dans son appartement. Trois ans plus tard elle est condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité.
On vient d'apprendre qu'elle est depuis peu en liberté conditionnelle assortie d'un suivi psychiatrique. «Elle est quelque part en France, loin de Tours en train de se reconstruire. Elle occupe des petits postes de secrétariat et mène une vie tout à fait normale», a déclaré à La Nouvelle République Me Pierre-Olivier Sur, son avocat parisien. Vingt-deux ans après les faits le mystère reste entier: ce crime hors du commun était-il ou non la conséquence de la consommation de dangereux cocktails médicamenteux amaigrissants interdits mais néanmoins prescrits par un médecin?
Electrocution, coups de scalpel et dépeçage
Peu avant les fêtes de Noël 1988 les Tourangeaux songent d'abord à l'une de ces sinistres farces qui plaisent tant aux carabins de la ville: on vient de découvrir sur un parking du CHU Trousseau deux sacs-poubelles contenant l'un les membres l'autre le buste d'un cadavre humain; puis bientôt le bassin de ce même cadavre dans un autre sac-poubelle, à proximité d'un hypermarché. Ce puzzle anatomique est incomplet: manque la tête, pièce principale pour l'identification.
Mais la technique des empreintes digitales et un coup de téléphone curieusement anonyme permettent aux enquêteurs de retrouver en quatre jours l'identité de la victime: Françoise Gendron, trente-huit ans, mère d'un enfant de vingt ans, chômeuse et célibataire. Puis ces mêmes enquêteurs arrivent très vite à l'appartement de Sylvie Reviriego trente-sept ans, divorcée, mère de deux enfants. Cette aide-soignante dans un service de chirurgie thoracique du CHU entretenait des relations qualifiées de «plus ou moins étroites» avec Françoise Gendron. La suspecte avoue vite et sans difficulté.
Pourquoi? Le mobile reste incertain mais la méthode utilisée fait vite frissonner le pays. Car on apprend bien vite que la meurtrière a fait preuve d'un acharnement hors du commun criminologique. Après avoir convié à son domicile celle qui devait être sa victime elle tente d'abord, en vain, de l'électrocuter. Puis, après l'avoir endormie au moyen de somnifères dissous dans du thé, elle réussit à placer le corps dans sa baignoire, taillade les veines du poignet (avec un scalpel volé au CHU), puis fait disparaitre le sang par le système d'évacuation des eaux. Commence alors un long et patient travail. Quelques heures plus tard, armée d'un couteau de boucher, elle procède au dépeçage du cadavre, préalablement décapité. La tête fera l'objet d'un traitement tout particulier. D'autres surprises viendront.
Pourquoi découpe-t-on un corps?
Très rapidement sollicités, criminologues et médecins légistes phosphorent. Ils précisent que contrairement à ce qu'on imagine habituellement, le dépeçage (coupage en morceau du corps vivant ou mort) ne correspond pas toujours à la volonté de faire disparaitre les traces d'un crime. Il peut aussi être le signe (psychiatrique ou non) de la volonté de défigurer, de disperser, de gommer l'identité même de celui ou de celle que l'on a tué. Le dépeçage criminel peut ainsi être voisin de la défiguration (blessures de la face modifiant la forme ou les fonctions d'expression), de la mutilation (ablation d'une partie de l'organisme) ou de l'amputation (retranchement d'un membre ou d'une portion de membre).
On peut aussi rapprocher le dépeçage de la mythologie (qui se régale des offrandes de chair humaine faites aux dieux visiteurs) ou de l'anthropophagie à connotation religieuse. Il y a encore le supplice du «dépeçage judiciaire» qui voit le criminel condamné à une ou plusieurs mutilations particulières (oeil, bras, main, nez, langue, oreille, tête), pratiques toujours en vigueur en certains points de la planète. En France, jusqu'en 1382, les parricides avaient le poignet droit tranché à la hachette, avant de subir la peine capitale. Pour les fautes considérées comme plus graves, il y eut aussi la dichotomie (partage en deux parties égales du corps du coupable) ou, durant tout le Moyen-Age jusqu'au XVIIIe siècle, l'écartèlement, supplice infligé aux criminels condamnés pour lèse-majesté.
La médecine légale contemporaine partage généralement le sujet en dépeçages criminels «offensifs» (nés de la haine, de la colère et/ou de la folie) et «défensifs» réalisés devant un cadavre jugé embarrassant et dangereux. Dans les deux tiers des cas, il y a un seul dépeceur et s'il y en a plusieurs, c'est généralement dans un cadre familial. Quand une femme y prend part, c'est le plus souvent un crime occasionné par l'adultère. La littérature criminelle et la mémoire collective récente retiennent les célèbres affaires Landru (dépeceur supposé qui n'avoua aucun de ses crimes et ne renseigna pas la justice sur les procédés auxquels il avait recours pour brûler ses victimes dans sa cuisinière), et du docteur Petiot. Il y eut aussi l'affaire Weber, la «diabolique de Nancy» soupçonnée d'avoir tué son mari et son amant, puis d'avoir fait disparaître leurs corps au moyen d'une meuleuse à béton et d'une tronçonneuse.
Un cas unique
Mais que penser du cas Sylvie Reviriego? En 1988 le Pr Charles Etienne Frogé, spécialiste de médecine légale (CHU de Tours) observait qu'il s'agissait là d'un cas unique dans les annales: assassinat avec dépeçage réalisé par une femme seule, sur une autre femme; intensité considérable de la pulsion d'agressivité d'une criminelle qui ne semble pourtant pas chercher à brouiller les pistes permettant son identification. Pour le Pr Frogé en pulvérisant et en dispersant la tête de sa victime la criminelle cherchait bien à «gommer» son existence même. Sans doute faisait-elle selon lui ainsi comprendre à quel point elle ne voulait plus la «voir». Pas question d'inhumation, donc: il fallait que les morceaux soient à tout prix dispersés, soumis à la loi du hasard, ce qui est très différent du camouflage des traces d'un assassinat.
Organisé en juin 1991 devant la cour d'assises d'Indre-et-Loire, le procès de Sylvie Reviriego ne permit pas de lever les mystères. L'accusée y apparut statique, le visage blême sous un casque lourd de cheveux décolorés, étrangement absente, étrangère à l'évocation des faits. Elle répond invariablement d'un pauvre filet de voix qu'elle «ne se souvient de rien». Elle ne se souvient plus, ou plus vraiment, avoir proposé à son amie de prendre un bain après la cérémonie du thé soporifique. Elle ne se souvient plus, ou plus vraiment, l'avoir débarrassée de ses bijoux et aidée à se déshabiller, avant d'appuyer sur le crâne avec ses deux mains et de parvenir à lui mettre, le temps nécessaire, la tête sous l'eau.
Deux jours pour se débarasser de sa victime
Se souvient-elle avoir ensuite enroulé le cadavre dans une couverture, l'avoir placé sur son balcon, juste avant le retour de ses deux enfants de l'école? Elle garde certes la mémoire d'avoir fêté ensuite joyeusement avec eux, et quelques amis, les 16 ans de son fils. Et elle se souvient aussi qu'après avoir «dormi comme une souche» (et après le départ de ses deux enfants) elle entreprend de manière méthodique son oeuvre de dépeçage, usant pour cela d'un hachoir et d'un large couteau empruntés la veille à ses parents au motif qu'elle avait «de la viande à découper». Pendant deux jours elle tronçonnera, transportera (avec l'aide de son fils) les sacs poubelle, s'installera sur son balcon pour tenter de pulvériser la tête, placera les restes céphaliques dans un plat en acier inoxydable et les mettra, durant trois heures, dans le four de sa cuisinière à très forte température; avant de jeter le produit obtenu dans la Vienne (non loin de là où elle avait connu sa victime), expliquant qu'il ne s'agissait tout bien pesé que de «vieux déchets qui ne sentaient pas bon».
Comment comprendre? Faut-il entendre une accusée qui, plusieurs fois, a expliqué ne plus pouvoir supporter son amie, ses «jérémiades», ses demandes incessantes d'argent, une attitude jugée libertine et des rires qualifiés de vulgaires en présence de leurs relations masculines communes? Une amie devenue une «sangsue», une femme «toujours à coucher avec quelqu'un» et d'avec laquelle «elle n'osait rompre», étant «sous sa coupe». Des experts expliquèrent que ce dépeçage organisé dans la haine de l'autre, ce déchaînement d'une insupportable violence, ne pouvait se comprendre sans invoquer des liens latents d'homosexualité entre les deux femmes.
La piste des médicaments
Il y avait aussi pour comprendre, une autre piste, moins freudienne: celle des médicaments pris par l'accusée. Son entendement n'avait-il pas été altéré par la consommation de nombreux cocktails toxiques «amaigrissants» (composés de diurétiques, d'extraits thyroïdiens, d'amphétamines, et de coupe-faim) que la loi et que la déontologie médicale condamnaient déjà. Mais curieusement, le médecin prescripteur ne fut cité ni par la partie civile, ni par la défense. Il s'agissait du Dr Joseph Raharijesy, généraliste alors bien connu dans la région tourangelle pour prescrire larga manu ces dangereux traitements amaigrissants; et à cause de cela suspendu un temps d'exercice par le Conseil de l'ordre des médecins.
Quant aux arguments psychiatriques invoqués, ils ne permirent de faire bénéficier de l'article 64 du Code pénal celle qui fut une petite fille modèle allant à la messe tous les dimanches, une sage adolescente, une jeune épouse exemplaire trop vite victime d'un mari infidèle et brutal, une couturière devenue aide-soignante. Celle aussi qui, après son divorce, connaît différents amants, falsifie des ordonnances médicales et des carnets de chèques, vole dans les magasins, veut maigrir coûte que coûte et croit s'enivrer quand en réalité elle s'intoxique, devient dépendante aux amphétamines. Son entourage dira qu'il ne la reconnaissait plus.
Mais les incohérences tactiques de la défense furent alors vite ruinées par M. Michel Sabourault, avocat général, «vous êtes allée au bout de l'horreur, mais vous n'avez pas pu rester à la hauteur du crime que vous avez commis», accusera-t-il avant de requérir, rapidement suivi par les jurés, la réclusion criminelle à perpétuité. Depuis 1991, certains tentèrent à plusieurs reprises de saisir à nouveau la justice pour revenir sur les questions médicamenteuses. En vain.
Désormais en liberté conditionnelle, Sylvie Reviriego est-elle revenue «du bout de l'horreur»? «Je ne trouve pas anormal qu'elle soit sortie. Je considère même qu'avec un autre système de défense, elle n'aurait pas dû prendre plus de vingt ans de réclusion», reconnaît aujourd'hui Me Jean-Michel Sieklucki qui représentait, en 1991, le fils de la victime. «Je m'interroge sur l'avenir d'une femme qui est restée mutique pendant le procès et qui n'a jamais pu supporter le poids de ses horreurs. A-t-elle vraiment réussi à se reconstruire?», se demande l'avocat général de l'époque. «Quelque part en France, loin de Tours», Sylvie Reviriego en sait-elle plus sur les raisons ont fait d'elle un monstre, peu avant les fêtes de Noël 1988?
Jean-Yves Nau
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Image de une: Johannes Eisele / Reuters