«Je voulais toucher un maximum de monde», déclare la docteure Laurie Betito, psychologue canadienne spécialisée en sexothérapie. En février 2017, la plateforme de vidéos pornographiques Pornhub lance avec le docteur Betito le «Sexual Wellness Center» («Centre de bien-être sexuel» en français). Il s’agit d’un site rattaché à la plateforme et destiné à fournir des informations et des conseils en matière de sexualité, de santé sexuelle et de relations.
«Pornhub reçoit énormément de visites, donc je me suis dit que c’était une meilleure façon d’éduquer les gens.» Un pari risqué pour la psychologue. «Au début, je me faisais du souci parce que mon nom allait être associé à une plateforme pornographique. Mais en fin de compte, tout s’est bien passé car le site n’est pas un site de pornographie mais d’éducation sexuelle. Je continue mon travail de sexologue.» Pour cela, elle s’est entourée d’une équipe de spécialistes diplômés.
Lacunes à l'école
Sur ce site, on trouve divers articles allant de l’information sur les infections sexuellement transmissibles à l’impact d’un régime sur la vie sexuelle. Une rubrique permet aussi aux internautes de poser anonymement des questions auxquelles la Dr Betito répond. Une façon aussi de rappeler la nécessité du consentement et du respect de la loi dans la sexualité.
«Je reçois parfois des questions sur la virginité, beaucoup sur les fétiches, mais ce qui me frappe, c’est que la plupart des questions se terminent par “suis-je normal?”. Mon rôle, c’est aussi de leur rappeler qu’il n’y a pas une normalité dans la sexualité. Lorsque l’on me parle de quelque chose, je me pose les questions suivantes: est-ce que cette pratique peut créer une détresse psychologique? Est-ce que toutes les personnes concernées sont consentantes? Est-ce légal? Ce sont mes seuls problèmes et pour le reste, tout est normal.»
Un site a priori bénéfique. Surtout que Pornhub revendique plus de 40 millions de vues quotidiennes depuis le lancement en 2017.
Pour Arthur Vuattoux, chercheur associé à l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire), que Pornhub possède une plateforme d’éducation sexuelle a quelque chose de dérangeant. «C’est a minima une opération de communication, comme quand Coca-Cola fait des actions de nutrition autour des fruits et légumes pour les enfants en maternelle. C’est la même idée. Sans doute une manière de se donner une bonne image.»
Pourtant, il ne nie pas l’utilité publique du site, surtout qu’en France l’éducation sexuelle est une question épineuse. L’article L312-16 du Code de l’éducation prévoit qu'«une information et une éducation à la sexualité soient dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène». Mais est-ce vraiment appliqué?
Durant l’année 2014-2015, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes s’est posé la question et a mené une étude auprès de 3.000 établissements (publics et privés) à travers le territoire. Il en ressort que «25% des écoles répondantes déclarent n’avoir mis en place aucune action ou séance en matière d’éducation à la sexualité», malgré l’obligation légale. Et pour les établissements respectant la loi, «les thématiques les plus abordées sont la biologie/reproduction, l’IVG/contraception, le VIH/sida et la notion de “respect”, notamment entre les sexes».
Le 1er août 2018, Marlène Schiappa a fait voter une loi afin que les violences sexuelles et sexistes prennent plus de place dans l’éducation à la sexualité. Mais il est encore trop tôt pour en voir les fruits.
Quid de l’apprentissage du plaisir? Des relations? Des questions sur l’orientation sexuelle?
Ni avec les parents, ni via les institutions
En plus du Sexual Wellness Center, on trouve sur la plateforme pornographique des tutoriels pour réaliser «correctement» certaines pratiques sexuelles ou certains gestes qui ne le sont pas (ou moins), comme par exemple une vidéo sur l’art d’embrasser sa ou son partenaire.
«Il y a un grand manque d’éducation sexuelle à l’école et à la maison. Quand les jeunes n’ont pas accès à l’info, ils vont voir n’importe où. Sur internet, si on fait une recherche sur le sexe, on tombe sur du porno. Et c’est par ce qu’ils voient, qu’ils apprennent. Et c’est un danger qu’ils apprennent la sexualité par ce biais», explique la docteure Betito.
Ces vidéos tutorielles ne sont pas forcément homologuées par des spécialistes de la sexualité, mais rencontrent toutefois un franc succès avec des centaines de milliers de vues. Pourquoi?
Arthur Vuattoux a un début de réponse: «Quand les ados identifient qu’on est là pour leur faire passer un message via des sites institutionnels par exemple, pour eux, c’est beaucoup moins attrayant que quand ils se disent “si je regarde cette vidéo, là ça m’apprend quelque chose”, même si elle n’est pas faite pour ça».
Les ados auraient donc besoin d’apprendre par eux-mêmes. Une nouvelle série sur Netflix corrobore cette idée. Dans Sex Education, on voit un lycéen ayant lui-même des problèmes avec sa sexualité endosser la chaire de sexologie à destination de ses camarades.
À aucun moment, ces jeunes ne se tournent vers leurs parents ou vers les institutions pour parler sexualité. D’après une étude du planning familial et du laboratoire Terpan, plus de quatre sur dix ne parlent pas de sexualité avec leurs parents.
Pourquoi? Parce que c’est gênant. Pour les parents comme pour les enfants. Si ces jeunes sont scolarisés dans les écoles qui ne dispensent aucun cours d’éducation sexuelle, seules leurs amies et/ou leurs amis (pas forcément mieux informés qu’eux) et internet seront là pour les éduquer. Les ingrédients parfaits pour une vie sexuelle épanouie (ou pas).