Le maire de Chicago Rahm Emanuel souhaitait que les promoteurs immobiliers construisent plus d’appartements autour des stations de métro de la ville, entre autres pour réduire le nombre de places de stationnement nécessaires. En 2013 et en 2015, Chicago a ainsi modifié son code d’urbanisme près des transports en commun afin d’autoriser les bâtiments de plus grande taille, donc comptant plus d’appartements.
Le Metropolitan Planning Council de Chicago estime que d’ici à 2035, ces changements –qui concernent 6% du territoire de la ville– devraient aboutir à la création de 65.000 nouveaux logements situés à une courte distance de marche de l’excellent réseau de transport public. Plus d’appartements, moins de circulation, des quartiers plus denses et riches en infrastructures le long des lignes de métro… Le rêve!
À contre-courant des attentes
Six ans après le premier redécoupage, les résultats sont là et… ce n’est pas vraiment ce que la ville espérait. Dans une étude publiée dans la revue Urban Affairs Review, le doctorant du MIT Yonah Freemark n’a trouvé aucune différence dans les permis de construire émis au cours des cinq dernières années. Dans le même temps, il a découvert que les prix de l’immobilier dans les zones concernées avaient augmenté de 15 à 23% et que cette hausse avait même concerné certains immeubles résidentiels existants. Pour résumer, le redécoupage a fait monter les prix, mais les nouvelles constructions n’ont pas suivi.
Cela défie toute logique et va à contre-courant de ce qui se produit d’habitude, comme en témoigne la documentation sur les villes. Un zonage plus ample s’accompagne généralement d’une baisse des prix à l’échelle de la métropole tandis qu’un zonage étroit est associé à des prix plus élevés, comme l’ont révélé de récentes recherches menées en Californie et dans le Massachusetts.
Au niveau des quartiers, nombreux sont les propriétaires qui pensent que la valeur de leur bien risque de baisser avec la construction de plus grands bâtiments, qui entraîne une plus grande densité de population dans les rues et une hausse de la diversité au sein des écoles. Les associations de locataires, à l’inverse, craignent que le redécoupage n’entraîne des démolitions et n’attire de nouvelles tours de luxe ultra équipées, rendant les quartiers moins accessibles. L’exemple de Chicago invalide ces deux hypothèses.
Un avertissement aux urbanistes et aux politiques
Plus important encore peut-être, l’enquête de Yonah Freemark est un avertissement adressé aux urbanistes et aux hommes politiques qui cherchent à mettre en œuvre des stratégies comme celle de Chicago dans d’autres villes pour lutter contre la ségrégation, la hausse des loyers et l’étalement urbain. En Californie, par exemple, le sénateur Scott Wiener essaie d’autoriser la construction de bâtiments de plus grande taille autour des lignes de transport en commun dans tout l’État. À Minneapolis, les urbanistes déploient des efforts similaires pour autoriser un plus grand nombre d’appartements le long des axes de transport en commun. Partout dans le pays, les règles de zonage restrictives sont en ligne de mire alors que les villes cherchent à créer un parc de logements plus dense, plus accessible et plus varié.
Cette étude ne réfute pas pour autant la théorie selon laquelle augmenter le nombre d’appartements contribuerait à résoudre les problèmes d’accessibilité des prix dans la région. La hausse des prix des transactions à Chicago semble indiquer que les acheteurs paient pour pouvoir construire plus d’appartements dans le futur, ce qui était l’objectif initial de la ville. Mais ils n’agissent pas rapidement en ce sens et, pendant ce temps-là, les prix montent, y compris là où le développement est le moins probable. «Même si l’objectif à long terme est l’accessibilité, m’a expliqué Yonah Freemark, mon étude suggère que le problème des prix à court terme est réel.»
Pourquoi les promoteurs immobiliers ne construisent-ils pas de bâtiments plus grands? Peut-être parce que Chicago, qui s’étend sur un vaste territoire et connaît une croissance stagnante de sa population, ne fait pas partie des nombreuses villes du pays où il est trop coûteux de construire en raison des prix élevés des terrains et d’un zonage restrictif.
L’urbaniste Pete Saunders, installé à Chicago, a souvent critiqué la stratégie d’aménagement pro-croissance de la ville, qui exacerbe selon lui les inégalités et les disparités entre les quartiers, encourageant les promoteurs à construire à tout bout de champ dans les quartiers à forte demande au nord de la ville et près du centre, et à négliger le sud et l’ouest. Si aucune croissance n’a été observée après le redécoupage, cela est peut-être lié au fait que les promoteurs n’ont pas tant de mal que ça à trouver des terrains constructibles à Chicago.
Pression financière
Mais quand la spéculation a-t-elle commencé? Avant d’être lancés, les projets se heurtent peut-être à un goulot d’étranglement. Ou alors, les appartements existants prennent peut-être de la valeur car les acheteurs anticipent l’arrivée de nouveaux supermarchés de luxe et de voisins à hauts revenus. Ou peut-être Chicago a-t-elle uniquement revu le zonage dans une petite partie de la ville, limitant la spéculation à une poignée de parcelles. Si les urbanistes avaient appliqué ces changements dans toute la ville, et pas seulement à proximité des stations de métro, les spéculateurs auraient rapidement ajusté leurs offres, reconnaissant que cette occasion de construire plus sur un site n’avait en réalité rien de spécial.
Et c’est peut-être ce qui est sur le point de se passer. La semaine dernière, la station de radio WBEZ a diffusé une série d’interviews avec les treize candidates et candidats au poste de maire de la ville sur des questions telles que le zonage et l’accessibilité du logement. Huit ont déclaré soutenir l’élimination de la désignation de zone résidentielle unifamiliale à Chicago, comme est en train de le faire Minneapolis et qui devrait être officialisé dans l’Oregon cette année. Cela permettrait la construction de bâtiments multifamiliaux dans des quartiers qui jusque-là ne les autorisaient pas.
Six ans seulement ont passé depuis que Chicago a mis en place ses zones de développement axées sur les transports en commun et les constructeurs locaux en profitent peut-être encore pour construire de nouveaux appartements autour du métro. Après tout, ils n’ont pas perdu de temps pour attribuer une valeur plus élevée aux propriétés concernées.
Pour les résidents, néanmoins, ces nouveaux prix impliquent une hausse des loyers avant l’arrivée des nouveaux appartements, faisant peser une pression financière avant l’allègement promis par la nouvelle offre de logement. Un enseignement qui n’est peut-être pas limité à Chicago.