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Vancouver: peut-on prédire le nombre de médailles par pays?

Temps de lecture : 5 min

Un économiste a construit un modèle qui calcule le nombre de médailles pour les JO de Vancouver.

Aux Jeux Olympiques, il y a toujours des histoires touchantes, surtout en version télévisée. Quel sportif va exploiter son histoire personnelle déchirante pour un peu d'adrénaline en plus? Qui va craquer et qui va être porté aux nues par les sponsors? Qui va vaincre les obstacles du froid, du vent et de la douleur pour battre un record?  Quand vous prenez en compte toutes les variables - l'intensité de la compétition, les millisecondes qui séparent la troisième place de la quatrième, les jokers comme l'état de santé de Lindsey Vonn - il semble incongru de prétendre prévoir le nombre de médailles sur des facteurs essentiellement économiques.

Mais il existe un marché prédictif défini par les économistes pour les JO d'été qui fournit des prédictions robustes et surprenantes par leur précision. (J'ai déjà parlé de ces prédictions en 2008 et 2004.) Pour les Jeux d'hiver, où figurent moins de compétiteurs et moins de compétitions, les statisticiens ne sortent pas leurs calculatrices et leurs tableaux Excel. A part l'économiste Daniel Johnson, qui semble particulièrement qualifié pour faire un pronostic en la matière. Né au Canada, professeur au Colorado College, et, comme on le voit sur son C.V., passionné de curling.

Comme l'explique Johnson, son modèle est assez simple. L'économiste considère cinq variables: la population, le revenu par personne, le climat, la structure politique et l'avantage d'être la nation-hôte.   Les résultats sont assez intuitifs. Plus grande est la population d'un pays, plus il a de ressources à dédier au sport et plus il pourra produire d'athlètes de classe mondiale. Le climat, bien sûr, est un facteur décisif pour les Jeux d'hiver. «Si vous faites du ski depuis l'enfance, il y a de fortes chances que vous soyez meilleur skieur une fois adulte», dit Johnson.  «Même quand vous prenez en compte le revenu, les pays froids font mieux que les pays chauds.» Le facteur du régime politique est un peu contre-intuitif - les nations avec un parti unique ont tendance à réussir dans les événements olympiques.  (Regardez Cuba et la Chine.) La tyrannie n'est peut-être pas un avantage compétitif quand il s'agit d'économie mondiale ou de culture, mais apparemment, c'en est un quand il s'agit de tournois sportifs mondiaux.  Enfin, Johnson note que dans les Jeux d'hiver, en général, la nation-hôte gagne trois médailles de plus que ce qu'on attendrait, dont une en or.

Johnson ajoute qu'il y a un facteur qui est plus difficile à mesurer: la culture sportive du pays. Dans les Jeux d'été, en général, l'Australie réussit mieux que son poids économique parce que les Australiens sont des durs, des sportifs. «C'est la même chose pour la Norvège dans les Jeux d'hiver», dit il.

La Scandinavie et l'Italie en hausse

Les prédictions de Johnson pour 2010, où figurent uniquement les nations dont on attend qu'elles gagnent 10 médailles ou plus, peuvent être vues ici (PDF). Il attend que le Canada, qui cartonne habituellement aux Jeux d'hiver, profite de son statut de nation-hôte pour dominer le monde avec 27 médailles, dont seulement 5 seraient en or.  Les Etats-Unis occuperaient la deuxième place en compagnie de la Norvège avec 26 médailles, suivis par les puissances européennes traditionnelles: l'Autriche (25), la Suède (24), la Russie (23) et l'Allemagne (20). Il attend que les Etats-Unis, le Canada, l'Autriche et la Russie gagnent à peu près le même nombre de médailles qu'en 2006.

En regardant de plus près, on voit que le modèle prévoit quelques changements importants par rapport à 2006. Les pays scandinaves devraient enregistrer des gains importants: il attend que la Finlande gagne 14 médailles (dont 4 en or), en progression de 8 (0 en or) par rapport à 2006; la Suède devrait gagner presque deux fois plus de médailles, de 13 en 2006 à 24 cette année; et il attend que la Norvège remporte 26 médailles, en hausse de 19 par rapport en 2006. Autre grand mystère: l'Italie, qui ne serait pas favorisée au niveau de sa croissance démographique et économique ou par sa stabilité politique lors de ces quatre dernières années, gagnerait 19 médailles, en hausse de 11 par rapport à 2006. S'agit-il du retour de Tomba la Bomba?

Je ne suis pas sûr de comprendre ces changements. Un facteur explicatif pour les pays scandinaves est la stabilité de leurs économies ces dernières années. Quelques uns de ces changements peuvent être expliqués par un recalibrage du modèle de Johnson. Il a pris en compte le fait que les athlètes nordiques et italiens ont bien réussi aux derniers JO (en partie grâce au fait qu'ils étaient chez eux, à Turin et à Lillehammer).

Parmi les pays que Johnson voit glisser, on trouve l'Allemagne - le modèle projette une chute en médailles de 29 en 2006 à 20 en 2010 - et la Chine. Malgré la croissance économique impressionnante de la Chine et ses réussites aux Jeux de Pékin en 2008, le modèle de Johnson ne prévoit pas de hausse importante au niveau des médailles à Vancouver.  «La croissance est rapide, mais le revenu par personne en Chine n'est pas impressionnant par rapport à beaucoup d'autres pays», dit Johnson. De plus, la Chine n'a pas mobilisé le même niveau de ressources pour ces Jeux que celles qu'elle avait rassemblées pour les Jeux d'été chez elle.

Les modèles économiques sont faillibles

Quelle importance doit-on donner à cette projection? Lors des derniers Jeux Olympiques, le modèle a eu une corrélation de 94 % avec le nombre de médailles obtenues par pays et à peu près 88 % de corrélation avec le nombre de médailles en or obtenues par pays. Et à la différence des projections d'ESPN et de Sports Illustrated, elles ne dépendent pas d'athlètes individuels. C'est uniquement une question de chiffres. «En moyenne, ce sont les grands pays, riches et froids, qui gagnent les médailles», dit Johnson. «Et ils le font avec une proportion fixe.»

Evidemment, les modèles économiques sont faillibles. (Regardez, à titre d'exemple, AIG.)  Et il y a de bonnes raisons de penser qu'un modèle pour les Jeux d'hiver - et ces Jeux d'hiver en particulier - aura des problèmes. D'abord, l'échantillon est beaucoup plus petit que celui des Jeux d'été. Il y a 86 événements et 258 médailles à distribuer à Vancouver; il y en avait 302 et plus de 900 médailles à Pékin.  Quelques glissades ou quelques performances héroïques peuvent altérer la performance d'un pays au-delà de la marge d'erreur historique du modèle.

Deuxièmement, les Jeux d'hiver sont composés surtout de compétitions individuelles plutôt que de compétitions par équipe. Oui, il y a le hockey sur glace, le curling, le bobsleigh à quatre. Mais pratiquement tout le reste, ce sont des compétitions individuelles. Aux Jeux d'été, au contraire, figure un grand nombre de jeux d'équipe (le baseball, le foot, le handball, le basket) et d'événements disputés au niveau collectif aussi bien qu'au niveau individuel (la gymnastique, l'athlétisme, la natation). Autrement dit, la performance d'un pays aux Jeux d'hiver dépend plus de la performance de quelques individus clés.  L'absence d'un seul athlète - disons Lindsey Vonn - peut affecter le total de médailles des Etats-Unis de 10 %. C'est peut-être un cliché, mais la marge d'erreur dans les sports d'hiver est minuscule. On glisse sur la glace, on rate une porte au slalom, on fait mal un axel double, et le favori se retrouve dernier. Ce qui rend les prédictions extrêmement difficiles.

Troisièmement, le Canada sera évidemment aidé par son statut de nation-hôte. Mais je me demande si les Etats-Unis n'en profiteront pas aussi. Vancouver n'est qu'à 50 kilomètres de la frontière américaine. Beaucoup de supporters américains vont sans doute aller aux Jeux et seront là pour crier «USA» et faire tinter des cloches de vache. Des athlètes qui vivent et qui s'entraînent à l'Ouest des Etats-Unis n'auront pas à s'acclimater à un changement d'heure ou à un climat différent.

Alors, que les Jeux commencent! Dans quelques semaines, on reverra le professeur Johnson et on verra comment son modèle s'est conduit cette année.

Daniel Gross. Traduit par Holly Pouquet.

P.S. : Le score de la France, dont le modèle indique un nombre inférieur à 10 médailles, n'est pas rendu public dans le résumé de l'étude qui se concentre sur les pays fortement médaillés.

Photo: L'équipe de France de patinage de vitesse sur courte piste (short-track) à l'entraînement, février 2010 / REUTERS, David Gray

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