Il y a les réseaux sociaux choisis et les réseaux sociaux subis. Google vient d'inventer la deuxième catégorie en lançant mardi 9 février Buzz. Le service a été proposé aux plus de 150 millions d'utilisateurs de la messagerie Gmail via une page lancée automatiquement qui ne laissait guère le choix de ne pas s'inscrire.
Si cette méthode de recrutement au forceps permet de rivaliser rapidement avec le mastodonte Facebook et ses 400 millions d'utilisateurs, le calcul de Google n'est pas très judicieux sur le moyen et long terme. Très mal pensé en terme de respect de la vie privée, Buzz a subi une volée de bois vert de toute la communauté Internet. Et beaucoup d'articles sur le sujet se concluent par cette lapidaire capture d'écran du bas de page de Gmail. Ou comment désactiver Google Buzz.
Google est déjà obligé de faire volte-face. Deux jours après le lancement, le responsable de Buzz publiait un billet sur le blog officiel de Google pour annoncer quelques menues améliorations sur la gestion de la vie privée. Et quatre jours après le lancement, Google sort un nouveau billet pour annoncer des changements plus significatifs. On croit rêver: l'entreprise qui a mis cinq ans avant d'enlever la mention «beta» de Gmail aura sorti en 4 jours la version 1.0, 1.1 et 1.2 de son nouveau réseau social, oubliant juste de passer par la nécessaire étape «beta».
Google a visiblement sous-estimé la difficulté d'utiliser un réseau social ouvert au coeur même ce qu'il y a de plus privé sur Internet, la boîte mail. Par défaut, et sans que cela soit clairement indiqué, tout est public sur ce Buzz où discutent gaiement vos contacts mail privilégiés, amis, parents ou collègues. Revue des mauvaises surprises.
Google crée une page publique avec les statuts
Il faut fouiner dans l'interface pour s'en rendre compte: Google Buzz crée automatiquement une page publique à votre nom. Surprise: tous vos statuts postés sur Buzz apparaissent. Re-surprise: tous les commentaires de vos amis en-dessous de ces statuts apparaissent aussi. Un peu comme si votre profil Facebook était ouvert au monde entier.
Inutile de préciser que cette page est destinée à être aspirée par les moteurs de recherche. Cette fonction répond à la frustration de Google de voir la statusphère (Facebook et Twitter) lui échapper faute de pouvoir l'indexer dans ses moteurs. Google a dû négocier chèrement le droit d'afficher les tweets dans ses résultats. Buzz lui permet d'avoir de la matière à indexer gratuite.
On ne choisit pas ses amis
Contrairement à tous les autres réseaux sociaux qui nécessitent d'ajouter manuellement les contacts, les amis s'imposent d'eux-même. Google Buzz vous «abonne» automatiquement aux flux d'un certain nombre de personnes choisies par un obscur algorithme censé déceler vos meilleurs amis dans vos contacts Gmail. De la même manière, des gens sont abonnés à votre flux sans avoir rien demandé. Google a compris l'absurdité de la situation et propose maintenant aux utilisateurs de valider leur liste d'amis.
La liste des contacts Gmail devient publique
Conséquence inattendue de l'ajout d'amis par algorithme, la liste des personnes à qui vous parlez le plus souvent sur Gmail devient publique. En tout cas avant que vous retouchiez cette liste. Et ce petit désagrément risque de créer des situations inédites, comme celle d'une femme qui découvre que son mari discute en secret sur Gmail avec une inconnue. Plus grave encore, un chroniqueur de Foreign Policy écrit que «s'[il] travaillait pour le gouvernement iranien ou chinois, [il] enverrait immédiatement son équipe de geeks regarder sur Google Buzz les comptes des opposants politiques et voir s'ils ont des connexions avec des membres du gouvernement».
Il est possible de cacher cette liste d'amis, mais comme toujours (dédicace à Facebook), le plus difficile est de trouver où se cache cette option. Pour remédier à ce problème, Google vient de déployer un bouton «edit» beaucoup plus facilement accessible qu'auparavant. Une association américaine de défense de la vie privée sur Internet, Eletronic Privacy Information Center, a annoncé qu'elle comptait déposer une plainte contre Google auprès de la Federal Trade Commission estimant que l'usage de conversations par e-mail pour construire un réseau social était déloyal et trompeur.
L'adresse mail devient publique
Une grosse faille: n'importe quel utilisateur peut voir votre e-mail lorsque vous postez une photo sur Buzz. Les images sont en effet mises en ligne automatiquement sur votre compte Picasa, le service photo de Google... un compte qui par défaut est au nom de votre adresse Gmail. Lorsqu'un internaute clique sur une photo depuis votre profil public Google, le nom du compte Picasa s'affiche en bas de l'écran. Seule solution pour y échapper: changer son nom de profil Picasa ici.
Tracé par GPS sur mobile
Buzz a aussi une version mobile, sur iPhone et Androïd. Lors de la première connexion, on vous demande si vous voulez partager votre localisation avec vos contacts. Il vaut mieux prendre garde, car si vous choisissez de le faire et que vous laissez telle quelle la case pré-cochée «se souvenir de cette préférence», TOUS vos statuts postés sur mobile indiqueront votre position grâce au GPS de votre téléphone. Un cauchemar orwellien que Google encourage dans son rêve d'une recherche géolocalisée. L'option est d'ailleurs déjà activée sur Buzz, permettant de voir les statuts postés dans le quartier où l'on se trouve.
Le panorama est affligeant: Google Buzz tombe dans les travers de Facebook en poussant à toujours plus de dévoilement de la vie privée tout en expliquant de manière hypocrite qu'il n'y a pas de problème puisqu'il suffit de se protéger en réglant les paramètres de confidentialité. Encore faut-il le savoir. Et pour le savoir, mieux vaut être un geek. Merci pour les autres.
Vincent Glad
Photo : Sergei Brin, le cofondateur de Google lors de la présentation de Buzz le 9 février 2010 / Reuters, Robert Galbraith
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