Ses textes, ses déclarations ou encore son Zénith le 9 décembre dernier: Fianso est un artiste teinté de militantisme politique. L’homme aux quatre disques de platine en moins de deux ans est un véritable touche-à-tout. Comédien de théâtre lors du dernier festival d’Avignon dans l’adaptation de Gatsby le Magnifique pour France Culture ou encore acteur sur le petit écran dans la nouvelle création originale Canal Plus Les Sauvages prévue courant 2019, Fianso est un véritable «affranchi» comme le rappelle son label de musique, filiale du géant Universal. Après être «rentré dans le cercle» du rap sur le tard, Sofiane pourrait-il rentrer dans le cercle politique?
Un artiste très au fait de l’actualité
Hasard de l’agenda politico-médiatique, la prestation du rappeur au Zénith de Paris le 9 décembre a pris place au cœur d’une fracture sociale et populaire de grande ampleur avec le mouvement des «gilets jaunes». Drôle de clin d’œil du destin pour celui qui n’a jamais caché sa conception de la vie sociale, en adéquation sur de nombreux points avec celle des gilets les plus célèbres du pays.
À ce sujet, Fianso affiche son soutien à celles et ceux qui contestent, entre autres, la hausse des taxes sur l’essence et la baisse de leur pouvoir d’achat. Il n’a d’ailleurs pas hésité à relayer certaines violences policières commises à l’égard des manifestants.
Celui qui réunit sur l’album 93 Empire des références comme NTM ou Alpha 5.20 après des années d’inactivité pourrait dompter un nouveau terrain de jeu. Ses prises de position assumées sur les réseaux sociaux et sa capacité à fédérer échappent aux clivages qui sont pourtant l'apanage de nombreux artistes.
À l’heure de la redéfinition des partis et des figures représentatives de la population, la question d'une implication en politique mérite d’être soulevée, non sans risques. Notamment celui de tomber dans la caricature d'un symbole –la réussite d’un homme des quartiers populaires– et dans l’écueil de la récupération politique, qui peuvent minimiser l'efficacité et le côté percutant de la prise de parole, en particulier auprès de la jeunesse.
Quand on lui demande s’il peut jouer un rôle politique dans un avenir proche, le discours de Sofiane est lucide et sa réponse sans appel. «Je n'ai pas la légitimité pour être un leader politique. C'est une erreur de m'avoir décrit de la sorte», détaillait l’artiste lors d’une interview adressée aux Inrockuptibles en janvier 2018. «C’est un bon porte-voix pour les jeunes mais la conquête du terrain politique est un travail de longue haleine, à faire quotidiennement. C’est un processus auquel un musicien de son genre peut être difficilement rompu. Sa parole serait moins crédible s'il endossait ce costume», ajoute un élu de Seine-Saint-Denis.
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Engagé mais non encarté
Ses proches collaborateurs sont plus nuancés sur le sujet. La question ne lui a jamais effleuré l'esprit, même si eux voient en lui des capacités qui le rendraient à même de pouvoir se rendre utile, particulièrement auprès de la jeunesse. «Il a réussi à réunir la plupart des rappeurs du département donc pourquoi pas regrouper les foules. C’est un mec qui a fait du théâtre. En studio il a une capacité à se faire écouter alors que tout le monde parle dans son coin. Il est beaucoup plus intelligent qu’on ne le croît. Son cerveau va plus vite que les autres. Le voir dans un parti politique institutionnel, je n’y crois pas. Mais il a déjà participé à plusieurs associations. Je le vois plus jouer un rôle social auprès de la jeunesse», détaille Diias, compositeur signé sur son label Affranchis Music.
Celui que ses proches appellent également «So» a déjà eu l’occasion de montrer son impact auprès des jeunes, notamment lors de la marche de soutien à Théodore Luhaka, jeune homme victime d’un viol présumé pendant une interpellation policière le 2 février 2017 à Aulnay-sous-Bois. Près du palais de justice de Bobigny, en marge de la manifestation de solidarité qui s’est déroulée le 11 février 2017, Fianso a permis de pacifier une manifestation qui dérivait tout doucement vers le chaos, sur fond d’affrontements entre jeunes et policiers. Il a invité les manifestants à rentrer chez eux pour éviter d’alimenter la polémique et desservir la cause du jeune Théo et, plus globalement, celle de la jeunesse des quartiers.
La vidéo de sa prise de parole est devenue virale. Elle finira par une référence à son titre Police Nationale: «Quand on est plusieurs, c’est nous les condés [policiers].»
Mais le principal intéressé ne veut pas faire de sa réaction quelque chose d’exceptionnel: «Avoir un comportement “humain” dans une situation, un moment donné, c'est une chose. Mais c'est une chose que beaucoup font, et tous les jours, qu'on ne voit pas forcément à la télé.» Fianso rappelle souvent que ses agissements sont ceux d’un citoyen engagé, même si la frontière avec la chose politique est de facto très tenue.
De la politique en musique
Fianso humain, mais aussi très malin puisque le trentenaire fait déjà de la politique dans son domaine de prédilection. Notamment lorsque le patron de label lance en 2017 «le Cercle» sur Daymolition, la chaîne rap de YouTube. S'inspirant du concept des freestyles américains, il réunit des artistes urbains de tous horizons invités à performer.
Un moyen d’étendre son influence sur le rap et de garder un œil sur les pépites de demain, comme il le rappelait lui-même lors d’un entretien accordé à Red Bulletin en octobre: «Les deux sources principales de jeunes talents dans le rap sont Daymolition et “Rentre dans le cercle”. Je suis entré au capital de Daymolition, la chaîne rap de YouTube, et “Rentre dans le cercle” m’appartient. Ça me permet d’avoir des discussions concrètes avec les patrons de labels.»
Un média qui pèse des millions de vues avec un Sofiane en rôle de présentateur qui introduit des jeunes pousses comme des pointures. «Ce n’est pas une histoire de gain, mais de contrôle», résume-t-il.
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Légitimé par son passé de «bad boy»
Fianso rassemble, réconcilie des gens, fait le garde-fou et bouge les lignes de l’industrie musicale. Le tableau est flatteur. Mais c’est peut-être son récent passé de «mauvais garçon» qui lui offre un certain crédit pour pouvoir jouer ce rôle, notamment auprès des jeunes. En avril 2017, il avait bloqué sans autorisation l’autoroute A3 pour le tournage du clip de «Toka» extrait de son album Bandit Saleté. Il avait été condamné à quatre mois de prison avec sursis et 1.500 euros d’amende.
Le principal intéressé ne cache pas son côté schizophrénique contrebalançant ce tableau. Il admet pouvoir passer d’un jour à l’autre d’une volonté de montrer l’exemple à l’entretien de son côté sulfureux et vulgaire. Une face sombre qui a contribué à sa réussite tardive, après des années passées dans l’antichambre de l’industrie, loin des spotlights et des certifications à la pelle. «Je suis un schizophrène assumé et lorsque j'ai envie de dire “longue vie et nikomok (n... ta mère)” dans un refrain, ce n'est pas très papa tout ça. De l'autre côté je peux évoquer des thèmes plus profonds comme dans “Lundi” ou “Coluche”.»
«Il a une image de mauvais garçon donc quand il appelle au calme, les jeunes en face savent qu’il ne le fait pas pour le buzz mais pour de solides raisons.»
Des travers assumés qui participent, selon lui au maintien de son équilibre. «Si je me positionnais en tant qu'exemple, porte-parole ou pseudo-leader, je sortirais du cadre qu'est ma vie, la musique. L'important est de rester proportionné. Tant mieux si j'en ai inspiré un ou deux dans le bon sens. Mais je suis sûr d'en avoir inspiré un ou deux dans le mauvais aussi.» Un discours tranché qui participe à renforcer sa crédibilité, dans une sphère où certains représentants politiques seraient déconnectés des réalités du quotidien. «Si Fianso fait la morale, les jeunes seront marqués et vont l’écouter. Son statut de rappeur et son impact médiatique lui donnent de la crédibilité. Il a une image de mauvais garçon donc quand il appelle au calme, les jeunes en face savent qu’il ne le fait pas pour le buzz mais pour de solides raisons», abonde son compositeur qui a réalisé les tubes «Woah» et «Sur le Drapeau».
«Je n'ai pas la légitimité pour aller sur certains sujets. Parler politique par exemple. Je pourrais
leur dire de se déplacer devant une urne mais je ne leur dirai jamais pour qui voter.»
À la fin de son concert et d’un possible arrêt de sa carrière musicale –93 Empire serait peut-être son dernier album– une partie de ses fidèles alliés s’est réunie sur la scène face à un public attendant un rappel du rappeur. L’un d’entre eux s’est emparé d’un gilet jaune posé sur le devant de la scène avant d'entamer un «Macron démission» repris par le public.
Une dernière touche politique comme pour mieux rappeler que tout ce qui touche à Fianso s’imprègne de l’actualité. «Il ne donne pas son avis mais il a des antennes partout. Avant tout il veut être un bon chef d’entreprise pour son label. Mais qui sait? Regardez l’exemple de Trump», renchérit son producteur. Le principal intéressé n’y croit pas et se voit plutôt jouer un rôle dans le rapport entre les jeunes et la politique, sans faire preuve d’esprit partisan. «Je n'ai pas la légitimité pour aller sur certains sujets. Parler politique par exemple. Je pourrais leur dire de se déplacer devant une urne mais je ne leur dirai jamais pour qui voter.»