L'interdiction de la commercialisation du thon rouge en passe d'être décidée par la France montre bien les difficultés qui se dressent sur la route vers une économie durable.
Car les pêcheurs sont vent debout contre une telle décision, alors même qu'ils savent parfaitement que les stocks sont réellement menacés de disparition. Certes, ils recevront des aides de l'Union européenne, mais quels emplois pourront-ils occuper? L'élevage du thon rouge n'en est encore qu'au stade des essais, donc aucune possibilité de ce côté, et la surpêche concerne de très nombreuses espèces de poissons qu'il faudrait aussi protéger. Les reconversions s'annoncent donc très difficiles, voire impossibles pour ces pêcheurs.
Remplacer les cultures d'exportation par des cultures vivrières
Le dossier du thon rouge symbolise combien il va être ardu de faire la transition entre le mode de développement actuel et celui qui devrait prévaloir demain, moins gourmand en ressources naturelles. Lorsqu'il s'agit de passer du développement à tout prix à la croissance durable, ce problème se pose quel que soit le secteur d'activité. Ainsi, certains prônent l'adoption d'une alimentation plus locale: oui aux produits de saison, cultivés sur place, non aux haricots du Kenya ou aux cerises du Chili. Même en supposant qu'on fera une exception pour le thé, le café et le chocolat, trois produits issus de la première mondialisation, on peut supposer que les pays exportateurs de produits agricoles ne sont pas désireux de voir leurs filières s'écrouler. Bien sûr, ce peut être l'occasion de remplacer ces cultures d'exportation par des cultures vivrières qui font parfois cruellement défaut dans ces pays -mais que leurs habitants n'ont pas les moyens de s'offrir s'ils ne travaillent pas dans des exploitations produisant des produits exportables. Les reconversions seront d'autant plus difficiles qu'elles devraient concerner simultanément la quasi totalité des activités agricoles, industrielles et de service.
La recherche d'une moindre dépense énergétique posera aussi de nombreuses difficultés aux transporteurs et aux exportateurs. Imaginons que l'Europe encourage massivement le ferroutage. On peut parier sans grand risque que cette louable décision entraînerait d'abord une immense grève-blocus des poids lourds.
L'exemple coréen
On devine pourtant bien que la filière «verte» et le développement durable peuvent devenir un réservoir d'emplois, en grande partie qualifiés et de surcroît vertueux. Les écologistes, durant la campagne des européennes de 2009, avaient promis 10 millions d'emplois «verts» sur dix ans dans l'Union européenne. Certes, l'isolation des bâtiments, la diversification des ressources énergétiques ou les chantiers de transports en commun devraient créer des emplois. Partant d'un tout autre point de vue, la Corée du sud cherche à se placer parmi les leaders des technologies vertes. Objectif: exporter massivement des produits à haute valeur ajoutée tout en réduisant la dépendance énergétique du pays, qui n'a pas de ressources naturelles. La solution paraît d'autant plus évidente que le temps presse, et qu'il va falloir mettre les bouchées doubles simplement pour arrêter les dégradations actuelles de l'environnement. Il n'empêche que le cheminement concret entre le mode de production d'aujourd'hui et celui qui devra exister demain sera complexe et douloureux pour de nombreux travailleurs. Il suffit de penser au coût humain et financier de la reconversion du secteur textile dans les années soixante-dix ou de l'automobile plus récemment pour se rendre compte que les 5 milliards d'euros du «grand emprunt» dévolus à l'économie verte sont dérisoires. Il faudrait que l'Union européenne ou les organismes financiers internationaux soient prêts à financer le coût gigantesque de ces mutations. Sans quoi elles n'auront pas lieu avant que de grandes catastrophes environnementales ne se soient produites.
Marie-Laure Cittanova
Image de une: REUTERS/Tony Gentile