Culture

Armie Hammer a-t-il inventé l'anti-star hollywoodienne?

Temps de lecture : 9 min

Hollywood a vu en lui sa prochaine grande vedette. Avec son franc-parler et ses choix de rôles discrets, il est tout l'inverse.

Armie Hammer incarnant Martin Ginsburg dans «Une Femme d'exception» | Capture d'écran via YouTube
Armie Hammer incarnant Martin Ginsburg dans «Une Femme d'exception» | Capture d'écran via YouTube

Quand Armie Hammer raconte ses débuts à Hollywood, il y a déjà tout, tout ce qui fait les stars dans l’imaginaire collectif. Il raconte qu’il était obsédé par les films, que c’est tout ce qu’il a toujours voulu faire. Il raconte qu’il a abandonné le lycée en terminale pour se consacrer à sa passion. Il raconte qu’il allait bien «à des cours de comédie de temps en temps et passait des auditions» mais qu’en fait il pensait juste à «fumer beaucoup d’herbe et à regarder des films et à appeler ça de la recherche». Il raconte que c’est l’appel de son agente lui annonçant qu’elle allait le virer qui lui a fait réaliser qu’il allait perdre ce dont il avait toujours rêvé. Il avait même, pour finir, cette petite anecdote dans le style des punchlines qui créaient les légendes.

«Je demandé [à mon agente] ce que j’avais cette semaine. Elle m’a dit qu’il y avait quatre auditions. Je lui ai demandé de me donner jusqu’à la fin de la semaine et si rien ne se passait, elle pourrait me virer. Cette semaine là, je me suis donc mis au travail. J’ai travaillé plus dur que jamais. Et j’ai fini par décrocher les quatre boulots.»

Ce récit, il ressemblait à celui de beaucoup d’autres stars, de Cameron Diaz à Jennifer Lawrence, de John Travolta à Keanu Reeves, qui ont toutes abandonné le lycée pour devenir quelqu'un à Hollywood. Celui de Hammer avait un petit quelque chose en plus. Pour réaliser ce rêve, il a dû faire un choix que d’autres, peut-être, n’auraient pas fait. En abandonnant le lycée, il a, comme révélé au Chicago Sun Times en 2012, dû «abandonner sa richesse», son père, héritier d’une gigantesque fortune acquise dans le pétrole, décidant de le déshériter.

Cela ajoutait à la légende d’une star promise aux plus belles et grandes choses. Il aura en effet à peine le temps de tourner ses apparitions dans Desperate Housewives, Veronica Mars ou Arrested Development (son tout premier crédit), obtenues cette semaine fatidique de 2005, qu’il décrochait quelques mois plus tard un de ces rôles dont rêve tout jeune acteur débarquant à Hollywood des étoiles plein les yeux. Armie Hammer avait été choisi pour le rôle de Batman dans un film, Justice League, réalisé par le plusieurs fois nommé aux Oscars, George Miller (Mad Max, Babe, Lorenzo, etc.).

Avec sa mâchoire carrée, ses fossettes, sa voix grave, ses cheveux blonds et son athlétique 1 mètre 96, Armie Hammer avait un chemin tout tracé. Il avait le physique de John Wayne ou de Clint Eastwood avec le sourire de John Stewart. Il avait, sur le papier, ces qualités qu’on retrouvait chez les stars d’antan, grandes et charismatiques. Avec des années d’avance, comme Tom Cruise ou Mel Gibson en leur temps, il pouvait devenir une star immédiate à seulement 20 ans.

C’était juste un peu trop facile, trop évident. Il avait fallu des années à Brad Pitt, Harrison Ford ou Matt Damon pour être ces stars que l’on connaît tous et toutes aujourd’hui. Comment quelqu’un qui avait passé sa jeunesse dans le luxe des îles Caïmans, même avec un récit touchant sur les valeurs du travail et sur son déshéritage, pouvait-il incarner, soudainement, la nouvelle grande star du cinéma hollywoodien?

Presque un grand

Il s’avérera qu’effectivement, c’était un peu trop facile. Victime de la grève des scénaristes et du succès de The Dark Knight, Armie Hammer ne sera pas le nouveau Tom Cruise, Justice League étant définitivement annulé par son studio. Il devait donc rentrer dans le rang, se conformer au parcours normal d’un jeune acteur dans les coulisses du rêve, se remettre à trimer, à arpenter les auditions, à enchaîner ces films d’horreur bas de gamme, ces courts-métrages, ces épisodes de série pour ados et même ces films évangéliques en espérant décrocher, un jour, le rôle qui changerait tout.

Ce rôle, ce sera David Fincher qui le lui offrira. Incarnant les jumeaux Winklevoss dans The Social Network, Armie Hammer impressionne en personnage double de méchant qui rappelle inévitablement ses origines familiales et son «sang bleu». Après tout, les plus grandes stars ont toujours bâti leur carrière et obtenu leurs plus légendaires rôles sur ce qu’elles étaient au fond d’elles-mêmes, de John Wayne, le cowboy conservateur, à Tom Cruise, le jeune loup ambitieux. Le rôle de composition qui changerait tout est un mythe réservé à Meryl Streep et à une poignée d’acteurs et d’actrices en général formées sur les bancs de prestigieuses écoles d’art dramatique.

En décrochant l’année suivante un rôle fort, celui de l’amant secret de J. Edgar Hoover dans le film de Clint Eastwood face à Leonardo DiCaprio, Armie Hammer était sur la carte. À 25 ans, il devenait le jeune acteur que tout le monde devait s’arracher, une future grande star hollywoodienne, celle qui joue les héros, celle dont le nom brille en haut de l’affiche, celle dont les films accumulent des centaines de millions de dollars au box-office. Il était Ben Affleck après Will Hunting, Denzel Washington après Glory, Brad Pitt après Thelma & Louise.

Alors Armie Hammer a joué le jeu de la star. Grâce à ses deux rôles secondaires prestigieux et tant remarqués, les rôles de héros, il les a tenus. L'industrie du cinéma n’avait pas ignoré ce grand physique athlétique des stars d’antan, ce charisme et ce talent qui avaient fait des merveilles face à des acteurs et des actrices bien plus expérimentées.

Hollywood lui a donc confié le rôle du cowboy dans Lone Ranger. Forcément, comment ne pas faire le rapprochement avec John Wayne et Clint Eastwood? Hollywood lui a aussi confié dans Blanche Neige le rôle du prince charmant, héros de cape et d’épée. Forcément, Errol Flynn. Puis, pour compléter la trilogie de ces héros classiques du cinéma d’action, il y a eu l’espion dans Agents très spéciaux. Forcément, Sean Connery et Michael Caine, à nouveau des stars d’1 mètre 90 aux larges épaules et au sourire ravageur.

Hollywood a toujours aimé s'enivrer de sa propre légende. Jusqu’au moment où les chiffres du box-office tombent. Et ceux de Hammer n’étaient pas bons, vraiment pas bons, en particulier ceux de Lone Ranger. Armie Hammer n’était pas une star.

Il était une anti-star. Il n’avait pas pu devenir un super-héros à une époque qui intimait de l'être. Il était alors devenu le héros d’un autre temps, le cowboy, le prince charmant ou l’espion dont le seul attrait résidait désormais dans sa capacité à être parodié. Armie Hammer était en fait une blague, un acteur qui, vu par le prisme de l'industrie, ne pourrait jamais incarner le nouveau John Wayne, Clint Eastwood, Errol Flynn ou Sean Connery, juste leur version méta.

De héros à mari

Cette version, elle était au coeur, en novembre 2017, d’un très long article d’Anne Helen Petersen sur BuzzFeed News. Sur 6.000 mots, l’autrice se demandait pourquoi Hammer avait pu continuer à faire des films pendant si longtemps, pourquoi Hollywood s'était obstiné, inlassablement, à mettre son nom en haut de l’affiche malgré les flops.

«Hammer est-il vraiment une star unique qui a finalement trouvé sa niche ou simplement un bel homme blanc de bonne famille à qui on a permis, d’une façon que peu ont à Hollywood, de continuer à essayer d’être découvert?», écrivait-elle avant d’éplucher sa carrière, ses rôles et ses interventions médiatiques pour en faire, dans sa conclusion, le symbole du privilège du mâle blanc dans la culture hollywoodienne moderne.

Évidemment, les réactions à l’article ont été nombreuses, la vaste majorité des lecteurs et lectrices accusant Petersen, dans les commentaires, d’avoir fait un portrait à charge. L’acteur Jay Baruchel l’a quant à lui décrit comme «inutile», «hors sujet» et «méchant sans raison». Hammer a lui-même qualifié sur Twitter l’article de «sérieusement amer».

Car si le constat du privilège du mâle blanc à Hollywood est juste et incontestable, Petersen a confondu Hammer avec cette parodie de héros d’antan qu’Hollywood a voulu, un temps, entre 2013 et 2015, vendre au monde. Armie Hammer n’était pas le bon symbole: il avait cessé d’être une star le jour où Agents très spéciaux se faisait démolir par Straight Outta Compton au box-office américain.

Depuis, Hammer était redevenu «un type qui aime son travail et refuse de faire autre chose que ce qu’il aime faire», comme il se décrivait lui-même dans son tweet à Petersen. N’ayant pas tourné un film pour un studio hollywoodien depuis trois ans et utilisant la place sur la carte où l’avait laissé The Social Network et J. Edgar, il a embrassé son rôle d’anti-star comme rarement un acteur l’aurait fait à sa place.

Avec un symbole, une phrase: «Papa cuisinait, maman réfléchissait», une phrase écrite par Jane Ginsburg, la fille de l’avocate Ruth Bader Ginsburg incarnée par Felicity Jones dans Une Femme d’exception. Dans ce film, Armie Hammer joue le rôle du «papa», celui qui cuisinait et s’occupait des enfants pendant que sa femme changeait le monde. Dans ce film, Hammer abandonnait le héros, abandonnait John Wayne, pour devenir son mari.

Si, aujourd’hui, Armie Hammer est reconnu, c’est donc pour ces rôles, ceux où il s’efface pour donner corps à d’autres. Dans Call Me By Your Name, il finit par exemple par ne devenir qu’une voix au téléphone dans une scène qui a permis –probablement à elle seule– à Timothée Chalamet de recevoir, à 22 ans, sa première nomination aux Oscars.

Dans Naissance d’une nation, le biopic sur Nat Turner, un esclave s’étant soulevé pour lutter contre son sort, il tient à nouveau le rôle le moins enviable, celui de l’esclavagiste. Idem dans Sorry To Bother You où il incarne un grand patron mégalomane et psychopathe dans une comédie très ouvertement communiste que ses très conservateurs parents ont probablement détesté.

Parole libre

Évidemment, les plus cyniques argueront que le cinéma indépendant, qui a occupé Hammer ces dernières années, est le purgatoire où vont errer, en attendant mieux, les acteurs et actrices dont Hollywood ne veut plus. Ils auront raison. En partie. Armie Hammer ne se contente pas d’accepter des chèques moins élevés pour jouer les héros ou les anti-héros ailleurs, comme l’ont fait, en leur temps, des acteurs comme Ryan Reynolds ou Matthew McConaughey. Il accepte des chèques moins élevés pour n’être qu’une roue du carrosse. Il y a, dans ses rôles et sa façon de les incarner, une humilité rare.

Peut-être était-ce son éducation luxueuse et confortable qui lui permettait, aujourd’hui, d’avoir la confiance nécessaire pour faire ce genre de choix? Elle lui donnait à coup sûr la possibilité de se livrer à livre ouvert et de dire des choses qui ne vous présentent pas toujours sous votre meilleur jour, vous font passer pour un rustre et vous valent de très longs portraits au vitriol sur Buzzfeed News.

Entre ces fois où il vendait des magazines de charme à ses camarades accompagnés de lotion ou ce premier rendez-vous galant dans un sex-shop avec celle qui allait devenir sa femme en passant par cette fois où il est resté sept mois avec une femme qui aimait le scarifier au couteau de boucher pendant le sexe, il a par exemple beaucoup dévoilé sa vie sexuelle.

Mais s’il n’y avait que ça. Dans la presse, avant de s’excuser pour avoir parlé sans savoir, il a aussi longuement critiqué le double standard entre son réalisateur Nate Parker, accusé de viol dans sa jeunesse, et Casey Affleck, accusé de harcèlement sexuel sur plusieurs tournages, persuadé qu’il y avait une forme de complot pour empêcher son Naissance d’une nation d’aller aux Oscars.

Du coup, sur Twitter, sa parole est encore plus brute, loin, très loin de la parole policée des acteurs et actrices à son niveau de notoriété. Là encore, ses collègues n'ont qu'à bien se tenir.

Pour le meilleur, par exemple, quand l’acteur James Woods dénonçait la suppression «des dernières barrières de la décence» en référence à la différence d’âge entre les amoureux de Call Me By Your Name et qu’il lui répliquait avec ironie s’il ne se rappelait pas être «sorti avec une fille de 19 ans quand [il en avait] 60». Pour le pire, quand il critiquait ces «célébrités postant des photos d’elles-mêmes avec Stan Lee car il n’y a pas de meilleure façon de rendre hommage à une absolue légende qu’en affichant une photo de soi-même».

«J’ouvre toujours trop ma bouche mais je m’en branle», disait-il au Hollywood Reporter en novembre 2017. Ça avait au moins le mérite d’être clair: Armie Hammer ne voulait pas être une star. Ça tombait bien, il n'en était pas une.

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