Société / Économie

Ne pas savoir dire non, c'est la ruine

Temps de lecture : 5 min

Et c'est la moindre des conséquences de mon incapacité chronique.

L'incapacité à dire non remonte à la peur de perdre l'amour de ses parents. | OscarDC / Flickr
L'incapacité à dire non remonte à la peur de perdre l'amour de ses parents. | OscarDC / Flickr

«Bonjour monsieur, c'est pour le gaz.» Pour qu'on lui ouvre à l'interphone, ce commercial d'Eni, producteur et distributeur d'énergie, use sciemment d'une petite confusion, sans se présenter officiellement.

Une fois le portail ouvert, la porte entrouverte et alors que je me suis éloigné de celle-ci, ce cher commercial s'invite à mon domicile. Que s’est-il alors passé dans ma tête pour que, quelques minutes plus tard, je me retrouve à signer un contrat dont je ne veux pas? Il en est, dans mon esprit, parfois ainsi: je ne sais plus dire «non». Trois lettres, un mot, que je ne parviens plus à prononcer dans des situations qui m'oppressent ou me stressent, généralement face à des inconnus.

Bien sûr, l'homme m’a promis un geste commercial sans équivalent. Mais nous n’avons jamais parlé chiffres. En réalité, ce que je viens de signer reste très flou. Passer le reste de l’après-midi à essayer de faire valoir mon droit de rétractation avant que mon fournisseur actuel ne soit prévenu d’une demande de résiliation, voilà qui promet de durer longtemps. Merci mon colocataire, sans l'aide duquel je n'en serais sûrement pas venu à bout.

Mâcher le travail du commercial

C’est alors avec l’esprit libre que je peux aller dans ce magasin de chaussures acheter une nouvelle paire de baskets. Celles que j’ai aux pieds sont abîmées: je les avais achetées à 4 heures du matin à l'occasion du Nouvel An 2018, parce qu’un inconnu m’avait parlé de son nouveau concept, disponible à la vente sur internet –je n’avais pas su dire non (encore une fois). Au magasin, je trouve la paire idéale. Je m’apprête à passer à la caisse quand un vendeur me propose des produits pour «allonger la durée de vie des chaussures». À sa première tentative, victoire, je décline son «offre»! Je suis fort, je saurai dorénavant dire non, qu’importe la technique. Je lui confesse –ce qui n’est pas totalement faux– que je possède déjà son produit miracle.

Rusé, le vendeur me propose alors deux autres produits et m’explique que si je prends les trois, l'un d'eux me sera offert. J’ai dit «non» une fois, en pensant tout bas: ne va-t-il pas se vexer? pour qui vais-je passer si je refuse encore une fois? Je suis sur le point d’acheter le package, qui comprend un produit que j’ai déjà. C’est à ce moment-là que ma copine intervient et refuse à ma place. Je me rends compte aussitôt qu'aucun effet néfaste ne suit son opposition: le monde ne s'écroule pas, ni sous mes pieds, ni sous celui du vendeur. Pourtant, le stress m'a envahi un court instant.

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Une incapacité qui se cristallise à l'âge de 3 ans

Cette nervosité, couplée au fait que je sois un gros fumeur, me donne envie d’une cigarette. Chez le buraliste, la queue est longue. Ma file d'attente s'étend jusqu'au niveau d’un petit stand de vendeurs de cigarettes électroniques. Vapoter, je connais déjà. J’ai essayé deux fois, j’y ai mis les moyens, et pourtant je ne m’y suis jamais tenu. Surtout, j’en ai déjà une chez moi, qui traîne au fond d’un tiroir. Pourquoi, dès lors, me vois-je ressortir du magasin quelques minutes plus tard doté d'une nouvelle cigarette électronique? Pour me rassurer au moment de finaliser l’achat, j'ai rationalisé: Noël approche, ma sœur et mon beau-frère veulent arrêter de fumer, ne serait-ce pas un cadeau parfait?

Ces mésaventures ne sont pas liées à la qualité des vendeurs rencontrés. Pour me convaincre, ils n’ont pas eu besoin de dire grand-chose ni de déballer leurs arguments. Passif dès le départ, j'étais déjà prêt à dire amen à tout. Cette peur au ventre au moment du refus n’est pas non plus liée à une logique de consommation. Je me mets dans le même état que ce soit en boîte de nuit ou quand, lors d’une soirée, quelqu’un me tourne autour. Si cette fois je suis capable de ne pas faire ce dont je n’ai pas envie, ce n'est pas en verbalisant mon refus mais plutôt en prenant la fuite. «C’est, avec le mensonge, la pire des solutions», note Marie Haddou, psychologue-clinicienne, autrice de Savoir dire non. Elle définit plusieurs profils chez les personnes qui ont du mal à dire non. Elles ont toutes en commun d'être «des gens passifs, qui ont toujours peur de blesser». Mais au-delà de cette caractéristique, la psychologue distingue ceux qui, en s'abstenant de dire non, choisissent la solution de facilité. Il est plus simple de dire oui que de défendre son point de vue. Ensuite, il y a aussi chez certaines et certains la peur de passer à côté d'une opportunité. Pour ces personnes, dire non c’est risquer de rater une occasion. D'autres enfin seraient guidées par une forme inconsciente de toute-puissance en acquiesçant à tout bout de champ. Ces profils répondent à une exigence: ils se sentent obligés d’être parfaits. En présence de professionnels, cette incapacité à dire non peut se révéler problématique. Car «ils représentent une figure d’autorité, on se dit qu’ils savent mieux que nous de quoi ils parlent», souligne Marie Haddou.

«Pour l’enfant, perdre l’amour de ses parents est ce qu’il redoute le plus. Il va donc associer le “non” à la perte de l’amour.»

Marie Haddou, autrice de «Savoir dire non»

Cet élément ne s'applique pas à toutes les personnes dans ce cas, mais l’incapacité à dire non se nouerait au stade de l'enfance où se développent les facultés d'individuation. «Il y a, vers 2 ou 3 ans, la période d’opposition. L’enfant va découvrir qu’il est un sujet à part entière et s’affirme en s’opposant. Cela va déclencher des conflits et, parfois, provoquer un chantage affectif: “Si tu n’obéis pas, papa et maman ne t’aiment plus”. Pour l’enfant, perdre l’amour de ses parents est ce qu’il redoute le plus. Il va donc associer le “non” à la perte de l’amour.» Une fois cette idée bien ancrée, la société telle qu’elle évolue aujourd’hui n’aidera pas l'adulte en devenir à s’affirmer: que ce soit à l’école, à l’université ou plus tard dans la vie professionnelle, l’usage du non n’est ni salué, ni favorisé, ni encouragé.

Des stratégies pour échapper à la fatalité

Serions-nous contraints à dire oui? Pour Marie Haddou, plusieurs processus peuvent aider. D’abord, «prendre du recul et peser le pour et le contre avant de prendre une décision». Quand l’occasion s’y prête, on peut différer la formulation du refus. «En disant “je te rappelle” ou “je te réponds plus tard”, cela nous permet de maîtriser nos émotions, de réfléchir à ce qu’on va dire.» La psychologue conseille également d'envoyer des signes de soutien ou d’appui envers la personne à qui on vient d'opposer un refus. Proposer une solution alternative ou compatir à la position dans laquelle on l'a mise permet de faire passer le refus.

«Ensuite, le conseil est d’être clair. Une fois que la décision de dire non est prise, il faut être très explicite.» Pour camper sur sa position, deux techniques sont présentées: «Le disque rayé» et «l’écran de brouillard»... «Répéter calmement et fermement son refus jusqu’à ce que la personne en face l’entende, dans le premier cas.» Et dans le second, j’ai un exemple: si une personne nous dit: «C’est vraiment pas sympa de ta part de refuser», lui répondre: «C’est vrai, ça m’arrive de ne pas être sympa.» C’est infaillible.

Un dernier conseil: quand un commercial sonne à la porte, n’ouvrez pas.

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