Médias / Politique

Nicolas Dupont-Aignan, la stratégie de l'intox

Temps de lecture : 9 min

Alors que son parti est crédité de 7% d’intentions de vote aux européennes, NDA n'hésite pas à s’arranger avec la vérité, quoi qu'en dise son entourage.

Les fake news que relaie le leader du parti Debout la France émanent d'abord de groupes complotistes et de figures de l'extrême droite. Il répond aux journalistes à Versailles, le 3 juillet 2017. | Martin Bureau / AFP
Les fake news que relaie le leader du parti Debout la France émanent d'abord de groupes complotistes et de figures de l'extrême droite. Il répond aux journalistes à Versailles, le 3 juillet 2017. | Martin Bureau / AFP

«Je vous rappelle que les personnes que Monsieur Fabius trouvait sympathiques ont quand même décapité des enfants!» La petite phrase peut paraître anodine, mais sur le plateau de la Chaîne parlementaire (LCP), le 12 octobre 2016, elle n’est pas lancée au hasard. Interrogé sur la situation en Syrie, Nicolas Dupont-Aignan accuse la France et l’ancien ministre des Affaires étrangères de complaisance à l’égard de Jabhat Al-Nosra, groupe djihadiste qui combat le régime de Bachar el-Assad en Syrie, rebaptisé depuis Front Fatah al-Cham et anciennement affilié à Al-Qaïda.

En quelques mots, Nicolas Dupont-Aignan convoque, volontairement ou non, une confusion vieille de quatre ans. En 2012, un article du Monde évoque la décision des autorités américaines de placer Jabhat Al-Nosra sur la liste des organisations terroristes. Le journal explique: «M. Fabius a ainsi estimé, mercredi, que “tous les Arabes étaient vent debout” contre la position américaine, “parce que, sur le terrain, ils font un bon boulot”». Cette dernière remarque, «sur le terrain, ils font un bon boulot», ne doit pas être attribuée à Laurent Fabius, malgré la rédaction de l’article du Monde.

Éléments d’explications à l’appui, Le Monde expliquera plus tard que Laurent Fabius livre ici l’explication donnée par les puissances arabes pour s’opposer à la décision américaine de placer le groupe djihadiste sur la liste des organisations terroristes. Quelques jours plus tard, Laurent Fabius livrera d’ailleurs un autre commentaire sans équivoque sur Jabhat Al-Nosra, sur le plateau de TV5 Monde, s’inquiétant de ses liens avec Al-Qaïda. Il déclarait alors: «La coalition nationale syrienne et les collègues arabes étaient très hostiles à cette position [la position américaine, ndlr] en disant: “Ce sont des gens qui se battent contre Bachar, donc c’est très difficile de les désavouer.”»

Réseaux complotistes et Figaro Vox

Malgré cette précision, l’extrême droite y voit une parfaite opportunité de torpiller le ministre des Affaires étrangères de François Hollande tout en assurant la défense du dictateur syrien. Le site Réseau Voltaire ouvre les hostilités le jour même de la parution de l’article du Monde avec un titre sans équivoque: «Laurent Fabius prend la défense d’Al-Qaida.» En 2014, Damien Viguier, avocat d’Alain Soral, lance une procédure (perdue depuis) contre Laurent Fabius, au nom de civils syriens, estimant que les propos de l’ancien ministre participent d’une «complicité» des crimes commis par le groupe terroriste en Syrie.

Mais il faut attendre quelques années pour que cette polémique ressurgisse dans le débat public grâce à Nicolas Dupont-Aignan qui instrumentalise une tribune publiée par le Figaro Vox. En août 2016, Fabrice Balanche, docteur en géographie et maître de conférence à l'université Lyon-2 écrit: «La France, par la voix de Laurent Fabius avait déclaré: “Le Front Al-Nosra fait du bon boulot en Syrie contre Assad et donc il est difficile de les désavouer”», reprenant la formulation maladroite du Monde, en s'appuyant, nous explique-t-il, sur un bulletin d'information du Quai d'Orsay publié en 2012, où le ministre évoque «un groupe [menant] une action qui était efficace et utile au service des Syriens et contre Bachar Al-Assad», précisant qu'il était «très difficile de le récuser en tant que tel». La formulation est reprise quelques semaines après, toujours sur le site du Figaro Vox, par Roland Lombardi, docteur en histoire, puis encore en octobre, toujours sur le même site, raccourcie par Élisabeth Lévy, directrice de la rédaction du magazine Causeur.

Quatre jours plus tard, Nicolas Dupont-Aignan s'appuiera donc sur cette approximation linguistique sur le plateau de LCP pour lancer son «Je vous rappelle que les personnes que Monsieur Fabius trouvait sympathiques ont quand même décapité des enfants!» , suivi de près par Marine Le Pen. Cette intox, montée de toute pièce, fera même son chemin jusqu’aux débats de la présidentielle dans la bouche de la présidente du Rassemblement national (RN, ex-FN), puis dans celle de François Asselineau, candidat de l’Union populaire républicaine (UPR).

Le Pacte de Marrakech et le fantasme migratoire

Plus récemment, Nicolas Dupont-Aignan s’est illustré sur l’un de ses sujets favoris: l’immigration. Le débat a animé la droite et l’extrême droite, d’Éric Ciotti à Marine Le Pen, tous unis pour faire front contre la signature par la France du Pacte de Marrackech, censé mieux encadrer les processus de migration grâce à une meilleure coopération entre les pays d’accueil. Si au départ la signature de ce pacte, les 10 et 11 décembre 2018, était passée un peu inaperçue, le débat est remonté à la surface en France grâce notamment au site d’extrême droite Résistance Républicaine. Le 4 novembre, un article qualifiant de «mortifère» le pacte de Marrakech est publié sous la plume de Christine Tasin, qui en avait déjà parlé en décembre 2017 sans que ça ne soulève plus de réactions.

Quinze jours plus tard, Marine Le Pen publie un tweet dénonçant le «terrorisme intellectuel» du pacte de Marrakech. L’animateur du site d’extrême droite Fdesouche, Pierre Sautarel, publie à son tour le 21 novembre un tweet au sujet du Pacte. L’article auquel il renvoie est une resucée d’un papier de la Tribune de Genève expliquant que la Suisse se retire des négociations. Deux heures plus tard, l’hebdomadaire Valeurs Actuelles se lance dans la course sous le titre: «Le “Pacte mondial sur les migrations”, ou comment l’ONU impose un monde sans frontières».

Avant même que le Pacte de Marrakech ne gagne les débats entre «gilets jaunes», Marine Le Pen est la première à lancer la grande offensive. Le 28 novembre, le RN publie une pétition en ligne contre la signature du Pacte et sa présidente dénonce auprès du Figaro un «immigrationnisme radical». Le lendemain, Nicolas Dupont-Aignan s’exprime pour la première fois sur le sujet. Le 29 novembre, il publie un communiqué de presse demandant à Emmanuel Macron un «référendum d’initiative populaire». Il y dénonce par ailleurs un «piège migratoire», un «risque d’islamisme» et appelle à bloquer le «chaos migratoire» qu’installerait la signature de la France.

Le 6 décembre, le président de Debout la France (DLF) fait de nouveau référence au pacte de Marrakech dans une vidéo publiée sur Facebook sous le titre «Pacte de Marrakech: stop à la submersion migratoire!», filmée lors de la visite d’un camp de réfugiés installé Porte de la Villette, à Paris. Malgré les explications et précisions apportées depuis par de nombreux médias (Le Monde, Libération, franceinfo entre autres), Nicolas Dupont-Aignan répète finalement ses éléments de langage alarmistes le 20 janvier sur BFM-TV.

Le traité d’Aix-la-Chapelle, véritable intox made in DLF

«Macron, tel un Judas, va livrer l'Alsace et la Lorraine à une puissance étrangère.» C’est ce qu’affirme Bernard Monot, économiste et eurodéputé de DLF, dans une vidéo postée sur ses réseaux sociaux le 11 janvier et supprimée depuis. Un mensonge, ni plus ni moins, qui prend pour prétexte la signature par la France et l’Allemagne du traité d’Aix-la-Chapelle, censé renforcer la coopération diplomatique entre les deux États. Un traité évoqué abondamment dans la presse le 8 janvier (par des dépêches de l’AFP et de l’agence Reuters notamment).

Cette fois, Bernard Monot est le premier à en livrer une version complotiste et à lancer le sujet sur la place publique. Il est repris de volée par Nicolas Dupont-Aignan qui explique qu’il ne «l’aurait pas formulé comme ça, et on s’en est expliqué», sans toutefois préciser comment il l’aurait formulé. Dans la foulée de son eurodéputé, il publie le 18 janvier une vidéo dans laquelle il dénonce le «secret» qui entoure le traité, signé selon lui «en cachette».

Un traité pourtant annoncé dès le 8 janvier sur le site internet de l’Élysée, où était également fourni le texte intégral de l’accord franco-allemand. Pour appuyer son propos, le leader de DLF reprend une fausse information lancée deux jours plus tôt par… Marine Le Pen. Sur le plateau de BFM-TV, la présidente du RN affirmait que le traité implique pour la France de «partager son siège au Conseil de sécurité de l’ONU» avec l’Allemagne qui, elle, n’en dispose pas. Une information reprise telle quelle par Nicolas Dupont-Aignan qui, en «lisant entre les lignes», a compris la même chose et dénonce un «gaspillage» de ce siège par Emmanuel Macron. En réalité, si le traité prévoit bien que la France et l’Allemagne coopèrent afin que cette dernière obtienne à terme un siège au Conseil de sécurité, il ne prévoit en aucun cas le partage de celui de la France.

«Si la presse se trompe, on ne peut pas tout contrôler.»

Damien Lempereur, porte-parole de Nicolas Dupont-Aignan

Sur ce dernier point, Damien Lempereur, porte-parole de Nicolas Dupont-Aignan, assume. «Affirmer que le traité avec l’Allemagne est signé de manière très discrète, c’est vrai. On peut en discuter, mais il serait faux de dire que le sujet a été mis en avant par le gouvernement. Ce sont les opposants, de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, en passant par DLF, qui l’ont mis en avant.» «Le problème, ajoute le communiquant, c’est que le débat est parti sur des mauvaises bases. Sur Aix-la-Chapelle, il y a la vidéo de Bernard Monot, et on s’en est expliqués avec lui, on ne l’aurait pas dit comme ça c’est évident.» Damien Lempereur affirme par ailleurs qu’il «n’y a pas de stratégie de la fake news» chez DLF et rejette la faute sur la presse généraliste.

«Le but c’était de faire des coups médiatiques»

«Fabius et Al-Nosra, c’est un bon exemple! En 2016, nous voulons mettre sur la place publique l’attitude de la France vis-à-vis de certains groupes rebelles en Syrie à qui le gouvernement a livré des armes. Forcément, on tombe sur cette phrase de Fabius et on se dit qu’elle est percutante. Si on ne peut plus s’appuyer sur le Figaro Vox... Dans ce cas précis, c’est dans la presse généraliste, donc on le relaie. Si la presse se trompe, on ne peut pas tout contrôler.»

«La “submersion migratoire” que risque de provoquer le traité de Marrakech, on a le droit de le dire! On peut ne pas être d’accord, bien sûr, mais dire que c’est une fake news, non, désolé.»

Damien Lempereur, porte-parole de Nicolas Dupont-Aignan

Pour le reste, tout est question d’interprétation pour ce proche de Dupont-Aignan. «Même en 2012, quand on était moins connus, le but c’était de faire des coups médiatiques. C’est peut-être parfois un peu caricatural, mais on pense que ça vaut le coup. Et sur la “submersion migratoire” que risque de provoquer le traité de Marrakech, on a le droit de le dire! On peut ne pas être d’accord, bien sûr, mais dire que c’est une fake news, non, désolé.»

Interprétation sensiblement similaire sur le fameux «partage» du siège de la France au Conseil de sécurité de l’ONU. «À chaque fois qu’il en parle, Nicolas Dupont-Aignan précise que “de fait”, la France va partager son siège. On sait bien que ce partage n’est pas effectivement inscrit dans le traité, mais c’est notre façon de l’interpréter. Et, encore une fois, on peut bien sûr en discuter, et on a le droit de ne pas partager cette analyse.» Une vision développée presque mot pour mot par Jordan Bardella, tête de liste RN aux élections européennes. Sur France Inter le 22 janvier dernier, il affirmait: «On a le droit d'avoir un avis qui diverge des journalistes, ou qui diverge des éléments de langage du gouvernement.» Et tant pis si ces avis contredisent parfois les faits.

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