Il fallait arriver en avance pour s’assurer d’avoir une place assise. Malgré les quelques bancs ajoutés, une cinquantaine de fidèles restent debout pendant l’heure et demie que dure la cérémonie. D’autres ont eu la présence d’esprit d’apporter leur propre chaise pliante. L’imposante église Saint-Germain l’Auxerrois, au cœur de Paris, est pleine. Un lundi midi. Oui, mais un lundi 21 janvier.
Il y a 226 ans, le corps de Louis XVI était séparé en deux parties distinctes par l’action d’un couperet. Ce lundi, des dizaines d’églises à travers la France tenaient des cérémonies en souvenir du monarque décapité, à Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille, Versailles, mais aussi Bayonne, Mulhouse ou Toulon, et même à Tournai en Belgique et à Sarrelouis en Allemagne.
«Prier pour le roi, c’est prier pour la France»
À Saint-Germain l’Auxerrois, l’assemblée, composée d’environ 500 personnes, a les cheveux grisonnants –quand il en reste. Malgré le niveau de bienséance, quelques-unes se permettent de prendre discrètement une photo à l’iPhone. Il faut pouvoir dire qu’on y était.
Le caractère exceptionnel de la messe ne tient pas tant au fait qu’elle soit chantée en latin dans la forme extraordinaire du rit romain, avec prêtre tournant le dos à ses fidèles. Il vient plutôt du chœur, qui émouvrait même le plus ultra-laïcard des républicains.
Le prêtre ne s’y trompe pas. «Nous ne sommes pas à un concert», fait-il remarquer, avant d’inviter chaque fidèle à s’interroger sur sa présence ce jour-là. Certes, il doit bien y avoir quelques personnes simplement éprises d’histoire, attirées par la désuétude et l’anachronisme de la cérémonie, et qui viennent à la messe comme elles regarderaient avec avidité un «Secrets d’histoire» présenté par Stéphane Bern.
Mais l’office est avant tout un rendez-vous incontournable de la mouvance royaliste. Il réunit les contempteurs de la Révolution et de ses crimes, des indignés du régicide en tout genre, considérant la décapitation de la figure sacrée du roi comme principal point de rupture de l’histoire. D'aucuns parleront même du péché originel de la France.
Le sermon est l’occasion de réhabiliter l’héritage de Louis XVI, décrit comme un roi avant-gardiste, «beaucoup plus moderne que ceux qui ont réclamé sa tête». Son exécution est qualifiée alternativement d’«assassinat odieux», de «sacrifice» ou de «sacrilège».
Le prêtre insiste sur la dimension sacrée du corps du roi, sur la défense des valeurs chrétiennes et sur «la crise que traverse actuellement la France»: «Prier pour le roi, c’est prier pour la France.» L’assemblée boit du petit-lait.
Messe en hommage à Louis XVI à Saint-Germain-l'Auxerrois, au cœur de Paris | Hugo Wintrebert
Une fois le chant d’envoi conclu, Marie-Hélène attend l’abbé sur le parvis, pour le féliciter pour son sermon. Cette jeune retraitée de l’Éducation nationale de 66 ans est royaliste, comme son fils, mais contrairement à son mari, républicain –les repas en famille sont houleux, confie-t-elle. «Je ne crois pas en la démocratie, un régime corrompu par le pouvoir de l’argent.» Elle soutient le rétablissement d’un monarque, «qui rassemble et au-dessus des partis».
«J’y crois sans y croire. Disons que j’espère.» Marie-Hélène reste pragmatique. «Les gens ne sont pas prêts. Ils s’imaginent qu’on va retourner aux perruques poudrées et au petit doigt en l’air. On est tellement diabolisés, lance-t-elle, dépitée. Les gens ne croient plus en rien, de toute façon.»
À côté d’elle, Raphaëlle, professeur d’économie à la retraite, abonde: «La mort de Louis XVI a détruit la société et les croyances existantes. Résultat, on a une société désordonnée, qui n’a aucun but autre que le progrès. Mais le progrès pour quoi?»
«Parce qu’il faut vivre avec son temps»
Juste avant la cérémonie, Raphaëlle se tenait place de la Concorde avec 150 autres, drapeaux fleurdelisés au vent, à quelques encablures de l’endroit exact où était installée la guillotine révolutionnaire. Les messieurs sont souvent chapeautés, les rares femmes ont sorti leur manteau en vison.
Ici, le discours se veut plus politique. Il est question de la déliquescence du monde moderne, de l’absence de valeur et d’une France qui se perd. Un remède est prescrit: une bonne dose de catholicisme, un retour à «l’ordre naturel», avec à sa tête un souverain sacré.
Un abbé tente le parallèle entre la mort de Jésus sur la croix et celle de Louis XVI sur l’échafaud. Un orateur non identifié suggère la canonisation de Louis XVI; la proposition recueille quelques applaudissements gantés.
À 10h22, heure précise où le couperet est tombé 226 ans auparavant, un «Vive le roy!» revigore la foule transie par le froid. On lit le testament du roi, ainsi que ses derniers mots: «Français, je meurs innocent des crimes qu'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort, je prie Dieu que le sang qui va être répandu ne retombe jamais sur la France!» Dans l'assemblée, certaines personnes semblent profondément émues à la lecture de ce texte empreint d’une grande élévation de l’âme, marqué par la notion de pardon et loin de toute idée de vengeance.
Lecture du testament de Louis XVI lors du rassemblement royaliste place de la Concorde | Hugo Wintrebert
Jean-Michel, 56 ans, se demande encore comment un roi «qui n’a rien fait de mal» a pu subir un tel traitement. Il a imprimé sur une demi-feuille A4 un portrait d’un Louis XVI à l’allure débonnaire, qu’il porte d’une main ceinturée d’un chapelet. «Dieu et le Roi» est inscrit sur un écusson cousu sur son caban, surmonté d’une croix vendéenne.
Il défend l’instauration d’une monarchie constitutionnelle, comme au Royaume-Uni ou en Espagne, «parce qu’il faut vivre avec son temps» et «qu’il y a bien besoin de quelqu’un au-dessus de la politique». Fasciné par la guerre de Vendée depuis petit, Jean-Michel a chez lui un petit sanctuaire avec des portraits royaux, d’autres de généraux vendéens et une représentation du Sacré-Cœur. Il fait chaque année une commémoration privée avec sa famille.
Banquier le jour, il se dit «plutôt progressiste», c’est-à-dire selon lui centriste. Il vote –enfin, il prend un bulletin blanc sur lequel il dessine une fleur de lys. Mais surtout, Jean-Michel se désole que le mouvement royaliste soit noyauté par l’extrême droite.
«On ne pense pas que c’était mieux avant»
Le paysage royaliste français est effectivement dominé par l’Action française, un mouvement politique séculaire, d’influence maurrassienne. Chaque 21 janvier, elle organise une marche aux flambeaux partant de l’église Saint-Roch dans le 1er arrondissement parisien, où se rendent une centaine de personnes.
L’occasion de faire quelques discours bien sentis contre la Révolution, de critiquer la République et ses responsables politiques. Mais également d’éructer des slogans tels que «Gloire, honneur, au roi Louis XVI», «Ni droite, ni gauche, monarchie populaire» ou encore «France, jeunesse, royauté», le tout dans un nuage de fumigènes bleus et jaunes et devant des passants hésitant entre l’ahurissement et l’hilarité.
«On prend Louis XVI comme exemple d’un bon dirigeant, précise Antoine Berth, porte-parole de l’Action française. Comme Jeanne d’Arc. On a besoin de dirigeants qui seraient prêts à donner leur vie pour le bien commun. Je ne suis pas sûr que le dirigeant actuel soit capable d’une once de sacrifice pour le peuple.»
L’Action française revendique 3.000 membres, dont de nombreux jeunes, en première ligne lors de la marche aux flambeaux. «Quand on leur propose un système géré par un roi, qui aurait peut-être moins de pouvoir que le président de la République actuel, plus de démocratie directe, locale et participative, ces jeunes se disent: “Ça c’est intéressant, c’est pas du tout l’image que j’avais du royalisme”, relève Antoine Berth. On ne pense pas que c’était mieux avant. On ne veut pas du tout revenir à l’Ancien Régime. D’ailleurs, la façon dont on pourrait qualifier la monarchie qu’on voudrait instaurer –je dis bien instaurer et pas restaurer–, c’est une monarchie populaire. Pas de nobles, pas de titres, pas de privilèges, mais plus de démocratie, beaucoup plus que dans la Ve République.»
Place de la Concorde, le rassemblement se tient à quelques encablures de l'endroit où était installée la guillotine en 1793. | Hugo Wintrebert
Antoine Berth se dit convaincu de la possibilité de revenir à un régime monarchique. Mais alors, comment procéder pour restaurer un roi? «Il y a une petite boutade qui dit: “par tous moyens, même légaux”», s’amuse-t-il. Et la population française est-elle prête? «Oui. Regardez les sondages d’opinion. Il y a à peu près 20% des Français qui sont favorables au rétablissement de la monarchie. C’est déjà pas mal. Vu le contenu de l’enseignement à ce sujet par l’Éducation nationale, vu l’état des idées relayées par les médias, tous les a priori qu’ont les gens… 20%, c’est déjà bien.»
L’objectif d’une restauration par les urnes semble pourtant encore loin d’être atteint. L’Action française est proche de l’Alliance royale, un modeste parti politique créé en 2001. Elle présente des candidates et candidats à certaines élections, mais leurs scores dépassent rarement quelques dixièmes de pourcent.
Le paysage monarchiste est complété par la Nouvelle Action royaliste, un parti né d’une scission de l’Action française dans les années 1970, dont les membres sont d’influence gaulliste –leurs adversaires diront «monarchistes de gauche», une infamie selon eux.
«Un refus de faire commencer l'histoire à l’an 1789»
Mais alors, qu’est-ce qui lie toutes ces personnes rendant hommage à Louis XVI?
Baptiste Roger-Lacan, spécialiste de la royauté au XIXe et XXe, nous avait prévenu: «Le royalisme aujourd’hui, c’est un peu comme le trotskysme dans les années 1970. Il y a à peu près autant de petits groupes que de gens qui se disent royalistes, des scissions à ne plus savoir quoi en faire.»
Aux conflits politiques –défense d’une monarchie où le roi est plus ou moins puissant, plus ou moins conservateur, souverainiste, religieux…– se superpose une bataille capillotractée pour le trône de France. Il existe aujourd’hui deux prétendants à la Couronne: d'un côté, le Franco-Espagnol «Louis XX», Bourbon, descendant de Louis XIV; face à lui, «Jean de France», Orléans, descendant de Louis-Philippe et fils du comte de Paris, qui s’est éteint ce lundi alors qu’il devait se rendre à la messe de Saint-Germain de l’Auxerrois.
Résultat: il existe finalement autant de raisons de se rendre à un hommage à Louis XVI que de personnes qui y vont. Le seul dénominateur commun est sans doute cette nostalgie d’un temps que les royalistes n’ont pas connu. Pour Éric Mension-Rigau, spécialiste de la noblesse, «ces commémorations sont avant tout le symptôme d’un souci d’un certain nombre de Français d’être attachés à une histoire longue, et à un refus de la faire commencer à l’an 1789».
Sortie de la messe à Saint-Germain-l'Auxerrois et distribution de revues royalistes | Hugo Wintrebert
«On ne peut pas être monarchiste sans avoir une conception assez nostalgique de la société, souligne Baptiste Roger-Lacan. Une idée qu’il y a quelque chose qui aurait déconné en 1789, qu’il y a un fil qui a été rompu et qu’il faudrait restaurer. Mais ce n’est pas pour autant qu’un militant monarchiste vous dira qu’il est pour la stricte restauration de l’Ancien Régime. En revanche, il y a aussi une nostalgie plus générale, d’une société d’ordre, où les relations humaines ne sont pas juste économiques.»
Néanmoins, Baptiste Roger-Lacan ne peut s’empêcher de se poser la question de la sincérité des monarchistes. Ne faudrait-il pas voir en effet dans leur posture une manière de se distinguer, d’exprimer un sens de l’esthétique politique? Le spécialiste rappelle qu’au XXe siècle, les commémorations, sur la pente d’un long déclin, attiraient nombres d’écrivains germanopratins et d’anarchistes de droite qui, par élégance, par coquetterie, se disaient royalistes. Le royalisme serait-il devenu au XXIe siècle un dandysme? Au moins, à défaut de faire partie d'un mouvement massif, les royalistes peuvent jouer la carte de la singularité.