Société

La mercerie revient de loin, là où on ne l'attendait pas

Temps de lecture : 7 min

Exit les cavernes d’Ali Baba où tissus, rubans, ciseaux et pelotes de laine s’entassaient dans les cartons et la poussière. Un temps menacée de disparition définitive, la mercerie se réinvente quitte à viser un marché bien différent des origines.

Les merceries d’aujourd’hui sont bien différentes des capharnaüms d’Antan. | Josh Edgoosevia Unsplash
Les merceries d’aujourd’hui sont bien différentes des capharnaüms d’Antan. | Josh Edgoosevia Unsplash

La mercerie n’est pas morte. Mais elle revient de loin. De très loin même. Le métier remonte au Moyen Âge. «Marchand de tout, faiseur de rien», le mercier, à la différence des artisans qui ne commercialisent que leur production, vend les articles fabriqués par d’autres. Ce privilège fait son originalité, sa force et sa fortune. La mercerie est une corporation mais, cela tient presque de l’oxymore, une «corporation ouverte». Ouverte aux hommes comme aux femmes, ouverte aux Français comme aux étrangers, ouverte à la couture et à la broderie comme à la joaillerie et à la quincaillerie.

Sa diversité et son esprit d’ouverture lui permettent de surmonter avec succès l'abrogation des corporations par la Révolution. De ce premier acte de la libéralisation du marché français, la mercerie sort quasi indemne et pleine d’espoirs. Le développement de la mode et des premières maisons de couture au début du XIXe siècle lui ouvre même des perspectives de développement a priori sans limite. N’est-elle pas la forme la plus aboutie du commerce, un commerce généraliste, définitivement détaché de l’artisanat?

Incontestablement. À une réserve près: l’histoire du commerce moderne est riche en remises en cause brutales des positions acquises. La mercerie en fait l’amère expérience avec l’apparition du grand magasin, un redoutable concurrent. Même métier, mais à une autre échelle. Le changement semble aussi spectaculaire que celui de la grande distribution dans les années 1970-1980 ou du e-commerce dans les années 2000.

C’est bien simple: Au Bon Marché se présente comme la super-mercerie du XIXe siècle. Des clientes émerveillées découvre sous un même toit un choix inédit et incroyable de soieries, bonneteries, dentelles... Stupéfaits, les merciers pensent leur dernière heure arrivée. Heureusement pour la profession, les grands magasins s’adressent surtout à la bourgeoisie présente dans les plus grandes villes. Les perspectives ne sont plus aussi riantes qu’avant mais la mercerie résiste.

Au Bon Marché, Paris, 1863 | Wikimedia Commons

Le séisme du prêt-à-porter

En fait, le plus difficile reste à venir. Après l’apparition de l’industrie textile au XIXe siècle et du grand magasin, la profession subit un second choc, bien plus terrible, avec l’essor du prêt-à-porter et de la distribution spécialisée à la fin du XXe siècle. Jusque-là, le sort de la mercerie est intimement lié à au marché de la confection artisanale. On a du mal à l’imaginer aujourd’hui mais depuis des siècles, le peuple fabrique et reprise ses habits quand les plus riches les font faire. Cette réalité alimente l’activité des merciers mais aussi des tailleurs et des couturières.

Encore en 1950, la confection en série ne représente qu’un quart de la production de vêtements aux États-Unis et ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que le concept révolutionnaire du ready-to-wear fait son apparition en Europe. Changement d’ère. Plus la peine de fabriquer ou de faire fabriquer ses vêtements, l’industrie s’en charge, et pour pas cher. Une révolution au moins aussi considérable que la machine à laver! La France passe de près de 6.000 merceries dans les années 1980 à seulement une poignée au début des années 2000.

Mais les merciers ont la mémoire courte. Pour eux, comme pour tous les métiers aujourd’hui éprouvés, les grandes surfaces sont toutes désignées pour fournir d’excellents coupables. Maryvonne Le Gac, mercière à Belle-Île-en-Mer dans le Morbihan comme sa mère et sa grand-mère, témoignait en 2016 dans Ouest-France: «Jusqu’aux années 1970, il y avait vingt-six épiceries, cinq boucheries, quatre charcuteries, quatre drogueries, six magasins de vêtements et de tissus. La première grande surface s’est construite en 1971. Tout s’est dégradé, les boutiques ont commencé à fermer». Un réflexe compréhensible mais qui oublie un peu vite que c’est avant tout le prêt-à-porter qui a plongé le métier dans la crise.

Le grand retour du tricot

Et pourtant. Après avoir frisé les cimes du succès, la mercerie sait aussi repriser les bas. Depuis quelques années, une embellie pointe le bout de son nez. Des merceries refont leur apparition dans les centres-villes en surfant sur la vague du do it yourself (DIY). Ce n’est plus la nécessité qui fait loi mais celle du plaisir. Ce nouveau hobby venu de la culture anglo-saxonne a pris, ces dernières années, une véritable ampleur dans l’Hexagone et pousse de plus en plus de gens à customiser, relooker, créer des objets en tout genre. Cette pratique se retrouve aussi bien dans la mode que dans le bricolage, la décoration...

Béret fait main, crochet, à vendre

D’après un sondage OpinionWay réalisé en 2013, 61% des Français et Françaises pratiquent le fait main. Les raisons? Occuper leur temps de manière agréable (32%), réaliser des objets personnalisés (50%) mais surtout faire des économies pour 52% des personnes sondées. En ces temps de crise, le recours au DIY est effectivement un bon moyen d’alléger l’addition. C’est particulièrement vrai en matière de bricolage. Les garages solidaires en sont une parfaite illustration. Dans ces structures, les adhérentes et adhérents peuvent entretenir ou réparer leurs véhicules eux-mêmes sous le regard judicieux de mécaniciennes et mécaniciens professionnels à moindre coût.

Spécifique aux merceries, le tricot fait aussi des adeptes. Loin des vieux clichés de grands-mères tricotant sur leurs rocking chairs, de nombreuses personnes se passionnent de nouveau pour l’art de la laine et du fil. Cette activité connaît bel et bien un second souffle, et notamment sous l’influence des célébrités qui avouent ce penchant. «Que les stars s’y mettent et le fassent savoir comme Julia Roberts, tout de suite, cela devient plus glamour», commente Isabelle Pollet, responsable de projets chez Carlin International dans un article des Echos. Grazia révélait même, il y a quelques années, que l'acteur américain Ryan Gosling s’adonnait parfois à quelques rangs de mailles. Parce que oui, les femmes ne sont pas les seules amatrices de cette activité: une étude Ipsos révèle que 51% des hommes désireraient apprendre le tricot! Quelle manne pour les merceries!

Du commerce pour tous au commerce pour les bobos

S’il est vrai que la tendance DIY a mis la lumière sur les merceries, cela ne suffit pas, loin de là. Ambitionnant de conquérir un public beaucoup plus jeune qu’auparavant, elles ont dû innover pour tirer leur épingle du jeu. Du coup, les merceries d’aujourd’hui sont bien différentes des capharnaüms d’antan. La monoactivité n’est plus forcément la norme.

Parallèlement à leur activité principale de vente d’objets de couture, certaines de ces merceries d’un nouveau type proposent aussi bien des cours pour les novices que des espaces de détente où la clientèle peut profiter d’un thé. À Paris, La Mercerie fine située dans le XIe arrondissement s’inscrit dans cette tendance. La boutique propose par exemple trois types d’ateliers: des cours de couture, de tricot et de crochet.

Côté couture, les workshops s’animent sur différents plans, selon les besoins: coudre pour bébé, accompagnement de projet… et sur des thématiques comme réaliser un sac de sport ou encore coudre un tote bag, chouchou de la mode parisienne. Si la soif vous gagne après quelques crochets, la mercerie propose également un espace café décoré de coussins confectionnés par la gérante. On est donc loin de l’image vieillotte du bazar de couture.

Des merceries sur la toile

À l’heure du e-commerce, les merceries ont également investi la toile. Elles sont de plus en plus nombreuses à s’ouvrir à la vente en ligne. Des exemples? La célèbre Maison Sajou pour ouvrages de dames créée en 1805. Près de 200 ans après son ouverture, en 2005, la mercerie parisienne connaît une renaissance grâce à son site internet.

Autre cas illustratif: l’entreprise Paritys fondée en 1946, devenue Frou-Frou Mercerie Contemporaine. Disposant de deux points de vente dans Paris, la mercerie familiale dispose d'un site sur lequel toute une gamme de produits et de tutoriels sont proposés. Les réseaux de mercerie ne restent pas à la marge de ce phénomène.

Phildar, détenteur de 1.250 points de vente en France, Belgique et aux Pays-Bas, a aussi entamé sa mue depuis le début des années 2000. Leader français du fil à tricoter, la marque a lancé en avril 2003 une nouvelle version de son site. Ce dernier met en situation les consommatrices qui se lancent dans le tricot. Des fiches sont régulièrement publiées: certaines proposent jusqu’à l’intégralité des informations nécessaires pour réaliser un modèle, d’autres sont des compléments d’explication pour des modèles présentés dans des magazines comme Femme Actuelle. Tous les ustensiles et conseils nécessaires à la création sont par ailleurs disponibles à l’achat en ligne.

Reste à relativiser la portée de ce nouveau rebond de la mercerie. Les commerces renaissent dans les villes d’une certaine taille, la plupart du temps dans des quartiers fréquentés par une population disposant d’un pouvoir d’achat élevé. Il n’est pas permis à tout le monde de pouvoir s’offrir un cours de couture avoisinant les quarante euros (prix pour coudre un tote bag à La Mercerie fine). Alors, dernier snobisme pour bobos des villes? Sans doute un peu. Il n’en reste pas moins que le marché reprend confiance en lui. A Little Market, une petite start-up française spécialisée dans le fait main qui a vu le jour en 2008, a été rachetée en 2014 pour 75 millions d’euros par Etsy, le géant américain du secteur.

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