Plusieurs centaines de djihadistes belges, français, allemands, canadiens, américains et autres croupissent depuis des mois, voire quelques années déjà dans les prisons des différents acteurs en Syrie, sans qu'aucun procès local ou rapatriement n'ait lieu. Au mieux, ils sont condamnés de manière hâtive et arbitraire sur le sol syrien ou après leur transfert ailleurs, déplorent des ONG.
À elles seules, les forces kurdes détiennent quelque 800 djihadistes étrangers, originaires de quarante-six pays, ainsi que 600 femmes et 1.250 enfants issus des familles de ces combattants partis en Syrie pour accomplir leur jihad, selon les estimations.
Face au refus de leurs gouvernements respectifs de les rapatrier et à celui des autorités kurdes de les juger sur place, ces citoyens occidentaux, qualifiés sans distinction aucune de «terroristes» et abandonnés à leur sort, vivent dans l'attente d’un dénouement tandis que certains sont transférés en Irak où ils subissent des procès expéditifs et «inéquitables», selon Human Rights Watch (HRW).
Les représentants politiques des forces kurdes en Syrie ont maintes fois dénoncé l’obstination des pays occidentaux à détourner leur regard de cette question et de refuser d'accueillir leurs ressortissants et de les juger selon les lois en vigueur.
«Tous les pays de l'UE sont concernés, mais aucun ne nous a demandé l'extradition de ses ressortissants. Il refusent de prendre leurs responsabilités et nous laissent supporter ce fardeau», avait ainsi insisté fin octobre à Bruxelles Abdel Karim Omar, en charge des Affaires étrangères au sein de l'administration kurde semi-autonome.
Depuis le début du conflit en Syrie, la France a accepté de rapatrier près de 260 adultes et quatre-vingts mineurs ayant rejoint la Syrie ou l'Irak, mais plus de 700 adultes et 500 enfants se trouvent encore dans la zone syrio-irakienne, selon le gouvernement français, dont plusieurs dizaines détenus par les forces kurdes.
Têtes pensantes du djihadisme
Cette réticence des gouvernements occidentaux est liée aux craintes d’un retour de vétérans du djihadisme et de la résurgence d’actes terroristes sur leur sol.
Parmi les détenus dans les camps kurdes se trouvent notamment l’un des plus célèbres djihadistes français, Thomas Barnouin, connu sous le nom d’Abou Oussama al-faransi, ainsi qu’Émilie König et Salim Benghalem, qui aurait, en revanche, été tué il y a un an.
D'autres djihadistes réputés comme Alexanda Amon Kotey et El Shafee el-Sheikh, tous les deux britanniques, sont également aux mains des forces kurdes.
Ils sont soupçonnés d'avoir décapité une vingtaine d'otages, parmi lesquels le journaliste James Foley et son confrère Steven Sotloff.
Les Unités de Protection du peuple (YPG), principale milice kurde en Syrie, soutenue par Washington, ont réussi ces dernières années à chasser l’organisation EI de plusieurs de ses fiefs en Syrie, prenant en otage au passage plusieurs combattants étrangers.
Cette dynamique s’est accélérée au cours des derniers mois en même temps que l’atrophie territoriale de l’organisation EI, dissuadant d’autres ressortissants occidentaux de rejoindre le groupe djihadiste en Syrie. Ils sont désormais une centaine de combattants étrangers à rallier chaque mois les rangs de l'organisation, contre 1.500 arrivées mensuelles il y a trois ans, selon Washington.
Les enfants d'abord
Si le rapatriement de ces figures de proue et d’autres récidivistes potentiels pose problème pour de nombreux pays d'Europe, la Belgique et la France ont récemment accepté de rapatrier les enfants détenus par les Kurdes. Paris s’est dit prêt à recevoir jusqu'à 150 mineurs si leurs mères acceptaient de s'en séparer.
«Ceux qui ont commis des délits ou des crimes en Irak et Syrie doivent être jugés en Irak et Syrie»
Les conditions de vie déplorables auraient été à l’origine de cette prise de décision. Abandonnés à leur sort, sans école ni soins d'aucune sorte, ces mineurs évoluent dans des camps où l’hygiène laisse à désirer et les maladies prolifèrent. Leur éventuelle radicalisation aurait également motivé cette concession qui exclut les épouses des combattants, considérées comme des militantes de l’organisation EI.
«Ceux qui ont commis des délits ou des crimes en Irak et Syrie doivent être jugés en Irak et Syrie», a insisté en octobre le ministère français des Affaires étrangères. «L'exception c'est les mineurs, dont la situation sera examinée au cas par cas. On a un devoir particulier de sauvegarder l'intérêt supérieur de l'enfant», a ajouté le Quai d'Orsay.
Mais des voix se sont élevées pour dénoncer une décision «hypocrite» et «inhumaine». «C'est scandaleux et hypocrite de la part du gouvernement français», a ainsi déploré en octobre Bruno Vinay, avocat d'Emilie König, dans un entretien avec l’AFP. «La France laisse ces femmes seules face au choix inhumain de se séparer de leurs enfants», a-t-il ajouté.
Procès inéquitables
Autre source d’appréhension pour les organisations de défense des droits de l’Homme: les procès expéditifs dans des pays où certains djihadistes sont transférés.
Fin octobre, HRW a ainsi dénoncé l’envoi par les forces américaines de djihadistes présumés de Syrie vers l’Irak, mettant en garde contre les risques de torture et de procès inéquitables.
Le procès de Djamila Boutoutaou, condamnée à perpétuité, a duré moins d’une demi-heure, alors que cette française a démenti son appartenance à l’organisation EI.
Plusieurs jugements hâtifs ont déjà défrayé la chronique. Celui de Djamila Boutoutaou, condamnée en avril à perpétuité, a duré moins d’une demi-heure, alors que cette française a démenti son appartenance à l’organisation EI et affirmé avoir été piégée ainsi que ses enfants par son mari.
La condamnation en janvier d’une djihadiste allemande à la peine capitale, suivie de l’exécution de treize djihadistes non-occidentaux en juin, a ravivé davantage le débat en Europe sur le droit de ces citoyens et citoyennes à un procès équitable.
La ministre française de la Justice, Nicole Belloubet, s’est voulue rassurante, soulignant début 2018 que la France «interviendrait» si des djihadistes français détenus en Irak ou en Syrie étaient condamnés à la peine de mort.
Mais le chemin vers un procès juridique, avant même le jugement, est déjà parsemé de nombreuses irrégularités au regard du droit humanitaire international, estiment certains. Dans un entretien au quotidien La Croix, le président d’honneur de la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH), Patrick Baudoin, a évoqué des conditions de détention «extrêmement difficiles, dans les prisons de Bagdad et des alentours, tant sur le plan sanitaire qu’alimentaire» et un «exercice très limité du droit de la défense».
Quant à la Syrie, «c’est l’omerta totale», selon M. Baudoin, pour les djihadistes détenus par le régime de Bachar el-Assad, alors que les autorités kurdes refusent toujours de juger leurs otages selon leurs lois.
Ouighours, Ouzbeks et Tchétchènes
À cet imbroglio propre aux djihadistes occidentaux, s’ajoute le sort plus incertain d’autres djihadistes étrangers: des combattants venus d'Ouzbékistan, de Tchétchénie et de la région autonome ouïghoure en Chine –dominée par une communauté turcophone et musulmane–ont rejoint la Syrie ces dernières années. Honnis dans leurs pays d’origine, un blackout total règne sur la détention et les procès de ceux, parmi eux, ayant été enlevés.
Le contingent étranger le plus important se trouve au sein du Parti islamique du Turkestan (TIP), dont les membres appartiennent à la minorité musulmane chinoise confrontée à une forte répression dans la région du Xinjiang.
Quant aux Ouzbeks, ils ont rejoint des groupes tels que Katibat al-Tawhid wal-Jihad ou la brigade Imam al-Bukhari. Enfin, les jihadistes tchétchènes combattent essentiellement au sein de Jund al-Sham et Ajnad Kavkaz. Il s'agit pour leur plupart de vétérans des guerres brutales entre Russes et indépendantistes tchétchènes. Moscou souhaiterait ainsi en éliminer le plus grand nombre sur le sol syrien, tandis que les otages parmi eux seraient soumis à des actes de torture ou auraient déjà été exécutés, selon des ONG locales.