«Bonne année, bonne santé, meilleurs vœux!» Après les myriades de «À l’année prochaine» de fin décembre prononcées sur le ton de la blague, les échanges sociaux du mois de janvier, entre collègues, voisins et jusque dans la queue chez le boulanger, sont rythmés par ces expressions toutes faites.
On se souhaite le meilleur pour l’année à venir, un peu comme on se dirait «Salut, ça va?», sans attendre forcément la réponse. Il n’y a pas qu’à l’oral que le phénomène se produit: les mails professionnels débutent par un «Tous mes vœux pour l’année qui commence», les SMS et conversations WhatsApp où l’on s’écrit et s’écrie «Bonne année!» –avec plus ou moins de points d’exclamation– affluent, les posts Facebook où l’on adresse ses vœux à tous ses contacts sans discrimination sont légion.
Quelques cartes de vœux atterrissent également dans les boîtes aux lettres –ou, dans leur version 2.0, dans les boîtes de réception. On peut se demander à quoi elles servent, au vu des multiples autres possibilités de se souhaiter une excellente année.
«Pourquoi certaines personnes ont-elles encore recours à ce moyen apparemment archaïque qu’est la carte de vœux?», formule la psychosociologue Dominique Picard, notamment autrice du «Que sais-je?» Politesse, savoir-vivre et relations sociales. Eh bien tout simplement parce que ce bout de carton est un symbole fort, qui permet de marquer le lien amical –et bien plus encore.
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Pensée magique d’appartenance
D’abord, «les vœux de la nouvelle année, c’est une tradition qui a un sens, pointe la spécialiste de la politesse. Il s’agit, lors d’une occasion, de confirmer les liens que l’on a avec un groupe social», de marquer qu’ils ont fait partie de notre histoire et que l’on a envie qu’ils perdurent dans le futur. Ce qui est loin d’être accessoire: «Pour exister, on a besoin de se sentir rattaché.»
En d’autres termes, nous ne sommes pas que des individus: nous faisons partie de différents cercles, amicaux, familiaux, professionnels ou sociétaux, et ces affiliations sont des constituantes de notre identité. «L’échange de vœux, c’est une façon de se dire: “On appartient au même groupe”», ponctue Dominique Picard. D’autant que, ce faisant, «on s’inscrit dans l’histoire de ses groupes sociaux».
Profiter de la nouvelle année pour s’adresser des vœux fait également écho aux célébrations passées du solstice ou de l’équinoxe, et donc de la nouvelle saison. «Les vœux pour la nouvelle année appartiennent à la pensée magique, note Laurence Brunet-Hunault, maîtresse de conférences en linguistique et sémiologie à l’Université de La Rochelle. C’est une façon de souhaiter à quelqu’un la réalisation de ses désirs au moment où du nouveau apparaît, la nouvelle année manifestant comme une page blanche sur laquelle chacun de nous pourrait écrire ce qu’il désire le plus. Ces souhaits sont offerts comme des prières à l’intention de divinités depuis longtemps oubliées, prières qui seraient autant de talismans pour nous protéger tout au long de l’année.»
«Les illustrations classiques figurant sur les cartes de vœux appartiennent aux symboles magiques qui accompagnent les fêtes et le solstice d’hiver.»
Après le «10, 9, 8, 7... BONNE ANNÉE», c’est comme si les compteurs étaient remis à zéro. «La nouvelle année, c’est le moment où l’on émet mentalement des vœux pour soi, les “bonnes résolutions”, même si l’on n’est pas sûr de les tenir, abonde Dominique Picard. On a l’impression que quelque chose commence, et que l’on peut effacer ce qui a été mauvais, quand l’année précédente a été difficile. C’est symbolique.»
Ce n’est pas pour rien que «les illustrations classiques figurant sur les cartes de vœux appartiennent aux symboles magiques qui accompagnent les fêtes et le solstice d’hiver, ce passage vers le renouveau de la nature», fait remarquer la sémiologue Laurence Brunet-Hunault.
Outre les flocons de neige, les boules et les guirlandes dorées de Noël, on y retrouve de fait des illustrations de sapin, de gui et de houx, autant de plantes symbolisant la vitalité grâce à leur feuillage vert persistant. Sans oublier que «la lumière est un indice sémiologique récurrent de nos cartes de vœux, dans la dénotation directe de ce que signifie le solstice». En somme, après les ténèbres –hivernales, au sens propre, ou dans le domaine médical, sentimental ou salarial, au sens figuré–, revoilà la clarté.
Objet de valeur personnalisé
Même sans conifère ni arbrisseau toujours vert éclairé d’une douce lumière dorée, opter pour l’envoi d’une carte de vœux est en soi une façon de perpétuer la tradition. Il était, encore au XXe siècle, de coutume de rendre visite dans la première quinzaine de janvier à son entourage pour lui adresser ses vœux, en s’échangeant des cartes où étaient inscrites les formules rituelles –et, en cas d’absence, d’en laisser une pour attester son passage, mais aussi et surtout de la pensée que l’on avait eue pour son destinataire.
«On fait l’effort de choisir et d’acheter une carte de vœux, de se servir d’un stylo, que l’on utilise peu le reste de l’année, d’acheter un timbre.»
«Je l’ai fait avec mes grands-parents et mes parents: on rendait visite à la famille et nous, les enfants, leur donnions une carte, témoigne Laurence Brunet-Hunault. Pour les membres de la famille plus éloignée du lieu où nous vivions, il fallait absolument envoyer les cartes par la Poste.» Se souhaiter la bonne année, c’est donc avoir les mêmes codes et grâce à cette manifestation de politesse, se sentir moins isolé.
C’est là que la carte va plus loin qu’un automatique «Mes vœux les plus sincères» par mail: elle s’inscrit dans une tradition qui se distingue des moyens quotidiens actuels de communication. «On fait l’effort de choisir et d’acheter une carte de vœux, de se servir d’un stylo, que l’on utilise peu le reste de l’année, d’acheter un timbre. C’est donner un peu plus d’importance et de valeur à ses vœux, les marquer de façon un peu plus solennelle», ajoute Dominique Picard. La rédaction d'une carte nécessite effectivement plus de temps qu’un «Bonne année!» lâché dans la rue au sortir de sa soirée de réveillon, qu’un envoi SMS groupé ou qu’un post Facebook indifférencié.
La valeur de la carte de vœux vient aussi de son côté personnalisé. «Il s’agit de renforcer le lien et de le manifester comme unique. C’est quelque chose que l’on retrouve beaucoup dans la politesse: il existe plein de rituels, mais on les personnalise», détaille la psychosociologue.
Il n’est pas seulement question de se rassurer en s’affiliant à un groupe ou en émettant des souhaits en touchant du bois. «On sait bien que tout le monde se souhaite la bonne année. Mais le clan pour lequel on veut marquer quelque chose, il faut qu’il y ait une différence.» C’est-à-dire que, une fois les vœux reçus, encore faut-il avoir l’impression qu’ils nous sont individuellement adressés et non de recevoir un tract. Signe que pour conserver le lien avec la tradition, mais aussi avec ses proches, tout est une question d’adresse.