Culture

Ces albums que la rédaction de Slate a écoutés en boucle en 2018

Temps de lecture : 8 min

Sélection (dans l'ordre alphabétique) des artistes qu'on a préférés et à côté desquels vous êtes peut-être passés.

Écoutez, c’est bien. | Malte Wingen via Unsplash CC
Écoutez, c’est bien. | Malte Wingen via Unsplash CC

Flavien Berger / Contre-Temps

C'est certainement l'album le plus étrange de 2018. Mais aussi l'un des plus beaux. Trois ans après le très remarqué Léviathan et son exploration des fonds marins, Flavien Berger revient avec un second album, Contre-Temps. Le Parisien a pris son temps pour écrire la suite de son odyssée électronique. Il en ressort un disque électro-pop expérimental mais abordable, où se mêlent des sons abstraits, des voix inattendues, des mélodies tantôt mélancoliques, tantôt enjouées. Son talent réside dans sa capacité à savoir parfaitement harmoniser tous ces éléments, créant un album envoûtant, sensuel, profondément singulier.

Hélène Pagesy

Guillaume Léglise / Fictions

«One-man band» de la scène indé, Guillaume Léglise ne compte plus les changements de casquette qui lui permettent de mener tous ses projets de front. Aux manettes de nombreux projets pop ou électro comme arrangeur, mixeur ou producteur (Lisa Li-Lund, Victorine, Rubin et le Paradoxe...), il joue aussi des claviers et d’une guitare acérée avec le groupe Vox Low.

Sur son dernier projet en date, Fictions, dont l’EP1 est sorti le 1er juin, plane une mélancolie cinématographique exhalée d’élégants pianos disco. Un tournant résolument french pop pour ce garçon qui s’est inspiré des années 1980, de Voulzy, Gainsbourg, Murat, de l’Italo disco et de l’électro pointue des années Pulp, sans tomber pour autant dans la redite.

Conçus par Guillaume Léglise avec son parolier Alexandry Costa entre les Moog et les guitares de son ancien studio rue de Rochechouart, ces cinq titres bénéficient d’une production soignée et se lovent dans l’oreille à force de mélodies entêtantes. On se prend à divaguer à l’écoute des évocations nimbées d’un érotisme à la Sébastien Tellier du «Flashback» qui ouvre l’opus. Composée au piano et agrémentée des sonorités du DX7, cette première piste donne le ton d’un EP gravé aux élans nostalgiques, à condition qu’ils soient poético-synthétiques. Une subtilité que Guillaume Léglise décline sur «UFO» –dont le clip sortira fin janvier– et «Sang bleu». Plus up tempo, suit le tubesque «Disco Revolver» où ressurgit d’outre-Palace, sur des basses fat, l’écho du revolver d’une certaine Leslie Winer (une habituée du club mythique qui aurait tenté de se suicider sur le dancefloor). En invoquant Pialat, Loulou en tête, le producteur nous offre à voir autant qu’à écouter. Des images que chacun aura libre cours de laisser planer. D’autant que Guillaume conclut en nous baladant des Grands Boulevards à Rochechouart, une rue où vous chercherez aussi une trace laissée par la tasse du café de sa «Lady B.» (avec un «Bi» comme Birkin), quand vous aurez tout ouï des fantasmes dont est composé l’EP…

Barbara Cahen

Heavy Heart / Love Against Capture

Peut-être pas le meilleur album de l’année mais certainement mon préféré. Les Nantais de Heavy Heart continuent sur la lancée de leur dernier album, Distance, avec Love Against Capture, leur cuvée 2018. Pour qui est client de leur style de pop-punk un peu émo sur les bords, Love Against Capture est tout ce qui fait le genre et c’est toujours un plaisir d’y revenir. Avec des textes où le groupe rêve éveillé de ses amours perdues, de son utopie anarchiste, toujours un peu des deux à la fois.

Barthélemy Dont

Janelle Monáe / Dirty Computer

Prince. Stevie Wonder. Brian Wilson. Il faut déjà une sacrée dose de talent pour travailler avec ces trois-là, mais alors pour les réunir sur un seul album? Sans pour autant perdre son identité, bien au contraire, ou s'effacer derrière les invités? C'est presque impensable, mais Janelle Monáe l'a fait avec Dirty Computer. La chanteuse mérite toutefois mieux qu'une liste de patrons, aussi importants soient-ils; loin de moi l'idée de la résumer et de la cacher derrière ces trois noms –c'est surtout à mes yeux une preuve supplémentaire de combien elle peut être impressionnante.

Tour à tour funk, soul et R&B (ou tout ça à la fois), Dirty Computer est plus pop et accessible que ses deux précédents opus, un peu moins novateur… mais beaucoup plus personnel: Janelle Monáe ne s'y planque plus derrière le personnage de Cindi, androïde qui lui servait jusqu'ici d'alter-ego. «Je sais [depuis au moins dix ans] que j'ai besoin de faire cet album, mais je l'ai repoussé encore et encore car son sujet est… Janelle Monáe La chanteuse fait son coming-out (elle est bisexuelle ou pansexuelle, elle n’est pas sûre), alterne entre hymnes vantant les plaisirs du sexe et «odes au black power, à la fierté qui va avec, et aux difficultés liées à cet héritage». Dirty Computer est festif, pêchu, entraînant, mais il est surtout engagé. Politique. Queer, féministe, noire, Janelle Monáe ne se cache plus: elle assume et force le monde à la regarder et à l’écouter, dans l’espoir de le faire changer.

(Je lui donne aussi un point bonus pour avoir réussi à rendre Pharrell Williams à nouveau supportable, ce qui n'était pas une mince affaire après l'overdose de ces dernières années)

Quelques citations, pour finir:

«If you try to grab my pussy cat, this pussy grabs you back»I Got The Juice»)

«Black girl magic, y'all can't stand it / Y'all can't ban it, made out like a bandit / They been tryin' hard just to make us all vanish / I suggest they put a flag on a whole 'nother planet» Django Jane»)

«Hundred men telling me to cover up my areolas / While they blocking equal pay, sippin' on their Coca Colas»Screwed»)

«Got juice for all my lovers, got juice for all my wives / My juice is my religion, got juice between my thighs» («I Got The Juice»)

Saeptem

Kadhja Bonet / Childqueen

Des (probablement trop) nombreux albums que j’ai écoutés cette année, il y en a finalement peu qui m’auront vraiment accompagné. À l’heure de faire un choix, si j’aurais pu longuement parler de l’éclatant Freedom d’Amen Dunes, c’est le deuxième album de la Californienne Kadhja Bonet qui s’est le plus longuement révélé à moi, avant de m’éclater en pleine face lors d’un merveilleux concert donné au Café de la Danse fin octobre. Deux ans après The Visitor, qu’elle considérait elle-même comme un brouillon, Childqueen démontre le talent hors-norme de compositrice et de chanteuse de la tout juste trentenaire: écrit, arrangé, produit et mixé par ses soins, ce disque n’appartient qu’à elle, Bonet y assurant même chaque note de chaque instrument –ou presque, consentant juste à laisser quelques parties de basse à un ami.

Ignorant la facilité et porté par son lot de grands moments («Delphine», «Second Wind»....) et l’imparable single «Mother Maybe», pour lequel Bonet s’est souvenu «à quel point les femmes sont puissantes dans ce monde», Childqueen est –et ce n’est pas un mince exploit en 2018– un album soul hors du temps, bourré de détails et de beauté pour qui saura tendre l’oreille, et dont même les chutes de studio semblent être venues d’ailleurs. Kadhja Bonet s’est envolée, et vous feriez bien de l’accompagner.

François Pottier

Léonie Pernet / Crave

Quand une artiste enthousiasme Les Inrocks, Inter et Gala, c’est qu’elle a un truc à part. Un éclectisme, dirait-on, un peu par paresse. Pourtant, on aurait raison: aucun titre de Crave, le premier album de Léonie Pernet, ne ressemble aux autres.

Voix évoquant Marilyn Manson («African Melancholia») ou Keren Ann («Crave»), instrus électro sombres et aériennes («Father»), plus gaies («Butterfly») ou orientalisantes («Auaati»), textes originaux ou empruntés à Duras («Indian Song») et au poète François de Malesherbes (le superbe «Rose», inspiré de la Consolation à M. Du Périer); tous différents, mais tous mettent la même claque. Cette variété, Pernet la porte en elle: c'est seule qu'elle a travaillé ses douze titres, avant de s'en remettre à Stéphane Alf Briat, le producteur de Phoenix, Air et Sébastien Tellier, pour le mixage de cet album d'une impériale mélancolie.

Crave, ou craving, «c’est le manque. Plein de gens disent que c’est l’envie mais ce n’est pas l’envie, c’est le manque, l’addiction», dit-elle. Exactement ce que l'on ressent quand sa musique s'arrête.

Christophe Carron

Low / Double Negative

C’est sale, presque inaudible, débordant de parasites électriques et de bugs électroniques, recouvert de bruit confus, du crépitement affolé d’un compteur Geiger dépassé, plongé sous une poussière d’un noir luminescent et radioactif, tordu comme l’acier porté au rouge par l’éruption qui débute. C’est la bande-originale de notre Pompéi post-moderne et numérique, le pouls d’humanités sur le point de s’effondrer, les derniers coups de couteau portés à l’obscurité, dans l’espoir de la déchirer, de trouver enfin un peu d’air, quelques traces de lumière.

C’est surtout un disque, le plus beau de l’année, la tête dans les étoiles mais les pieds dans la fange, la rage puisée dans le désespoir: Double Negative des Américains Low, inventeurs involontaires du «slowcore», l’un des groupes les plus durablement passionnants des deux dernières décennies, qui enchaîne les merveilles lentes et rugueuses avec une admirable régularité.

Ce n’est certes pas vraiment un album très rigolo. Mais il est d’une beauté, d’une vérité, d’une acuité absolument sidérantes: ainsi salopées par cette production radicale, rouées de coups par ces sonorités cradingues, les chansons inouïes du groupe et le mariage céleste des voix magiques de Mimi Parker (<3) et d’Alan Sparhawk (<3) offrent à ceux qui auront le courage de s’y frotter un drôle de désir d’apocalypse.

Thomas Burgel

Parcels / Parcels

Vous l'aurez lu ici en premier: l'année prochaine cet article de Slate sera consacré aux livres de 2018 et non plus aux albums. En attendant je me plie une nouvelle fois à l'exercice de trouver dans mes sons favoris quelque chose qui ne date pas des années 1990-2000. Ce sera Parcels, des Parcels. Parce que ça sent bon l'été mais que ça a la profondeur pour passer l'automne, pour l'influence très nette de Daft Punk et celle plus subtile des Beach Boys, pour le côté vintage de ses cinq garçons australiens cheveux dans le vent, pour la joie procuré par l’électro-funk.

Hélène Decommer

Scratch Massive / Garden of Love

Sept ans après Nuit de rêve, Sébastien Chenut et Maud Geffray sont revenus fin octobre avec ce quatrième album poétique. Si son titre est tiré d'une oeuvre de William Blake, Garden of Love a été enregistré à Los Angeles. On retrouve l’atmosphère de la ville à travers leurs synthés, toujours aussi précieux, et des boîtes à rythmes aux influences plus hip hop. Le duo signe un disque techno et hypnotique. La voix de Maud, qui a pris le temps de voler de ses propres ailes, est plus claire mais toujours envoûtante («Last Dance»).

Le duo a invité des artistes qui collent parfaitement à leur univers: Léonie Pernet, qui vient de sortir un premier album remarquable (voir plus haut), pour le titre «Sunken» ou Tobias Buch, sur «Numéro 6». Peut-être pas leur album le plus club, mais celui qui vous emmènera le plus loin de chez vous.

Constance Daulon

Pour le reste des titres le plus écouté à la rédac, rendez-vous sur notre playlist 2018 sur Spotify.

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