Cela fait des décennies que le film de Noël est considéré comme un genre en soi, une institution, un incontournable qui s'accompagne de chocolat chaud fumant, de plaids bien épais et de feux de cheminée (à condition d'avoir une cheminée). De façon assez surprenante, personne ne s'est réellement emparé des films de Saint-Sylvestre, ou des films de Nouvel An, alors que Netflix aurait sans doute le budget pour en produire une trentaine par an et inonder le marché.
La symbolique est pourtant aussi forte qu'universelle: passer du 31 décembre au 1er janvier, c'est opérer un basculement inexorable vers une autre ère, observer son propre vieillissement, dire au revoir à une année potentiellement merdique en faisant semblant d'entrevoir la lumière au bout du tunnel –alors que, spoiler, dans la vraie vie, l'année fraîchement écoulée finit par s'avérer moins atroce que la suivante.
À l'aube de l'an 2000, on a tout de même senti frémir quelques cinéastes, chez qui ce chiffre tout rond éveillait des envies de nouveau départ, de nouveau monde. La crainte du fameux «bug de l'an 2000» ne faisait d'ailleurs que renforcer le sentiment selon lequel tout allait peut-être s'écrouler pour laisser place à autre chose, un truc encore indéfini mais tout à fait excitant.
Bizarrement, le film qui a le mieux retranscrit ce sentiment d'ivresse et de désarroi ne parle pas du tout de la nouvelle année. Il s'agit de Fight Club, dont la dernière scène sur fond de «Where is my mind?» des Pixies laisse flotter un incroyable parfum de fin du monde.
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«Strange Days», l'exultation et le chaos
Quelques années plus tôt, dans un tout autre contexte, c'est sans doute Strange Days qui parvint le mieux à rendre palpable le fait que passer de 1999 à 2000 soit comme un saut en parachute sans parachute, un geste un peu fou susceptible de nous faire passer de vie à trépas comme de nous faire évoluer vers un monde meilleur. Sorti début 1996 en France, le chef-d'œuvre de Kathryn Bigelow n'a rien perdu de sa superbe, en dépit d'une temporalité qui aurait vite pu le reléguer au stade de vestige un peu ringard.
Strange Days se déroule en effet quelques jours avant le passage à l'an 2000. Sa vision du XXIe siècle, excessivement futuriste et complètement dingue, aurait pu se périmer rapidement, mais il n'en est rien: la noirceur du scénario coécrit par James Cameron et la dureté du regard de Bigelow ont fini par en faire un film intemporel.
Dans ce qui est autant un film d'anticipation qu'un thriller viscéral, Kathryn Bigelow utilise les minutes précédant minuit de façon quasi hitchcockienne. Strange Days rappelle les deux versions de L'Homme qui en savait trop, où Sir Alfred se servait des coups de cymbale de l'orchestre symphonique du Royal Albert Hall comme de véritables ressorts dramatiques.
Dans Strange Days, Bigelow aligne avec précision la destinée des personnages principaux et celle d'une ville de Los Angeles en proie à des émeutes d'une violence absolue, mais néanmoins résolue à fêter comme il se doit le passage au millénaire suivant. Les figurantes et figurants ne portent pas de gilet jaune, mais le cœur y est.
Au centre du film, il y a ces vidéos subjectives que l'on peut visionner à l'aide d'un casque dédié, et permettant de revivre une scène marquante comme si on y était. De nos jours, cela s'appelle de la réalité virtuelle. La force de Strange Days, c'est de réussir à être un film cérébral tout en s'emparant sans cesse de notre petit cœur: on a bêtement très envie que le héros joué par Ralph Fiennes s'en tire et que sa meilleure amie (Angela Bassett, on t'aime) accède au bonheur. À condition de ne pas se faire abattre par des flics haineux pour qui il est hors de question qu'une femme noire tente de prendre le dessus.
C'est exactement ce qui se joue dans les dernières minutes du film et dans les derniers instants de l'année 1999 telle que la filme Bigelow: tandis que le monde menace de s'écrouler à chaque seconde, on tente de sauver sa propre peau, et pourquoi pas de trouver l'amour. Ou en tout cas un peu de sérénité.
Astuce: le 31 décembre, si vous lancez Strange Days à 21 heures, 43 minutes et 50 secondes, votre nouvelle année coïncidera avec celle des personnages. Le film s'achèvera neuf minutes plus tard, ce qui vous permettra de sabrer le champagne ou d'aller vous coucher sans tarder.
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«Peut-être», on s'en fout des chips
S'il semble bien cheap par rapport au film de Bigelow, qui a nettement mieux vieilli, Peut-être n'en reste pas moins le film le plus ambitieux de Cédric Klapisch, qui tenait sans doute là son fameux «film de la maturité» mais l'a un peu laissé s'échapper, comme la plus contrariante des savonnettes.
Sorti le 10 novembre 1999 (soit le même jour que Fight Club), Peut-être transforme le passage entre le 31 décembre 1999 et le 1er janvier 2000 en un portail permettant d'accéder au futur. Ici, pas de DeLorean volante, mais un passage secret découvert par le personnage de Romain Duris dans la salle de bain de l'appartement parisien où se déroule une incontrôlable soirée de Saint-Sylvestre.
En plein doute sur la direction à donner à sa vie, Arthur hésite à s'engager davantage auprès de Lucie (Géraldine Pailhas), qui veut profiter de cette nuit historique pour concevoir leur premier bébé. Un voyage dans le temps imprévu en 2070 le contraindra à rencontrer Ako (Jean-Paul Belmondo), quasi septuagénaire qui n'est autre que son fils, et qui tente tout pour le convaincre de devenir père... sans quoi Ako et toute sa descendance s'éteindront.
Sur la forme, Peut-être a semblé daté dès sa sortie, avec son Paris du futur maladroitement recouvert de sable et ses costumes dignes d'une émission des frères Bogdanov. Sur le fond, Klapisch n'a pas l'air d'avoir réalisé que ses arguments n'était pas si éloignés des anti-avortement: «Je suis un être humain», crie en somme le personnage de Bébel, «tu ne peux pas ne pas me donner la vie». Côté rythme, Peut-être se traîne, gérant mal son passage d'un monde à l'autre puis l'immersion des gens du futur chez ceux du présent.
Tout n'est néanmoins pas à jeter là-dedans, à commencer par la description de cet espoir fou qui anima un temps les jeunes gens de 1999. Des personnages secondaires incarnés par Léa Drucker ou Zinedine Soualem placent par exemple de très hautes attentes dans cette fête de réveillon placée sous le thème du futur: il faut que ce soit mémorable, joyeux, festif, que la bascule se passe fluidement et joliment. Évidemment, rien ne se passe come prévu. L'alcoolémie d'une partie des convives a augmenté de façon exponentielle, toutes les personnes invitées ont invité des gens sans prévenir, sans parler de l'arrivée d'Ako et sa tribu. Pour beaucoup, si cette fête restera dans les annales, ce sera pour de mauvaises raisons.
Il y a dans Peut-être une réplique qui a bercé mon adolescence. Renversant un saladier de chips (sans doute des Flodor), le personnage de Zinedine Soualem crie avec un engouement qui finit par sonner faux: «Mais c'est l'an 2000, on s'en fout des chips!». La réplique peut sembler idiote, d'ailleurs elle l'est un peu, mais je continue à penser qu'elle est parallèlement bien plus riche qu'en apparence.
Parce qu'on s'apprête à jeter son vieux calendrier des postes (celui avec les chatons) pour en installer un nouveau (celui avec les chiots), les brisures de pomme de terre n'ont soudain plus aucune importance. Quelque part entre le 31 décembre à 23h59min59s et le 1er janvier à 00h00min00s, il y a cet instant indéfini, cette parenthèse enchantée si fugace, ce battement de cils pendant lequel tout semble permis. Quitte à déchanter juste après.
Pour Arthur et Lucie, cet instant-là est celui d'une éjaculation masculine. Un jet de semence que Lucie aurait voulu accueillir en elle mais qui finit par tournoyer dans les airs et échouer à un endroit aléatoire. Contrairement à ce qui se produit dans la plupart des autres films mettant en scène le Nouvel An, celui-ci n'est qu'un début. La suite, c'est la fête du 1er janvier, la rencontre d'Ako et d'Arthur, puis l'éventuelle nouvelle éjaculation (toujours masculine) qui permettra à un enfant de naître neuf mois plus tard. Parce que le couple est visiblement au top de sa fécondité.
Ce bébé n'aura pas été conçu lors du passage à l'an 2000, mais quelques heures plus tard. Est-ce si grave? Symboliquement, peut-être. On laissera Lucie et Arthur se débrouiller avec ça. Ako rejoindra en tout cas le club des baby-boomers de l'an 2000, année au cours de laquelle un pic de 30.000 naissances fut enregistré.
Astuce: le 31 décembre, si vous lancez Peut-être à 23 heures, 45 minutes et 1 seconde, votre minuit sera aussi celui des protagonistes du film, et vous commencerez la nouvelle année avec la charmante vision d'un jet de sperme traversant une pièce pour aller s'écraser sur l'épaule d'une Hélène Fillières qui n'avait rien demandé. Ensuite, il vous restera environ quatre-vingts minutes de film.
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«Quand Harry rencontre Sally», les rencontres d'après minuit
On l'a dit, le film de Noël est un genre en soi, tandis que le film de Nouvel An est une denrée plutôt rare. Toujours à l'affût, la comédie romantique n'a cependant pas oublié de s'y atteler, elle qui a usé jusqu'à la corde l'intégralité des fêtes prévues au calendrier.
Les douze coups de minuit restent cependant assez peu envisagés par les scénaristes, peut-être parce que Quand Harry rencontre Sally... a fait exploser le concept en vol avant même qu'il ait pu être exploité. Après une heure trente de ping-pong verbal, portant notamment sur la possibilité de l'amitié entre un homme et une femme, le film écrit par Nora Ephron force les retrouvailles in extremis des personnages campés par Billy Crystal et Meg Ryan.
Tout cela se déroule lors d'une soirée de Saint-Sylvestre, un peu guindée, un peu ennuyeuse, de celles où l'on se rend par défaut en se jurant que c'est la dernière fois. Tenue de soirée, coupe de champagne à la main, Sally donne le change. Harry l'y rejoint au dernier moment afin de lui avouer enfin son amour. Et c'est pendant la conversation qui suit, une nouvelle fois pleine de petites rancœurs et de grandes incompréhensions, que l'on peut entendre le fameux décompte.
Celui-ci est consciencieusement maintenu au second plan par le réalisateur Rob Reiner: on ne voit rien de l'effusion de joie qui accompagne traditionnellement l'arrivée de minuit, et on entend à peine le compte à rebours scandé par les personnes présentes. Avant de se céder enfin et de tenter de vivre pleinement l'histoire d'amour qui leur tendait les bras depuis le début, Harry et Sally auront eu une dernière engueulade, éminemment symbolique elle aussi, puisqu'elle couvre leurs derniers instants de 1988 et leurs premiers moments de 1989.
C'est un fait: Harry et Sally s'aimeront sans doute très fort pour le restant de leur vie (ou au moins pour quelques années), mais passeront probablement le plus clair de leur temps à débattre avec virulence sur un demi-million de sujets. Une façon comme une autre de faire durer la flamme en évitant à leur couple de s'enliser dans le consensus et la routine. Après ça, difficile d'utiliser au premier degré le passage à la nouvelle année dans une comédie romantique.
Pour Frédéric, fondateur et rédacteur en chef du site Films de Lover, l'ultime comédie romantique de Nouvel An n'est pas Quand Harry rencontre Sally, mais bel et bien Happy New Year. Après Valentine's Day mais avant Joyeuse fête des mères, le réalisateur Garry Marshall (Pretty Woman) livrait un film choral montrant comment les vies d'une poignée d'adultes, en couple ou non, allaient s'entrecroiser un soir de Nouvel An.
«C'est vraiment le film parfait du Nouvel An, dans la catégorie “léger et romantique”. Et ça ne se passe que le soir du 31, contrairement à Quand Harry rencontre Sally... où ce n'est pas le focus du film.» Pour le boss de Films de Lover, Sept ans de séduction est également une référence en la matière, «avec une très belle scène de Nouvel An... ce qui est normal puisque le film s'inspire largement de Quand Harry rencontre Sally». La comédie romantique aura donc été plus prolifique en la matière que les autres genres, même si le champ des possibles est encore loin d'avoir été exploré.
Astuce: le 31 décembre, si vous lancez Quand Harry rencontre Sally... à 22 heures, 30 minutes et 28 secondes, la foule vous souhaitera une bonne année à l'heure pile, tandis que Sally et Harry seront encore en train d'essayer de recoller les morceaux. Six minutes plus tard, le film sera terminé, générique compris. La vie est bien faite.
Les grands classiques pas en reste
La Garçonnière, Boogie Nights, Le Parrain II, Casablanca... Le Nouvel An a traversé quelques grands films, les imprégnant de sa singulière mélancolie. Car lorsqu'on prend conscience que le passage d'une année à la suivante n'aura bien évidemment aucune incidence sur le cours de sa vie, le constat s'avère plus que douloureux. Tout comme on finit par cesser de croire au Père Noël, il convient d'arrêter tôt ou tard de croire au Nouvel An.