En France, sous la pression des «gilets jaunes», le gouvernement a purement et simplement annulé la hausse de la taxe carbone qui était prévue pour 2019. Au Canada, le gouvernement Trudeau, pourtant en principe favorable à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, vient d'annoncer une nouvelle aide de 1,6 milliard de dollars (1,2 milliard de dollars des États-Unis) à l'industrie pétrolière et gazière pour compenser la faiblesse des prix des hydrocarbures produits en Alberta.
Le 18 décembre, l'Agence internationale de l'énergie a publié son rapport annuel sur le charbon, qui fait apparaître une hausse en 2017 de 1% de la demande mondiale de cette énergie fossile, la plus polluante de toutes, et l'année en cours devrait se terminer par une nouvelle hausse. Dans cinq ans, la part du charbon dans l'énergie mondiale devrait descendre de 27% en 2017 à 25%, mais ce déclin serait seulement relatif: il s'expliquerait par la montée en puissance d'autres sources d'énergie, la consommation de charbon resterait au haut niveau actuel. La baisse de la demande en Europe et en Amérique du Nord serait compensée par une hausse continue en Inde et en Asie du sud-est. Petit détail: la Pologne, qui était chargée d'organiser la COP24, produit près de 80% de son électricité à partir du charbon et n'envisage pas d'évolution rapide sur ce point dans les prochaines années.
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Succès mitigé de la COP24
Cette conférence sur le climat, à Katowice, s'est terminée le 15 décembre sur un succès mitigé, comme on pouvait le prévoir, compte tenu de la faible implication du pays hôte (en 2015, pour la COP21, la France voulait absolument déboucher sur un accord et on a vu à cette occasion ce qu'une présidence active, en l'occurrence celle de Laurent Fabius, pouvait obtenir). La discussion sur le dernier rapport du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) résume assez bien l'ambiance de cette conférence. Début octobre, le Giec avait publié son rapport «1,5°C» pour montrer l'intérêt qu'il y aurait à limiter la hausse moyenne des températures à 1,5°C par rapport à l'ère préindustrielle plutôt qu'à 2°C.
Ce demi-degré changerait beaucoup de choses, mais pour l'obtenir il faudrait aller très vite: par rapport à l'année 2010, il faudrait avoir réduit les émissions de CO2 de 45% en 2030 au lieu de 25%. Pour mémoire, rappelons que les engagements actuellement pris dans le cadre de l'accord de Paris conduisent à une hausse encore supérieure à 3°C... À la demande des pays les plus menacés par le changement climatique, il a été envisagé à Katowice de faire figurer dans une déclaration publiée indépendamment de l'accord lui-même une position de principe selon laquelle ce rapport du Giec avait été accueilli favorablement. Tout de suite, des pays producteurs de pétrole (Arabie saoudite, Koweit, Russie, avec le soutien actif des États-Unis) sont montés au créneau pour obtenir une fomulation plus neutre selon laquelle la COP prenait simplement note de ce rapport et des informations qu'il contenait. Le message était clair: la COP24 ne déboucherait sur aucun engagement supplémentaire.
La question des quotas d'émissions montre que les problèmes souvent qualifiés de «techniques» cachent de véritables oppositions politiques
On ne peut pas cependant parler d'échec complet dans la mesure où la conférence a adopté un document très technique permettant l'application de l'accord de Paris. Ce mode d'emploi était absolument nécessaire: puisque tout repose sur les contributions (NDC pour nationally determined contributions) volontairement déposées par les États, il faut que ces contributions soient rédigées selon des normes communes, que l'on sache ce qui est mesuré et comment, que tout soit transparent et que des contrôles puissent être effectués.
Ce n'est pas aussi simple qu'on pourrait le croire, puisqu'il a fallu trois ans pour arriver à un accord entre les 197 parties (196 pays plus l'Union européenne), sachant qu'il reste un point non négligable à régler sur les échanges internationaux de quotas d'émissions. Ce dernier désaccord montre que les problèmes souvent qualifiés de «techniques» cachent en fait de véritables oppositions politiques; là, les réticences sont venues du Brésil, qui profite du flou actuel des règles pour ne pas tenir ses engagements.
Drapeau vert contre gilet jaune?
Soulignons à ce propos l'importance des dégâts provoqués par l'attitude de Donald Trump: que la première puissance mondiale ait décidé de se retirer de l'accord de Paris dès que cela serait possible encourage d'autres États à ne rien faire qui puisse nuire à ce qu'ils considèrent comme leur intérêt national. Alors attaquer l'État français en justice sur ce dossier, comme veulent le faire plusieurs ONG, peut sembler d'une grande injustice: en réalité la France est un des pays où cette affaire est le plus prise au sérieux. Et on ne voit pas très bien ce que la justice a à faire dans ce dossier. Il est vrai que l'État français ne va pas assez vite sur la voie de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais en s'attaquant à lui, on s'attaque en fait à toute la partie de la population qui pense qu'au contraire il en fait trop. Les organisations qui ont lancé cette pétition ont en tout cas trouvé un bon moyen de faire revenir le sujet du climat au premier plan de l'actualité, juste au moment où l'Assemblée nationale votait, le 18 décembre, le gel de la taxe carbone à son niveau actuel.
Alors, pétition contre pétition, drapeau vert contre gilet jaune? Assurément, l'opinion est divisée. Si l'État a une responsabilité, c'est bien celle de trouver le moyen de faire naître un consensus sur le sujet et de le faire vite. La mission est difficile, mais pas impossible à condition de tirer la leçon des erreurs passées et de tenir compte de ce que nous disent les économistes. Car ces derniers ne manquent pas d'idées et ils sont de plus en plus nombreux à travailler sur ce problème du changemennt climatique.
Une communication à revoir
Ainsi l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), institut que l'on connaissait surtout pour ses travaux de référence sur la conjoncture, la politique budgétaire, l'emploi ou le pouvoir d'achat, vient de publier plusieurs études qui méritent d'être lues avec attention. L'une d'elles porte sur la façon dont le problème est perçu en France, sur nos croyances et comportements. L'enquête menée au niveau national fait ressortir un phénomène majeur: la nation est inquiète, mais peu mobilisée, parce que «l'idée est très répandue que la responsabilité d'agir face au changement climatique incombe aux autres (aux entreprises, aux gouvernements et à la communauté internationale) plutôt qu'aux individus eux-mêmes».
Dans le détail, des différences apparaissent selon le sexe, l'âge, le niveau d'études, la situation de l'emploi et les revenus. Par exemple, on constate que les femmes sont plus sensibilisées et plus engagées alors que les négateurs du changement climatique se trouvent en plus grand nombre chez les hommes, ou que les étudiants ont une bonne connaissance des risques climatiques, mais présentent un «faible degré de connexion à la nature» et sont peu engagés.
Pour une partie de la population, l'impact de la taxe carbone peut être supérieur à 1% du revenu
Ce constat conduit à penser qu'en matière de communication sur le changement climatique, «une approche identique pour tous est vouée à l'échec», «toute action de communication doit apparaître comme locale et concrète». Par ailleurs, si l'on veut que chacun et chacune se sente une responsabilité en ce domaine, il faut faire des propositions concrètes, avec des solutions relativement simples et, surtout, «l'enseignement central de l'action des “gilets jaunes” est [...] que l'action individuelle ne peut se faire au prix d'une augmentation des inégalités».
De fait, un autre document de l'OFCE montre l'hétérogénéité de l'empreinte carbone des ménages français. En fonction du lieu de résidence (avec un usage plus ou moins forcé de la voiture) et du revenu, une taxe carbone n'a pas le même impact sur chaque foyer. Au niveau atteint en 2018, si l'on tient compte du chauffage et de l'usage de la voiture, son impact se situe dans un rapport de 1 à presque 4 entre les 10% les plus riches (à 0,12% de leur revenu en moyenne) et les 10% les plus pauvres (à 0,45% de leur revenu), alors que les émissions des premiers sont près de trois fois supérieures. On constate même que pour une partie de la population, l'impact de la taxe carbone peut être supérieur à 1% du revenu.
Budget carbone et dette climatique
La conclusion est claire: si l'on veut reprendre le mouvement de hausse de la taxe carbone au-delà de 2019, il faudra cette fois réfléchir aux mesures d'accompagnement. Et veiller à ce qu'elles soient bien ciblées. Comme le souligne Vincent Bertrand, chercheur associé à la chaire Économie du climat, il est important de réussir à «soulager les tensions sans sacrifier la stabilité du climat de demain… ce que ne fait pas le moratoire». Mais, quelle que soit la difficulté, il faudra avancer, car le temps est compté.
C'est ce que montre très clairement une autre étude de l'OFCE portant sur «une évaluation exploratoire de la dette climatique». L'idée de base est simple: si l'on veut limiter la hausse des températures, il ne faut pas dépasser des niveaux de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, que les travaux du Giec permettent de connaître de façon de plus en plus précise. On sait donc calculer la masse de carbone que l'on peut encore émettre avant d'arriver à ces seuils critiques. Cette masse représente ce que l'on peut appeler le «budget carbone du monde».
Par sa négligence en matière de lutte contre le changement climatique, un État en apparence bien géré peut se mettre en situation délicate pour l'avenir
À partir de là, on peut essayer de définir ce que devrait être le budget carbone de chaque pays. Là le calcul se complique, car la façon dont il est fait peut conduire à des résultats très différents. On peut adopter une approche égalitariste: chaque être humain a le droit d'émetttre la même quantité de dioxyde de carbone. On peut aussi tenir compte de la situation actuelle et du poids de chaque pays dans les émissions. On peut enfin considérer l'historique de chaque pays et sa responsabilité dans le niveau atteint par les émissions cumulées. Bref, aucune méthode ne peut prétendre donner LE juste chiffre et satisfaire tout le monde; il est nécessaire de se résoudre à faire un panachage, sachant que l'important est de préciser comment ces résultats ont été obtenus.
Chaque État se voyant ainsi attribuer un budget carbone, on peut voir s'il prend les mesures nécessaires pour ne pas le dépasser et, s'il ne le fait pas, calculer ce que lui coûteraient les investissements nécessaires pour revenir sur le droit chemin. On arrive ainsi à la notion de dette climatique: un État peut être en apparence bien géré, ne pas avoir un budget en déficit, avoir une faible dette, mais, par sa négligence en matière de lutte contre le changement climatique, se mettre en situation délicate pour l'avenir.
Beaucoup de non-dit
L'OFCE a fait ces calculs pour l'Union européenne, en précisant bien la méthodologie employée. Les résultats sont inquiétants. Il ne reste plus que quelques années avant que les principaux pays européens aient épuisé leur budget carbone compatible avec la cible d'une hausse limitée à 2°C. Si l'on se fixe pour objectif une hausse de seulement 1,5°C, la majorité des pays de l'Union ont déjà épuisé ce budget (la France arrive juste à cette limite). Dans ces conditions, la dette climatique de l'Union européenne représente déjà 50% de son PIB dans le scénario à 2°C et 120% dans celui à 1,5°C!
Évidemment, ces calculs ne doivent pas être considérés comme des vérités absolues. Ils ont cependant un grand mérite: rappeler l'urgence de politiques d'atténuation du changement climatique. Car si les efforts nécessaires ne sont pas faits assez rapidement, il y aura un coût qui, pour l'instant, n'est absolument pas pris en compte. Ces calculs montrent aussi une chose: l'insuffisance de l'accord de Paris, qui repose exclusivement sur des contributions volontaires, sans qu'à aucun moment la question ne soit posée de savoir si tel ou tel pays prend bien à sa charge sa part du fardeau. Un jour ou l'autre, il risque d'y avoir de mauvaises surprises et des règlements de comptes internationaux pouvant devenir brutaux.
En fin de compte, on s'aperçoit qu'au niveau international, on agit comme on l'a fait avec la taxe carbone au niveau national. Et nous avons vu ce que cela donne. Comme le constate Xavier Timbeau, directeur principal de l'OFCE, à propos de la répartition de la charge financière en fonction des émissions ou des revenus, «pour l'instant, on est dans le non-dit; cela explique l'angoisse et le rejet». Il est à craindre qu'un jour, on ne retrouve une situation comparable à l'échelle mondiale, avec des pays à faibles revenus estimant qu'on leur demande de fournir un effort trop violent comparé aux autres.