Les attaques menées contre l'euro ont produit au moins un effet positif: Herman Van Rompuy, président de l'Union européenne depuis le 1er décembre dernier, inconnu du grand public auparavant et muet depuis, est sorti de son silence. Il a évoqué la création d'un «gouvernement économique» des 27 membres de l'Union, afin de mieux coordonner leurs politiques en la matière. L'absence de gouvernance commune des pays de la zone euro, face à l'amoncellement des déficits publics et à la fragilité de certaines économies (Grèce, Portugal, Espagne) étant à l'origine de la spéculation qui a fait reculer la monnaie unique, il était urgent d'envoyer un signal un peu politique aux marchés. Le président de l'Europe s'est enfin manifesté, il a porté un message, c'est un bon début.
Pacte de stabilité
Le propos n'est pas tout à fait anodin. Certes, il est bref. Mais utile. La rareté d'un propos peut en souligner la valeur, selon une pratique maintenant éprouvée à la Banque centrale européenne (BCE) comme à la Réserve fédérale américaine (FED). Et on ne peut exclure de nouvelles attaques contre l'euro, après celles de la semaine dernière. En effet, pour éviter un blocage de l'économie, les Etats ont accumulé des dettes qui atteignent entre 80 et 100% du PIB dans les principaux pays. Il s'ensuit une explosion du Pacte de stabilité qui était censé limiter les déficits publics à 3% du PIB et les dettes publiques à 60%. Or, ce pacte a pour fonction d'assurer la stabilité de l'euro, et est donc à l'origine de la confiance en cette monnaie. S'il n'existe plus, l'incertitude s'installe, la spéculation peut redémarrer. Ce n'est pas un hasard si les membres de l'euro doivent mettre au point jeudi 11 février un dispositif pour réintroduire de la crédibilité, et par là voler au secours d'un pacte de stabilité terriblement chiffonné. Mais lorsque le tout nouveau président de l'Union évoque une gouvernance économique, il introduit un autre élément pour calmer les marchés.
Parité euro/dollar
Toutefois, si la baisse de l'euro traduit un véritable problème pour l'Europe, la monnaie de 16 pays de l'Union n'a pas encore atteint de dangereux planchers, loin s'en faut. «On n'est pas arrivé à des niveaux délirants», commente Philippe Waetcher, directeur de la recherche économique chez Natixis Asset Management. Même s'il a baissé, l'euro reste encore à un niveau élevé (1,37 dollar le 9 février). Il est même heureux qu'il soit descendu de ses sommets de l'été 2008, à 1,60 dollar à l'époque. Après avoir ensuite reflué autour de 1,25 dollar en fin d'année et avoir connu quelques mois d'évolution très erratique, il était revenu à 1,5 dollar, avant les attaques dont il a été la cible début février.
Exportation
Mais l'euro vient de loin, et en peu de temps: lancé le 4 janvier 1999, il fut ouvert à la cotation à 1,18 dollar. Très vite, il dégringolait... jusqu'à ne valoir plus que 0,8 dollar en septembre 2000. La remontée fut lente: début 2002, il était toujours à 0,85, et ne revint à la parité avec la monnaie américaine que début 2003. Dans les premiers mois de 2005, il attint 1,30 dollar, et fluctua autour de cette parité jusqu'au début 2007 avant de grimper vers les sommets de la mi-2008. «Ce n'était pas l'euro qui monte, mais le dollar qui baisse», disait-on. Qu'importe: la valeur de l'euro était élevée. Et les exportateurs avaient de quoi s'en plaindre.
On semble avoir oublié les propos de patrons, affirmant que si le dollar devait durablement s'installer au-dessus de 1,20 dollar, ils envisageraient de créer des usines de production hors de la zone euro. Les chefs d'entreprises européennes de l'industrie aéronautique, d'autant plus intéressés par toute évolution de cette parité que les transactions dans leur secteur sont libellées en dollars, l'avaient clairement laissé entendre. Aussi, si l'euro pouvait baisser encore un peu, la compétitivité des activités européennes sur les marchés mondiaux ne s'en porterait que mieux. Encore faut-il, pour que cette compétitivité soit restaurée, qu'elle soit significative et s'installe durablement; on n'en est pas encore là.
Echanges hors d'Europe
De toute façon, en matière de commerce international, les fluctuations de l'euro n'affectent que les échanges entre l'Union et ses partenaires hors Europe. Or, environ 60% des échanges des membres de l'euro sont intra-européens, c'est-à-dire réalisés à l'intérieur de l'Union par les membres entre eux (dans le cas de la France en 2009, 62% pour les exportations et 59% pour les importations, selon les Douanes françaises). La parité euro-dollar, dans ces cas de figure, n'a guère d'influence. Les transferts interentreprises entre les maisons mères et leurs filiales à l'étranger ne sont pas impactées non plus. Reste environ 25% à 30% des échanges de l'Union directement concernés par la parité euro-dollar.
Ce sont les exportations de l'UE (1.308 milliards d'euros en 2008) qui peuvent profiter d'un affaiblissement de l'euro. En revanche, les importations (1.550 milliards d'euros) peuvent coûter plus cher. Notamment, la facture pétrolière risque de s'alourdir. Mais face à un risque d'inflation globale limitée, le danger du dérapage induit par la baisse de l'euro est jugé mineur. Reste qu'avec un niveau moins élevé, la monnaie européenne servirait mieux la conquête de marchés étrangers par des entreprises européennes, comme le dollar et le yen ont su le faire pour servir leurs exportateurs en étant parfois sous-évalués.
Couvertures
Pour se prémunir contre les fluctuations, il est toujours possible de se couvrir, c'est-à-dire de se protéger contre une évolution défavorable en négociant avec un partenaire bancaire une parité fixe euro/ dollar. L'opération revient à une vente à terme, et l'industriel peut ainsi épargner à sa comptabilité les effets des fluctuations. Si l'évolution est défavorable, l'industriel est protégé. Si elle est favorable, son partenaire bancaire lui ristourne des plus values, en prélevant une commission. Mais cette gymnastique financière atteint ses limites lorsque la surévaluation d'une monnaie devient chronique.
Cure d'amaigrissement
Pour un pays comme la France, un recul mesuré de l'euro pourrait être considéré comme un facteur plutôt favorable. Car si le déficit de la balance commerciale a été moins élevé en 2009 (43 milliards d'euros) qu'en 2008 (55,1 milliards), ce n'est pas parce que les ventes à l'étranger ont augmenté. Elles ont reculé de 17%, mais les importations également, dans les mêmes proportions. En réalité, 2003 fut la dernière année où la balance commerciale fut encore légèrement excédentaire. Depuis, le commerce extérieur français est abonné aux déficits: plus de 190 milliards d'euros de déficits cumulés en cinq ans! Même le solde de la balance automobile est devenu négatif depuis début 2008. Pour les quelque 40% du commerce extérieur français réalisés avec des partenaires hors de l'UE, une petite cure d'amaigrissement de l'euro pour restaurer un peu de compétitivité serait la bienvenue, afin de dynamiser une reprise que Philippe Waetcher prédit «modérée et fragile» pour l'ensemble de la zone euro.
Il appartient maintenant aux gouvernements de l'Union de faire la preuve d'une détermination collective pour renforcer cette reprise, et rendre ensemble du crédit à l'Europe. Une action concertée qui a manqué pendant la crise, et fait toujours défaut pour en sortir.
Gilles Bridier
Image de une: La sculpture de l'euro à Francfort, REUTERS/Kai Pfaffenbach
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