Dans le monde occidental, le cancer de la prostate est aujourd'hui l'une des premières causes de mortalité prématurée chez les hommes de plus de 50 ans. Chaque année, on diagnostique en France un peu plus de 60.000 nouveaux cas et, dans le même temps ce cancer est directement responsable d'environ 9.000 décès. Cette affection n'est plus, en 2010, perçue de la même manière que dans les années 1970 ou 1980. Il faut ici compter avec le dépistage précoce effectué à partir d'un marqueur présent dans le sang (l'antigène prostatique spécifique ou PSA) ainsi qu'avec les multiples progrès thérapeutiques multidisciplinaires. Tout ceci a, pour les hommes concernés, bouleversé la donne sans pour autant -c'est un euphémisme- la simplifier.
Le choc de savoir que l'on a un cancer
Le fait d'apprendre que l'on est atteint d'un tel cancer peut constituer un choc dont on mesure parfois encore bien mal les conséquences. On pouvait l'imaginer; la chose est désormais démontrée. Une étude américaine qui vient d'être publiée sur le site du Journal de l'Institut national du cancer fournit sur ce point des éléments hautement dérangeants. Elle met ainsi en évidence un risque statistiquement accru par rapport à la moyenne de mourir de suicide ou d'une maladie cardiovasculaire peu de temps après l'annonce du diagnostic d'un cancer de la prostate.
Dirigés par le Dr Fang Fang (Brigham and Women's Hospital, Harvard Medical School, Boston), les chercheurs ont analysé de manière rétrospective les données recueillies auprès de 342.497 personnes chez lesquelles un cancer de la prostate avait été diagnostiqué entre le 1er janvier 1979 et le 31 décembre 2004. Ces données, recensées dans le cadre d'un programme américain de surveillance épidémiologique (couvrant le quart de la population des Etats-Unis) portaient sur plus d'une année à compter du jour où la personne était informée du diagnostic la concernant. Les risques statistiques de mort par suicide ou par affection cardiovasculaire ont été comparés aux données similaires concernant, durant la même période, une population américaine à tous égards comparables.
Conclusions: durant la période retenue, 148 hommes sont morts de suicide et 6.845 de maladies cardiovasculaires, soit des chiffres statistiquement plus élevés que ceux que ceux observés dans une population masculine similaire mais non concernée par le cancer de la prostate. Le risque accru de suicide a été observé tout particulièrement au cours des trois premiers mois suivant l'annonce du diagnostic.
Moins de suicides depuis le dépistage généralisé
Cette étude met aussi en évidence le fait que le sur-risque de mort par suicide concerne surtout la période (1979-1986) qui a précédé l'arrivée du dépistage sanguin par PSA ainsi que celle qui a accompagné sa mise en œuvre croissante (1986-1992). La généralisation du ce dépistage (1993-2004) n'a pas été suivie du même phénomène, sans doute parce qu'il permet d'établir le diagnostic en amont de l'apparition des symptômes les plus douloureux observés aux stades avancés de la maladie. Les auteurs prennent soin de situer les limites de leur travail: ils soulignent notamment qu'ils ne disposaient pas de données sur l'état de santé physique ou mental des personnes au moment du diagnostic et des traitements du cancer de la prostate. Pour autant, ils estiment indispensable de tirer les conclusions pratiques des résultats qu'ils ont obtenus.
Nous croyons que le suicide et les morts d'origine cardiovasculaire ne reflètent que la pointe de l'iceberg de l'anxiété, des troubles de l'humeur, et peut-être d'autres maladies (ou souffrances) mentales qui suivent le diagnostic de cancer de la prostate, écrivent-ils. En conséquence, notre étude suggère l'importance potentielle d'une prise en charge et d'un soutien psychologique pour les personnes chez qui ce diagnostic vient d'être porté.
Et ceci est sans aucun doute d'autant plus nécessaire que l'on assiste aujourd'hui au développement du dépistage devenu quasi-systématique par la technique du PSA; phénomène qui, sans même parler des nouvelles propositions de «dépistage génétique», présente des avantages et des inconvénients nourrissant de solides controverses (dont nous avions déjà parlé ici et là).
Le dialogue médecin/patient
Au-delà du seul cancer de la prostate, cette étude originale aide à mettre en lumière la possible cascade des évènements psychologiques et organiques souvent méconnus que peuvent induire l'annonce d'un diagnostic de cancer; comme l'annonce, sans doute, de toutes les maladies maladie perçues -à tort ou à raison- comme pouvant avoir des conséquences rapidement mortelles. De nombreux témoignages récurrents démontrent, jour après jour, que les médecins peuvent être très loin -euphémisme- de pouvoir (ou de savoir) prendre en compte cette donnée.
C'est précisément ce contexte qui a fait que le «plan cancer» lancé en France depuis quelques années (à l'initiative de Jacques Chirac alors président de la République) a développé un «dispositif d'annonce». A la demande des malades et de leurs proches ce dernier vise à mieux expliquer l'affection et les traitements envisageables; il prévoit aussi les conditions d'un soutien psychologique et social. Ce dispositif, si l'on en croit les statistiques officielles, se met progressivement en place. Il est pourtant encore bien loin de répondre à la somme des douloureuses questions individuelles et collectives qui sont ici soulevées.
Jean-Yves Nau
Image de une: Swallowed In The Sea / KellyB via Flickr CC