Au milieu de «la plus grande crise depuis les années trente», voici que survient la crise de la dette des pays les plus vulnérables de la zone euro. C'est la première véritable crise de la toute jeune monnaie unique, et l'on peut compter sur les marchés pour tester les pays de l'euro, si faibles politiquement, afin de contrôler les limites et le pouvoir de réaction des institutions. Il faut pourtant rappeler, comme Christine Lagarde l'a fait lors du G7 le 5 février, que le recul actuel de la parité entre l'euro et le dollar est tout sauf une catastrophe. Tous ceux qui déploraient voici quelques mois de voir le dollar à plus de 1,50 euro devraient s'en rappeler. En cette période de crise et de croissance faible, la monnaie européenne n'a aucune raison d'être aussi surévaluée par rapport au billet vert. Au contraire, un euro plus proche de la parité avec le dollar soutiendrait les exportations et donc la croissance européenne. Souvenez-vous, dans les années qui ont suivi le lancement de l'euro, celui-ci a même valu 0,90 dollar. Et l'Europe s'en portait très bien. Il est donc sans objet de parler «d'écroulement» de la devise européenne et de faire peur en évoquant une perte de valeur, sauf si l'on se place du point de vue du touriste européen aux Etats-Unis.
Pour autant, nul n'a envie de féliciter la Grèce pour avoir menti aux autorités européennes sur son état de santé financière au moment de son entrée dans l'euro. On ne peut non plus admirer avec quelle naïveté ces mêmes autorités se sont laissées blouser... Mais il convient tout de même de relativiser: la Grèce, c'est 3% du PIB européen. La Californie représente bien plus à l'échelle des Etats-Unis, et pourtant personne ne s'affole lorsqu'on annonce la faillite de l'Etat de Californie.
La réaction actuelle des marchés est normale, car ils n'ont pas grande confiance dans la monnaie unique. Parce que celle-ci est récente -dix ans, c'est très court- et parce que les institutions européennes sont faibles.
Personne n'est à l'abri
Très logiquement, après la Grèce, les opérateurs testent les autres «Pigs» (Portugal, Irlande, Espagne, «Spain» en anglais) comme ils appellent les maillons plus ou moins faibles de l'espace européen. Bien entendu, l'accumulation de positions contre ces pays n'a rien de rassurant. Mais comme il paraît aussi impossible de laisser ces pays tomber en faillite, l'Union européenne n'aura d'autre choix que de les aider. Sans quoi tous seront atteints: après tout, aujourd'hui, même les pays les plus vertueux naguère ont dû laisser filer la dette et le déficit afin de sauver les banques et d'apporter un minimum de soutien à tous ceux qui ont perdu leur emploi. Derrière les «Pigs», toute l'Europe est donc concernée, y compris l'Allemagne et la France. Et, parce que les déficits publics ne sont pas une spécialité européenne, les Etats-Unis et l'Asie non plus ne sont pas à l'abri. Mais, ni les grands pays européens, ni les Etats-Unis ne peuvent freiner dès maintenant la dépense publique, au risque d'aggraver le recul de l'activité et la montée du chômage.
Un épisode inéluctable
Cet épisode de crise dans la crise était inéluctable et de nombreux économistes s'étaient déjà alarmés de la croissance des endettements publics. Ils sont pourtant la seule réponse possible à la conjoncture actuelle, faute d'autres leviers d'activité. L'orthodoxie financière, appelée par le prix Nobel d'économie Paul Krugman «l'hystérie des déficits», déjà fort ébranlée par la crise, devra attendre. En attendant, il incombe aux Européens de montrer qu'il y a un pilote dans l'avion, et qu'il n'a pas peur. Cela surprendra aussi bien les marchés que les chancelleries.
Marie-Laure Cittanova
Image de une: drapeau grec / geekadman via Flickr CC