France / Monde

Europe cherche patron. Urgent.

Temps de lecture : 5 min

Le projet est brisé et les échecs nombreux (institutions, Copenhague, Afghanistan, crises). Qui relèvera le défi?

Sitôt ratifié, le Traité de Lisbonne a révélé le secret le mieux gardé jusque-là; ce texte, qu'on a vendu comme la merveille du siècle met fin, pour un bon bout de temps, aux débats institutionnels stériles qui duraient depuis dix ans (Traité de Nice). Mais, pour le reste, il ne sert pas à grand-chose, en tout cas pas à simplifier l'organigramme de l'Europe puisqu'il crée un exécutif à quatre têtes (Président «stable» du Conseil européen, Présidence tournante, Président de la Commission, Haut Représentant pour la politique étrangère). Autant dire qu'il installe une cohabitation généralisée et d'autant plus dérisoire que chacune des quatre «têtes» a une crédibilité à peu près nulle; c'est d'ailleurs pour cela qu'ils ont été choisis.

Puis ce fut Copenhague et l'humiliation de voir l'Union européenne, sur son terrain d'élection (l'après-Kyoto, les normes internationales, le «soft power») ne peser en rien dans les débats et n'avoir même pas réussi à s'imposer lors des discussions finales où les Etats-Unis, la Chine et quelques autres ont fait la décision.

Et que dire d'Haïti, où l'Union, qui fournit quatre fois plus de crédits que les Etats-Unis, n'a même pas été capable d'annoncer un chiffre à cause des bisbilles entre la Présidence espagnole et la Haute Représentante, laquelle a trouvé préférable de se rendre à Londres plutôt qu'à Port-au-Prince.

L'Afghanistan, le comble

Puis on a vu Obama logiquement décliner sans ménagement l'invitation à se rendre au sommet Etats-Unis/Union européenne où chacun voit depuis des années qu'il ne s'y passe rien, sinon des monologues formels sur des problèmes secondaires.

Et l'Afghanistan? C'est quand même un comble. Voilà une affaire où les Européens ont répondu présents dès le premier jour, après le 11-Septembre (y compris en invoquant pour la première fois, depuis 1949, la solidarité collective prévue par le Traité de l'Atlantique Nord en cas d'attaque contre l'un des Alliés). Puis, à cause de l'intervention en Irak, les Américains se détournèrent de l'Afghanistan en laissant la situation se dégrader et les talibans revenir en force. Ce sont les Européens (Français en tête) qui n'ont cessé de dire que la solution ne pouvait pas être militaire mais politique.

Résultat? Obama arrive. Il met huit mois à décider ce qu'il aurait pu décider immédiatement, à savoir la priorité à la lutte contre al Qaida et à l'Afghanisation (en clair l'ouverture d'un dialogue avec les Talibans «récupérables»). Mais tout ce qu'il demande aux Européens, c'est combien de troupes supplémentaires ils sont prêts à mettre sur le terrain. Que font les Européens? Est-ce qu'ils disent: «L'Afghanistan est aussi notre affaire; nous partageons les risques sur le terrain; nous voulons décider ensemble de la stratégie à suivre car nos opinions, voire nos militaires ne comprennent pas pourquoi nous nous battons»? Non. Ils s'excusent de ne pas faire plus.

Une monnaie unique, pas de politique harmonisée

Last but not least, comme vient de le décrire Eric Le Boucher, la gestion affligeante du problème grec. Faute de prendre les décisions nécessaires au sein de la zone euro, on laisse les marchés (par ailleurs tant décriés) spéculer et affaiblir un peu plus la Grèce et la zone euro au lieu de faire de nécessité vertu, en soutenant le gouvernement grec et en démontrant qu'on ne peut plus fonctionner en ayant une monnaie unique sans avoir en même temps une politique économique et financière solidaire ou, à tout le moins, harmonisée.

Tout cela, tout le monde le sait depuis des années. Cela ne date pas de l'élection d'Obama (acclamée au demeurant par les Européens comme par le reste du monde) ou de la montée en puissance de la Chine. Tout le monde sait que nous ne pouvons pas être pris au sérieux par les Etats-Unis, la Chine ou la Russie en continuant à faire la course à l'échalote entre les dirigeants des principaux pays européens, pour un bénéfice d'ailleurs nul. Curieusement, personne n'a mentionné que, pour la première fois depuis longtemps, la relation individuelle de chacun des chefs d'Etat ou de gouvernement des trois principaux pays européens (Allemagne, France Royaume-Uni) avec le président américain est médiocre.

Tout le monde sait aussi (ou devrait savoir) que le fameux «soft power» (l'aide à la reconstruction, la défense de l'Etat de droit, les normes internationales) ne vaut rien s'il n'est pas assorti des moyens de dissuasion ou de coercition dans un monde qui reste régi par les rapports de forces. Tout le monde commence à comprendre que le choix pour l'Europe entre être une puissance et une grande Suisse va être de moins en moins possible car à supposer que nous voulions rester tranquille, à la remorque des Etats-Unis et sous la domination chinoise, la chose ne se fera pas nécessairement de façon pacifique, à cause de la lutte pour l'accès aux ressources naturelles, le protectionnisme et le mercantilisme croissant des pays émergents, la montée des extrémismes religieux etc.

L'occasion de la crise

Mais si tout le monde sait, pourquoi personne ne fait? Pourquoi continuer à faire croire que le couple franco-allemand va renaître de ses cendres alors que tout démontre le contraire? Pourquoi ne pas reconnaître que le fameux leadership européen ne peut plus être le fait de la Commission (non seulement en raison de la faiblesse de son Président mais parce qu'avec un Commissaire par Etat membre, la Commission s'est définitivement interdit d'être la gardienne de l'intérêt général européen)? Pourquoi, puisqu'on s'éloigne petit à petit du projet fédéral, ne pas au moins accepter de partager les souverainetés entre les Etats membres, comme on l'a fait avec l'euro, pour le bien de tous?

Compte tenu du signal d'alarme qui retentit de plus en plus souvent et puisque la résignation, voire le défaitisme, s'installe dans les opinions et les élites, qui sera l'homme du sursaut? Qui lancera, pour l'Europe, l'Appel du 18 juin? Pas David Cameron. Pas davantage Gordon Brown, si d'aventure il était réélu. A l'heure où nos hommes (et femmes) politiques sont en quête d'idées mobilisatrices et novatrices, qui aura l'audace de mettre fin à des années d'ambivalence coupable à l'égard de l'Europe (tous partis confondus)? Qui est prêt à prendre la tête d'un renouveau du projet européen, fondé non plus sur l'idéologie ou le rêve, sur la paix ou la prospérité, mais sur la nécessité de la survie à la fois économique, culturelle et politique. La crise économique mondiale, loin de nous en empêcher, est au contraire une occasion unique de proposer des politiques communes nouvelles qui s'appuient sur les gouvernements, mais aussi sur les sociétés civiles, les partis, les entreprises, les syndicats?

Puisque nos dirigeants paraissent avoir la sagesse de mettre un terme salutaire au débat sur l'identité nationale, qui aura l'intelligence de le remplacer par celui sur notre avenir en Europe?

Les Français savent qui ils sont. Ce qu'ils veulent savoir, c'est où ils vont.

G. Le Hardy

Image de une: Manifestation anti-européenne à Copenhague en septembre 2000. Christine Grunnet / Reuters

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