Au moment où les marchés s'échauffent, soi-disant affolés par l'envolée de la dette des Etats, les banques se braquent devant la facture que leur présentent leurs gouvernements respectifs. Un bras de fer redoutable se joue actuellement entre les autorités publiques et la finance. Pour autant, doit-on envisager le pire? A ce jeu là, tous les deux auraient trop à perdre. Les esprits animaux ne devraient pas prendre le pas sur la rationalité des Etats et la cupidité des banquiers. Explications.
Au même titre que Louis XIV proclamait «l'Etat, c'est moi», les banquiers sont actuellement en train de rappeler aux hommes d'Etat que «les marchés, c'est nous». Il y a bien entendu d'autres acteurs, mais étant incontournables pour accéder aux marchés financiers, les banques mènent la danse sur les cours et sur les taux. Elles investissent massivement dans la dette des Etats et à ce titre sont des acteurs incontournables. Ne négligeons pas cette donnée, car dans cette sphère, tout se tient.
Faire oublier les rémunérations
On a vu ces derniers temps, alors que l'économie vacillait, les banques provisionner à tout va pour payer leurs traders. A tel point que la colère populaire a obligé les différents gouvernements en Europe et aux Etats-Unis à prendre des mesures pour éviter un embrasement de la base. Alors, la meilleure façon pour les banquiers de se faire oublier avec leurs rémunérations exorbitantes fut d'annoncer dans un premier temps le retour de la croissance. La reprise de l'activité est en effet l'unique solution pour apaiser les tensions sociales. Ainsi, depuis quelques mois, les experts bancaires parlent du retour de la croissance. «Certes, elle restera "molle" mais le pire est maintenant derrière nous».
Mais, voilà, la mayonnaise ne prend pas, car si les marchés réussissent à gagner leur vie avec une activité réelle aussi atone, les autres n'y arrivent pas. Difficile, en effet, de ne pas craindre pour soi lorsque l'on voit les piètres résultats du chômage que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis. Après quelques effets d'annonces vains, relayés d'ailleurs par les déclarations des différents gouvernements, le citoyen lambda ne se sent toujours pas rassuré et ne décolère pas vis-à-vis du monde bancaire. Alors, les marchés financiers et avec eux les traders trépignent. Ils veulent bien être taxés sur une année, mais il ne faudrait sûrement pas que les surtaxes des bonus ou autres impositions deviennent une habitude pour les gouvernements.
Crédit bancaire
En France, les 360 millions d'euros récupérés en 2009 au titre de l'imposition sur les primes des traders vont être redistribués aux PME par l'intermédiaire d'Oseo, l'établissement public de soutien aux petites et moyennes entreprises. Mais le mécontentement des banques gronde. La directrice générale de la fédération bancaire française (FBF) menace: «quand on charge trop les banques, on réduit leur capacité à faire du crédit». Cette déclaration tombe alors même que le chiffre des prêts bancaires de 2009 vient d'être publié enregistrant un recul de 80 milliards d'euros par rapport à 2008. Les banques n'ont pas respecté les objectifs de crédits bancaires fixés par le gouvernement en contrepartie des aides publiques. Qu'à cela ne tienne, le monde bancaire se cabre dès que les autorités menacent de s'immiscer dans leur politique de rémunérations.
Il leur reste une issue, celle des marchés financiers, pour faire passer le message. Provoquer un trou d'air sur le marché de la dette des Etats est une bonne manière d'imposer aux autorités publiques un terrain d'entente. Il n'y a rien de telle qu'un vent de panique sur les marchés des emprunts publics pour calmer les ambitions des gouvernements d'une plus grande régulation bancaire. C'est ce qui est en train de se produire sur la dette grecque, espagnole et portugaise. Les attaques actuelles, sous couvert de tester la solidité de la zone euro, lancent un message clair aux autorités. Chacun doit rester seul maître en son domaine. Gageons que le message sera reçu cinq sur cinq et que les craintes des marchés sur la soi-disant stabilité de la zone euro disparaitront aussi vite qu'elles sont apparues. La volonté des autorités d'une plus grande régulation et taxation risque, elle aussi, de se faire moins pressante. Et en cas de nouvelles apparitions, les marchés ne manqueront pas de lancer de nouvelles piqûres de rappel.
Oriane Claire
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Image de Une: Un trader devant la bourse de Francfort, REUTERS/Johannes Eisele