Sports

Des Jeux qui n'en valent pas la chandelle

Temps de lecture : 4 min

Tous les éléments sont réunis pour que les JO de Vancouver passent inaperçus, et c'est tant mieux.

Les Jeux olympiques d'hiver sont un concept de (vieux) pays riches. L'Afrique en est exclue, ou quasiment. L'Amérique du Sud n'a pas grand-chose à y gagner. L'Océanie est un continent figurant. A Vancouver, l'Asie espèrera davantage, mais ne pourra pas damer le pion aux deux grands vainqueurs que seront l'Amérique du Nord et l'Europe. Voilà, déjà, pour la distribution des breloques de ces Jeux déjà joués d'avance en quelque sorte.

A Turin, il y a quatre ans, 26 nations seulement avaient été médaillées (c'était un record) et les cinq pays les plus récompensés avaient été, dans l'ordre, l'Allemagne, les Etats-Unis, l'Autriche, la Russie et le Canada. Le seul pays non européen ou non nord-américain du Top 10 avait été la Corée du Sud, 7e. Vancouver ne devrait pas trop bousculer cette hiérarchie si peu mondialisée -on ne va pas refaire la géographie du monde.

Quant à l'intérêt des compétitions, et compte tenu de surcroît du décalage horaire forcément démobilisateur sous nos latitudes européennes, il faudra vraiment s'accrocher au premier bobsleigh qui passe pour pouvoir suivre les résultats de disciplines plus ou moins obscures pour la plupart.

Trou de mémoire

Les plus exposées médiatiquement capteront évidemment davantage notre attention. Le patinage artistique avec Brian Joubert, le ski alpin avec Sandrine Aubert, notre nouvelle étoile du slalom... Et encore..., ai-je envie de pronostiquer. De passage à la rédaction de Slate, il y a quelques jours, j'ai demandé qui se rappelait du nom du Français, vainqueur de la discipline reine -la descente masculine- en 2006. Personne n'a su répondre à la question et j'imagine que vous êtes vous-même en train de vous torturer les méninges afin de refaire dans vos têtes le film de ces images inoubliables du sport français. Cela ne vient toujours pas? Le très discret Antoine Dénériaz vous a donc si peu marqué? Et je ne pousserai pas le sadisme en vous questionnant sur l'identité du Français, également consacré en descente à Nagano en 1998.

En France, Jean-Claude Killy et les sœurs Goitschl continuent de rester les incontournables personnages référents des Jeux d'hiver. Comme si nous en étions restés aux heures magiques des Jeux de Grenoble en 1968. Car quand j'essaie de me remémorer les Jeux d'Albertville en 1992, c'est encore le visage de Jean-Claude Killy, co-organisateur avec Michel Barnier, qui me saute à la mémoire. Autant les Jeux d'été laissent une trace, autant ceux d'hiver sont vite ensevelis sous le manteau de l'oubli à quelques rares exceptions près. En 2006, la reine des Jeux avait été, figurez-vous, Cindy Klassen. Elle était Canadienne et avait raflé cinq médailles en patinage de vitesse.

Il y a quatre ans, les audiences de France Télévision, courageux diffuseur auquel il faut ici rendre hommage parce que les chaînes du groupe font vraiment œuvre de service public en la matière (c'est même un sacerdoce), avaient été décevantes alors qu'existait une vraie proximité avec Turin. Les ventes de L'Equipe, autre baromètre intéressant à observer, avaient été atones. Vancouver ne devrait pas susciter davantage d'engouement. Brian Joubert patinera, par exemple, au beau milieu de la nuit et ce ne sont pas les commentaires guignolesques de Nelson Montfort et de Philippe Candeloro qui nous feront sortir de notre lit.

Voilà de quoi plomber davantage les comptes des journaux «obligés» de couvrir cet événement planétaire à très grands frais pour de maigres retombées quand elles ne seront pas carrément nulles.

Qu'attendre, en effet, de ces Jeux devenus obèses à force de vouloir densifier un programme qui n'a plus ni queue ni tête? Des Jeux d'hiver devenus à leur tour une stupide orgie télévisuelle de deux semaines. En 1980, à Lake Placid, il y avait 36 épreuves. Trente ans plus tard, il y en aura... 86! A Vancouver, le skeleton, le snowboard cross, le curling, le half pipe, le combiné nordique ou le 4X10km en ski de fond n'auront plus de secrets pour nous, ou presque, si vous voulez bien vous intéresser à ces disciplines extrêmement confidentielles et dont les règlements sont parfois aussi opaques qu'un ciel de neige.

C'est la vertu principale de ces Jeux d'hiver: faire émerger de l'anonymat, l'espace de quelques heures, des athlètes qui y retournent aussi vite une fois rentrés à la maison. En 2006, trois Français avaient été sacrés champions olympiques. Antoine Dénériaz, déjà cité, Florence Baverel-Robert (biathlon, sprint) et Vincent Defrasne (biathlon, poursuite, notre porte-drapeau 2010). Roddy Daragon (ski de fond, sprint) et Joël Chenal (ski alpin, slalom géant) avaient, eux, décroché l'argent. Des héros d'un jour que nous avons vus disparaître aussi vite de nos journaux télévisés. Faut-il rappeler qu'en France, le nombre de pratiquants du biathlon se résume à quelques dizaines de courageux localisés du côté de Pontarlier?

Régionalisme

Les Jeux d'été flattent notre nationalisme (et c'est pareil dans tous les pays). On bombe le torse pour un David Douillet, totalement inconnu hors de nos frontières. On est prêt à se mettre en maillot pour une Laure Manaudou qui n'a rien à craindre d'aucun paparazzi étranger. Les Jeux d'hiver ressuscitent, eux, un régionalisme qui sent bon la fondue. A Concarneau, Dieppe, Albi, Vesoul, Sète ou Dunkerque, on n'attend rien de particulier de ces Jeux de Vancouver qui ne concerneront pas les enfants du pays. En revanche, l'impatience est immense dans quelques stations des Alpes, des Pyrénées, du Jura et des Vosges qui font de ces Jeux d'hiver un axe de communication et où ce sera la fête au village en cas de médaille.

Le 28 février 2006, Morillon, en Haute-Savoie, avait ainsi fêté le retour de son héros, Antoine Dénériaz, comme l'avait narré, à l'époque, le site Internet de cette petite localité. «Pour cette grande soirée, tout le village s'est mobilisé: le boulanger a préparé 3.000 médailles olympiques en biscuit. 5.000 soupes, 4.000 vins chauds et 2.900 chocolats chauds ont été distribués. Environ 15.000 personnes sont venues féliciter notre champion qui a défilé dans la rue de Morillon sur un char de carnaval entouré des moniteurs de ski, des enfants du ski club et des remontées mécaniques du Grand Massif. Un camion de potets le précédait.» A qui le tour après Morillon?

Yannick Cochennec

Image de une: Lindsay Vonn, 26 octobre 24, 2009. REUTERS/Dominic Ebenbichler

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