Monde

Il n'y a plus de «débile» à la Maison Blanche

Temps de lecture : 3 min

Ou comment aux Etats-unis, les défenseurs des handicapés mentaux réclament le départ du conseiller de la Maison Blanche Rahm Emanuel qui aurait traité une idée d'«attardée».

Le secrétaire général de la Maison Blanche, Rahm Emanuel, a été cloué au pilori le week-end dernier, après qu'un article du Wall Street Journal a rapporté qu'il avait utilisé un langage non châtié l'été dernier, au cours d'une réunion de travail avec des organisations de gauche et des conseillers de la Maison Blanche. Rahm Emanuel, amateur d'expressions vulgaires, venimeuses et méchantes, a qualifié une des idées présentées lors de la session de «fucking retarded» (digne d'un débile mental).

Contrition officielle

La presse et la blogosphère ayant repris l'info, Sarah Palin a demandé via sa page Facebook à ce que Rahm Emanuel soit révoqué et a assimilé ses paroles au très politiquement incorrect terme «nègre» (Palin est mère d'un enfant souffrant de trisomie 21). Le président-directeur général de Special Olympics, Tim Shriver a admonesté Emanuel le jour où l'article du WSJ est paru, le 26 janvier. Et après une réunion avec des défenseurs de personnes souffrant de handicaps mentaux -dont Tim Shriver, Rahm Emanuel s'est confondu en excuses, lesquelles ont été acceptées.

Selon un communiqué de presse signé Shriver, le secrétaire général de la Maison Blanche a promis que «l'administration continuerait de chercher des occasions de travailler en partenariat avec les associations» Il s'est engagé à faciliter «l'examen d'une loi au Congrès visant à supprimer le terme "retarded" (attardé) de la loi fédérale américaine». Le communiqué réitère, par ailleurs, les ambitions des militants d'éradiquer les mots «retard» et «retarded» («attardé/débile») de l'usage courant, parce qu'ils déshumanisent les «sept millions d'Américains qui ont des déficiences intellectuelles».

«Opportunisme lâche»

Vouloir protéger les vulnérables du ridicule est peut-être une noble cause. Toutefois, si l'on en croit un article de John Cook publié sur Slate en 2001, c'est une finalité tout à fait utopique, et les militants le savent très bien. En infligeant à Rahm Emanuel le mépris de l'opinion publique, les militants - aussi digne que puisse être leur combat - sont coupables d'un opportunisme lâche. Le secrétaire général de la Maison Blanche y est peut-être allé un peu fort, mais il n'est pas un faux jeton, pas un bourreau de personne sans défense. C'est plutôt la police du langage qui lui est tombée dessus pour le menotter, Sarah Palin comprise, qu'on devrait incriminer.

Avant d'organiser un défilé de manifestants brandissant des flambeaux devant mon bureau afin d'exiger que Slate me licencie pour avoir défendu Rahm Emanuel, parcourez rapidement l'article de Cook. Il précise que le terme «attardé» était «encore un terme clinique utilisé, quelque peu de mauvaise grâce, par les psychologues pour décrire les sujets qui avaient obtenu moins de 70 aux tests de QI. L'auteur poursuit, expliquant que même si la quasi-totalité des spécialistes voulaient bannir ce terme, ce n'était pas la première fois que le problème se posait dans ce domaine.

En Amérique, les mots «débile» («moron»), «imbécile» et «idiot» étaient approuvés du point de vue clinique jusqu'à 1959, année où ces vocables ont été remplacés par «mild, moderate, et severe retardation» («retard léger, modéré et sévère») dans la nomenclature médicale. Le dictionnaire Oxford English Dictionary indique par ailleurs que l'acception médicale et non péjorative du terme «attardé» a perduré jusqu'en 1885.

Se fondant sur son expérience, le journaliste John Cook nous dit que «tous les termes privilégiés aujourd'hui sembleront indélicats ou pire demain». Il se rappelle qu'en CM2, ses camarades s'insultaient se traitant de «LDNdt». L'expression privilégiée aujourd'hui par Shriver et ses militants est «people with intellectual disabilities» (personnes ayant des déficiences intellectuelles). N'importe quel élève de CE2 sait qu'on pourrait l'abréger en «PID», une expression qui serait tout aussi dénigrante. Toutes les «solutions» [langagières] au problème des «attardés» ne font que recréer le problème.

Mauvaise foi

Shriver, le gendarme du verbe, est en réalité tout aussi tyrannique que ce dont il accuse Rahm Emanuel. Son organisation finance un programme sur le Web qui comptabilise le nombre d'occurrences du terme «attardé» sur Internet. Sur le site Slate.com, Shriver indique qu'il apparaît 11 fois. C'est faux: il y a au moins 144 occurrences de ce terme sur Slate, en le comptant également dans The Fray, le forum des lecteurs. Une lecture rapide de certains de ces articles montre que Slate utilise presque toujours ce terme de façon respectueuse ou, en tout cas, entre guillemets. Le terme «attardé» ne pose pas de problème à Slate. Il en pose visiblement un à Tim Shriver et son outil de surveillance qui tient de la paranoïa.

Une personne normalement constituée, ce qui est le cas de Rahm Emanuel, n'aurait jamais l'intention de priver des handicapés de leur dignité. Tous les parents bien-pensants découragent leurs enfants d'utiliser ce terme à mauvais escient. Pour autant, surveiller chaque emploi du terme «attardé» et taper sur des personnalités publiques qui l'utilisent dans un langage familier n'apportera pas plus de dignité aux personnes que représente Shriver. Au lieu de normaliser les attitudes et les points de vue, la stratégie de réprimande de Shriver pousse tous ceux qui ne font pas partie de son cercle à adopter une position défensive, à lui implorer son pardon.

Cette attitude – que les infirmes ne sentent pas offensés – est dangereusement boiteuse.

Jack Shafer

Traduit de l'anglais par Micha Cziffra

Image de une: Flickr

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