Je suis un peu le Dick Cheney de la Guerre des Navigateurs, partisan d'une intensification des hostilités entre Chrome, Firefox, Safari, Internet Explorer, et Opera. Tous ces développeurs qui se démènent pour sortir des navigateurs plus puissants, plus stables, et plus intuitifs, ça nous arrange bien, nous autres internautes. Il y a encore deux ans, près de la moitié des utilisateurs surfaient sur le Web avec Internet Explorer 6.0, le navigateur le plus lent, le plus buggé et le moins sûr du marché.
Depuis, Microsoft, encouragé par les avancées technologiques de ses concurrents, a sorti le très bon I.E. 8, aujourd'hui le navigateur le plus utilisé. I.E. 6 n'a pas complètement disparu, mais comme beaucoup de sites ont arrêté de rendre leurs applications compatibles avec celui-ci (comme Google par exemple), sa part de marché est sûre de dégringoler sous peu. Vive la Guerre des Navigateurs !
Une course incessante à la rapidité
Autre avantage à ce conflit incessant : les navigateurs sont de plus en plus rapides. Mike Beltzner, directeur du développement de Firefox chez Mozilla, m'a récemment confié que le « moteur javascript » - qui fait fonctionner des applis interactives et complexes comme Gmail ou Google Maps - sera 20% plus rapide dans la nouvelle version de Firefox (3.6) que dans la précédente, sortie seulement en juin dernier. A part Firefox, qu'est-ce qui peut gagner 20% de rapidé en seulement quelques mois ? Quand j'ai demandé à Beltzner comment ses développeurs avaient réussi un tel exploit, il a désigné ses concurrents. « Si personne d'autre ne cherchait à rendre son navigateur plus rapide, je ne suis pas sûr qu'on réussirait à progresser comme c'est le cas aujourd'hui » confie-t-il. « C'est devenu une question de surenchère. »
Je m'excuse d'avance auprès de Beltzner, mais je ne vais pas vous encourager à sauter sur la nouvelle version de Firefox. C'est un navigateur génial, je ne dis pas le contraire, et si vous êtes déjà fan vous n'avez aucune raison d'hésiter à le mettre à jour. Mais j'ai beau avoir toujours été un fervent utilisateur de Firefox et en avoir fait depuis longtemps mon navigateur par défaut, j'ai décidé aujourd'hui de changer de camp. Je suis passé à Chrome. Et vous devriez faire pareil.
Chrome vs. Firefox
Ça ne m'a pas pris comme ça ; j'utilisais déjà Chrome en complément de Firefox depuis sa sortie en 2008. J'ai tout de suite eu un coup de coeur pour le navigateur de Google : Chrome était délicieusement rapide, s'ouvrant en quelques secondes, chargeant les pages Web en un clin d'oeil, et ne ramait jamais quand je regardais des vidéos en streaming. Chrome fut le premier navigateur à multiplier les processus, c'est-à-dire donner un accès aux ressources de votre ordinateur à chacun des onglets ouverts ou des plug-ins. Donc si un onglet plante, votre session elle, reste intacte.
J'ai aussi accroché à l'interface minimaliste de Chrome. La plupart des navigateurs possèdent deux barres de formulaire - une pour l'adresse, une pour la recherche. Chrome n'en a qu'une. Que vous y tapiez une adresse ou bien un mot-clé, Chrome trouvera ce que vous cherchez. Encore mieux, il vous donne les résultats dans cette même barre. Tapez « JD salinger » et le premier résultat de la liste déroulante c'est la fiche Wikipedia de l'auteur. Vous voulez faire un tour chez votre blogueur politique préféré ? Tapez « Nate Silver » et le lien vers son site, Fivethirtyeight.com, s'affichera immédiatement. C'est génial comme manière de naviguer sur le Web : plus besoin de mémoriser des adresses ni même le nom des sites, et plus besoin non plus d'aller sur Google pour effectuer une recherche.
Mais à l'époque, les quelques défauts de Chrome me dissuadaient d'abandonner Firefox. L'avantage de ce dernier c'est sa flexibilité ; sa gigantesque bibliothèque de modules complémentaires lui permet de faire des milliers de choses plus géniales les unes que les autres. Je ne pouvais pas me passer de certains de ces modules, pour bloquer des publicités par exemple, ou pour synchroniser mes favoris sur plusieurs ordinateurs. Jusqu'à ce que Chrome fasse la même chose, je ne pourrais pas quitter Firefox.
Chrome 4 rattrape son retard
Et le mois dernier, tout cela a changé. Google a sorti Chrome 4, la toute dernière version « stable » de son navigateur. La synchronisation des favoris y est maintenant carrément intégrée : il suffit de l'activer et vous retrouverez vos bookmarks sur n'importe quel ordinateur utilisant Chrome. Le navigateur permet dorénavant d'exécuter les scripts Greasemonkey, ces petits bouts de code qui vous laissent modifier l'apparence de certaines pages Web. (Voici par exemple un script permettant d'afficher toutes les pages Google en noir, pour paraît-il réduire la « fatigue visuelle ». Une autre vous permet d'accepter en une seule fois toutes vos demandes d'amis sur Facebook.) Et la cerise sur le gâteau, c'est que Chrome possède enfin des extensions. Il y a déjà une gigantesque librairie de modules à la Firefox pour ajouter des fonctionnalités à son navigateur. J'en ai déjà installé quelques unes, comme AdBlock, géniale (mais à l'éthique discutable) pour garder un grand nombre d'onglets ouverts sans ralentir votre ordinateur.
Et maintenant, quelques conseils. On a tous une utilisation différente du Web, et je pense que Chrome convient mieux aux très gros consommateurs : les imbéciles qui comme moi ont toujours plusieurs fenêtres ouvertes en même temps, avec dans chacune des dizaines d'onglets actifs, et qui ne redémarrent pas leur navigateur pendant des jours. Les utilisateurs plus « casual » seront peut-être un peu déstabilisés par l'interface de Chrome, et l'impossibilité d'y installer des modules comme la Yahoo! Toolbar. Chrome possède aussi bien moins d'extensions que Firefox, et peut-être ne trouverez-vous pas quelques uns des modules que vous considérez comme indispensables. Et puis Google a beau avoir sorti l'année dernière une très bonne version de Chrome pour Mac, le navigateur est toujours un peu plus rapide sur Windows et Linux - et les extensions ne sont pas encore disponibles sur Mac.
Mais la plupart des gens devraient quand même passer à Chrome, ou au moins l'essayer. Surfer sur le Web avec Chrome c'est un vrai bonheur, et ça n'est que le début. Prenez garde, Firefox, Safari, Internet Explorer, et Opera : Chrome est dorénavant l'ennemi à abattre.
Farhad Manjoo
Traduit par Nora Bouazzouni
Image: devant le siège de Google à Zurich. REUTERS/ Christian Hartmann