C'est l'un des plus vieux mythes de l'humanité: l'immortalité. De Gilgamesh à Dorian Gray, d'Hercule à Voldemort, en passant par Peter Pan ou Jack Sparrow, nous ne cessons de mettre en scène des personnages cherchant à obtenir ce trésor convoité entre tous.
Mais on peut atteindre l'immortalité de plusieurs façons: faut-il ne jamais vieillir? Ne jamais mourir? Rajeunir de temps en temps? Au Moyen Âge, on pense ce rêve à travers plusieurs modèles.
Fontaine de jouvence
On trouve au fil des textes médiévaux de nombreuses façons de rajeunir. Ainsi Ogier, héros d'une chanson de geste qui porte son nom, a-t-il reçu de la fée Morgane une bague qui lui permet de redevenir jeune dès qu'il passe la barre fatidique des 100 ans.
Le Moyen Âge connaît également la très vieille légende de la fontaine de jouvence, dont il suffirait de boire quelques gorgées pour rajeunir aussitôt. L'âge idéal est toujours le même: 30 ans, 32 ans à la limite –en gros l'âge du Christ au moment de sa mort, donc forcément l'âge parfait.
Mais où est cette fort pratique fontaine? Voilà qui divise davantage les auteurs: selon certains, elle se trouve dans le légendaire royaume du prêtre Jean, en Orient –à moins qu'il ne faille plutôt le situer en Éthiopie. D'autres la placent dans le fabuleux pays de Cocagne, une terre quasi paradisiaque inventée par des poètes au XIIe siècle, et dont le nom voudrait dire «le pays des gâteaux de miel». Et au début du XVIe siècle, les conquistadors la chercheront dans les jungles et les marais de Floride.
Potion magique
Si vous ne vous sentez pas l'âme d'un explorateur ou d'une exploratrice (et que vous n'avez aucune fée parmi vos amies), vous pouvez toujours vous tourner vers la science: l'alchimie se donne en effet comme objectif de découvrir un élixir de longue vie, voire d'immortalité.
Roger Bacon écrit ainsi que l'être humain est «naturellement immortel»: le vieillissement, et a fortiori la mort, ne sont que des accidents qu'il s'agit de trouver comment annuler. Aux XVIIe-XVIIIe siècle, on attribuera un tel prodige à Nicolas Flamel, bourgeois parisien du XIVe siècle.
Et si vous n'avez pas confiance dans ces remèdes (soit dit en passant, vous devriez, car ils incluent souvent la consommation d'or ou de mercure), pas de panique! Pendant toute la période médiévale, les médecins prescrivent des régimes qui visent notamment à prolonger votre espérance de vie.
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Phénix, aigle et Juif errant
Immortalité convoitée, recherchée, rêvée... mais certaines créatures l'ont déjà! Dans son célèbre Bestiaire, rédigé au début du XIIIe siècle, Pierre de Beauvais évoque deux oiseaux immortels. Le premier est, bien sûr, le très connu phénix: il peut s'embraser lui-même pour renaître de ses cendres.
Mais l'aigle est lui aussi doté d'un pouvoir admirable: quand il se sent vieux, il vole vers le soleil avant de se plonger dans une fontaine. Il recommence trois fois, et hop, il redevient jeune.
Les deux oiseaux vivent ainsi éternellement, selon un cycle vieillissement-rajeunissement sans cesse recommencé: ils deviennent alors des symboles du Christ ressuscité.
Ce pouvoir n'est pas réservé aux oiseaux: le folklore médiéval mentionne également la figure du «Juif errant», un marchand de Jérusalem qui se serait moqué du Christ durant sa Passion. En punition, le Christ le condamne à l'immortalité: il devra errer sur la terre jusqu'à la Parousie, le retour final du Christ marquant l'Apocalypse. Ce personnage reçoit les mêmes pouvoirs que l'aigle: selon le chroniqueur Matthieu Paris, il vieillit jusqu'à l'âge de 100 ans, tombe alors malade, et quand il guérit, il a à nouveau trente ans.
Ce mythe est très populaire au Moyen Âge. En 1415, un marchand florentin raconte la visite dans sa ville d'un homme nommé Giovanni Votaddio, doté d'étranges pouvoirs. Le chancelier de la commune, Léonardo Bruni, grand intellectuel de l'époque, discute pendant trois heures avec lui et finit par conclure que «soit c'est un ange, soit c'est le diable, car il connaît toutes les langues du monde».
Le personnage semble immortel: les cordes cassent quand on veut le pendre, il s'évade de toutes les prisons, etc. Pour notre marchand, aucun doute: c'est ce cordonnier juif puni par le Christ de l'immortalité. D'ailleurs, il passe en Italie tous les cent ans, comme l'auteur l'apprend en interrogeant les vieux du quartier. On voit que le motif du rajeunissement cyclique est ici adapté sur un mode géographique: tous les siècles, ce personnage revient sur ses traces, dans une errance sans fin.
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Vivre, encore et toujours
Le mythe du Juif errant est intéressant, car il montre bien que l'immortalité peut aussi être pensée comme une malédiction. Questionné par notre marchand florentin, Giovanni se met à pleurer et se plaint de son sort, avant de disparaître.
Des siècles plus tard, Borges met de même en scène un Romain immortel cherchant partout l'eau capable d'annuler l'effet de la fontaine de jouvence, tandis que Barjavel imagine un monde menacé par une soudaine épidémie d'immortalité.
L'extrême longévité est plus que jamais un motif littéraire et artistique, notamment dans la science-fiction. Mais elle recoupe aussi des enjeux économiques majeurs: de nombreuses firmes biomédicales cherchent très sérieusement des façons de ne plus vieillir, ou de ralentir le vieillissement.
Si ces remèdes existent un jour, que feront-ils de nous? Des habitantes et habitants du pays de Cocagne, heureux d'ignorer la mort? Ou des Giovanni Votaddio, désespérés de vivre toujours?