Sports / Culture

Ces footballeurs qui tâtent du clavier aussi bien que du ballon

Temps de lecture : 8 min

Rares sont les footballeurs musiciens, mais les mondes du foot et de la musique partagent de nombreux points communs.

Guillaume Hoarau, attaquant des Young Boys, est aussi chanteur, batteur et producteur. | Fabrice Coffrini / AFP
Guillaume Hoarau, attaquant des Young Boys, est aussi chanteur, batteur et producteur. | Fabrice Coffrini / AFP

Fût un temps où associer musique et sport pouvait paraître drôle. Souvenez-vous de la fameuse chanson «Vivre dans ta lumière» interprétée en 2000 par Youri Djorkaeff, fraîchement auréolé du titre de champion du monde en 1998. Un morceau au succès plus que mitigé et qui n’en appellera pas d’autres. Le joueur a d’ailleurs encore peu envie de revenir sur cette parenthèse musicale qu’il a du mal à assumer.

Même si aujourd’hui les footballeurs ne s’aventurent pas à la conquête des classements et streamings, certains entretiennent une passion dévorante pour la musique, cultivée bien avant de se destiner au football professionnel. Beaucoup d’exemples fleurissent dans notre chère Ligue 1 française, dans des styles musicaux différents.

De Pedro Rebocho, défenseur de Guingamp à Umut Bozok, buteur du Nîmes Olympique, les exemples sont variés. Pour eux, la musique est une passion qui n’a cessé de se renforcer durant leur carrière.

Umut Bozok, le pianiste de musique classique

L’attaquant turc, meilleur buteur de national et de Ligue 2 lors des deux dernières saisons, cultive son attrait pour la musique dès l’âge de 6 ans au conservatoire de Moselle. Il y apprend le solfège puis le piano un an plus tard, loin du ballon rond qui arrivera bien après.

«À la base, je n'ai jamais été fan de foot. J’étais vraiment un passionné de musique. C’est toujours plus facile d’adorer ça quand on a un père musicien.»

Son père –qui l’a inscrit au conservatoire– jouait de la guitare traditionnelle turque. Un instrument qui permettait à ce soudeur papa de trois enfants d’arrondir ses fins de mois lors de mariages ou de fiançailles. Il apprendra même à son fils à jouer de cette fameuse guitare sur un synthétiseur. Dès 11 ans, Umut l’accompagne sur ses différents événements.

«La musique est une activité psychomotrice qui fait marcher la tête et l’esprit. Elle peut rejaillir sur la technique et dans la manière de gérer sa carrière»

Patrick Mignon, sociologue de la culture

Désormais footballeur professionnel à plein temps au Nîmes Olympique, le natif de Saint-Avold n’oublie pas d’entretenir sa fibre musicale en dehors du terrain.

La maîtrise du piano l’aide dans son activité footballistique: «Cela demande énormément de concentration. Je dois faire attention à mes deux mains. Tout est basé sur le regard et le toucher donc ça me permet de varier ma palette au niveau de la concentration. Aujourd’hui ça m’aide énormément et ça change le regard que les gens ont vis-à-vis de moi».

Le buteur entretient d’ailleurs quelques rituels musicaux avant d’entrer sur le terrain, comme écouter de la musique classique.

«La musique est une activité psychomotrice qui fait marcher la tête et l’esprit. Elle peut rejaillir sur la technique et dans la manière de gérer sa carrière», explique Patrick Mignon, sociologue de la culture et ancien directeur de recherche à l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance).

En France, une figure du ballon rond symbolise le tournant observé dans les rapports sport-musique: Dominique Rocheteau. Alors joueur de Saint-Étienne, celui que l’on surnommait «l’ange vert» a écrit une chronique pour le magazine Rock & Folk du 1er décembre 1978. Une première pour l'époque et un choc de voir un footballeur assumer ses orientations musicales.

«Avant en France, le footballeur était vu comme un sportif en maillot et short. C’était l’homme du peuple vissé à ses crampons», raconte Patrick Mignon.

«Rocheteau était un amateur de batterie. La musique était pour lui une échappatoire en allant à plein de concerts, lui qui a été soumis à la pression très jeune», ajoute Pierre-Étienne Minonzio, journaliste à l’Équipe spécialiste des rapports entre sport et musique.

Depuis, les liens entre football et musique ont été étudiés avec plus d’attention et des transformations ont été observées: les footballeurs assument leurs goûts musicaux, mais aussi leurs tatouages et coupes de cheveux, qui sont aussi des marqueurs d'appartenance à un groupe.

Pedro Rebocho, un rappeur portugais en Bretagne

Une analyse qui correspond bien au style de Pedro Rebocho, international espoir portugais et défenseur de l’En Avant Guingamp. Tatouages à l’avant bras et barbe bien taillée, le numéro 5 du club breton arbore un vrai style urbain lorsqu’il quitte la tunique de footballeur. Casquette, bomber et sneakers, il adopte la panoplie complète de l’artiste hip-hop.

Rappeur depuis son adolescence, le Portugais a créé un véritable «home studio» pour entretenir sa passion. Ce qui lui permet depuis un an de poster ses morceaux sur YouTube, sous le pseudonyme de StiffWrist, chaîne qui compte près de 1.000 abonnés et plus de 50.000 vues.

Rapper, une activité qu’il pratiquait bien avant de devenir joueur pro.

«J’écoute du rap depuis que je suis enfant avec mon meilleur ami. J’ai commencé à écrire mes premières chansons à 15 ans.» Pour Pedro, la musique a servi de thérapie lorsque le football s’inscrivait en pointillés.

En février 2016, Rebocho s’est fracturé le péroné et a dû observer six mois d'indisponibilité. Alors joueur de l’équipe B du Benfica Lisbonne, il a profité de sa convalescence pour replonger dans ses anciens textes et se remettre dans la musique en réalisant de nouvelles compositions.

Le morceau «Fíbula» (péroné en portugais) est directement inspiré de sa grave blessure, comme pour mieux dompter cette période noire.

Guillaume Hoarau, chanteur, batteur et producteur

Une autre vieille connaissance de la Ligue 1 française affiche également depuis de nombreuses années ses qualités de mélomane. Guillaume Hoarau, ancien attaquant du Paris Saint-Germain et de l’Équipe de France (cinq sélections) pratique lui aussi la musique depuis sa petite enfance.

Sur son île de la Réunion quittée en janvier 2004 pour rejoindre le club du Havre, l’actuel numéro 99 des Young Boys de Berne faisait partie du groupe Famila, composé avec ses cousins et oncles. Ses influences vont du zouk au reggae avec des reprises de Bob Marley.

«On répétait le dimanche. On a donné quelques concerts dans les maisons de retraite ou lors de la Fête de la musique. J’étais chanteur ou batteur. J’adorais interpréter des chansons de Bob, comme “Redemption Song”», détaillait-il à l’Équipe Magazine en janvier 2009.

Lorsqu'il choisit à la surprise générale de rejoindre le club chinois de Dalian Aerbin en 2013, le natif de Saint-Louis assume les motifs financiers mais évoque également ses perspectives artistiques: «Les Chinois m’ont proposé beaucoup d’argent. J’ai beaucoup réfléchi. C’était soit le PSG et de nouveaux titres, soit aller en Chine, prendre l’argent et penser à mes projets d’après-carrière, notamment dans la musique».

«Ma priorité est encore le foot mais je commence à avoir un œil sur demain»

Guillaume Hoarau, ex attaquant du PSG

Parti sur un contrat de trois ans, il ne restera en Chine qu'une année. Il revient à Bordeaux en janvier 2014 et signe en septembre chez les Young Boys de Berne. Son doublé en barrage retour de la Ligue des Champions contre le Dinamo Zagreb en août dernier a permis au club helvète de jouer la prestigieuse compétition pour la première fois de son histoire.

En décembre 2015, il fonde avec Richard Dimosi, businessman spécialisé dans la gestion et création de médias, le label 99 Hope Road pour repérer des artistes, notamment à la Réunion. «La musique a toujours été un moyen d’évacuer la pression, confiait-il en 2016 au Journal de l'île de la Réunion. C’est en moi. Ma priorité est encore le foot mais je commence à avoir un œil sur demain. Il y a des talents dans toutes les disciplines.»

Hoarau producteur, mais toujours acteur. L’attaquant conserve sa double casquette de chanteur et guitariste au sein de son groupe familial. Il est venu montrer ses talents lors de son passage au Canal Football Club le 2 septembre dernier, improvisant un duo avec la consultante et ancienne joueuse Laure Boulleau.

Mais c’est son passage dans l’émission J+1 qui a le plus marqué les esprits en décembre 2015. Un mois après les attentats de Paris, l’ancien attaquant très apprécié des supporters parisiens a interprété une chanson à la gloire de la ville lumière attaquée quelques semaines plus tôt.

Ces différents exemples de joueurs français sont assez récents et tranchent avec leurs homologues étrangers.

Au Brésil, le roi Pelé a composé près d’une centaine de titres à la guitare. Avec l’aide de Roberto Menescal, père de la bossa nova, il enregistre en 1969 deux ballades à succès («Perdão, não tem» et «Vexamão») en duo avec Elis Regina, grande chanteuse populaire brésilienne.

En 2006, il sort Ginga, album de quinze chansons à mi-chemin entre le rock et la bossa nova, accompagné d’un DVD de ses plus beaux buts.

En Angleterre, Dion Dublin, attaquant entre la fin des années 1980 et 2000 a même créé un instrument lors de sa dernière expérience à Norwich entre 2006 et 2008. Il s’agit d’une déclinaison d’une caisse de résonance produisant un son similaire a la batterie nommée «The Dube».

Plus consommateur que producteur de musique

Ces différents cas de footballeurs musiciens restent cependant marginaux selon Minonzio, auteur du Petit manuel musical du football en 2014: «La plupart des footballeurs ne sont pas musiciens car leurs carrières débutent de plus en plus tôt, avec les centres de formation. Il est donc difficile pour eux de développer des passions artistiques. Umut Bozok a un parcours atypique et reste une exception. Mais les ponts entre les deux sphères ont toujours existé».

Les points communs ne sont plus à démontrer, mais une chose est sûre: les footballeurs sont plus souvent consommateurs que producteurs de musique.

«Ils se réfugient dans la musique car c’est aussi un art accessible qui détend. Les deux affrontent la foule. Ce sont des milieux qui boostent l’ego et qui génèrent de la pression car la remise en cause est perpétuelle: après un tube ou un trophée, il faut sans cesse confirmer», développe le journaliste. Des similitudes qui expliquent sûrement pourquoi ces milieux se nourrissent mutuellement et adorent se côtoyer.

La dernière Coupe du monde remportée par la France symbolise ces rapports étroits. Antoine Griezmann a rythmé ses stories Instagram aux mélodies de Naza, artiste rumba-trap à succès. À quarante-huit heures de la finale face à la Croatie, c’est sur la chanson «Putain de Merde» que Grizi et quelques coéquipiers se sont adonnés à une petite danse partagée sur le réseau social.

À l’issue du match de la Ligue des nations face aux Pays-Bas le 9 septembre dernier, une cérémonie de présentation du trophée a été organisée en présence de l’artiste Vegedream, auteur du déjà culte «Ramenez la coupe à la maison» chanté au beau milieu des nouveaux champions du monde tricolores pour le plus grand plaisir des 80.000 supporters du stade de France.

Les footballeurs musiciens restent rares. Mais le fait est que désormais, les artistes gravitent autour de l’orbite des footballeurs et vice-versa. Il y a vingt ans, dans le mythique documentaire Les Yeux dans les Bleus, on voyait Zidane écouter «On ira tous au paradis» de Michel Polnareff calmement dans sa chambre.

Aujourd'hui, joueurs français et artistes de la scène urbaine se côtoient. Une proximité pleinement assumée.

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