Cet automne, Clive Palmer, le magnat australien de l’exploitation minière, a affirmé avec force déclarations avoir relancé son projet visant à reproduire le navire le plus tristement célèbre au monde et à proposer des croisières sur le Titanic II entre Southampton, en Angleterre, et New York (soit l’itinéraire d’origine du Titanic), avant de continuer par un tour du monde.
«En cette époque où les conflits font rage dans le monde, le Titanic représente Jack et Rose, Roméo et Juliette», m’a raconté Palmer, au téléphone depuis l’Australie, en n’hésitant pas à rapprocher l’histoire d’amour des personnages principaux du Titanic de James Cameron (Jack se noie après le naufrage du navire) de celle des héros de la tragédie de Shakespeare (Roméo meurt empoisonné, Juliette se poignarde). «Nous savons faire la guerre, nous devons faire la paix, lance-t-il. C’est en partie ce qui nous motive pour construire ce navire.»
Un projet très hypothétique
Dernièrement, Palmer a annoncé que le siège européen du projet allait être localisé à Paris afin d’éviter les complications dues au Brexit. La semaine précédente, il avait nommé un directeur européen malencontreusement baptisé Clive Mensink (littéralement «des hommes se noient»), afin qu’il s’occupe du personnel, des opérations et de la construction.
Le projet va-t-il arriver à bon port? Pas sûr.
«Beaucoup de personnes de mon âge achètent ou construisent des bateaux. C’est juste que, moi, j’en construis un plus grand, parce que j’ai un plus gros budget»
Comme avec l’Hyperloop d’Elon Musk, le bus chinois conçu pour passer au-dessus des voitures ou le projet de «ville intelligente» de Bill Gates en Arizona, les médias se sont emparés du projet Titanic II allant jusqu’à affirmer qu’il sillonnera les océans dès 2022. Pour Palmer, cette frénésie médiatique est ce qui lui donne (au moins autant que les plans d’action internes) la certitude que son projet peut réussir. Le public semble presque autant vouloir le Titanic II que lui. «Beaucoup de personnes de mon âge achètent ou construisent des bateaux, explique-t-il. C’est juste que, moi, j’en construis un plus grand, parce que j’ai un plus gros budget.»
Petit détail qui a son importance: en réalité, Clive Palmer n’a encore rien construit du tout. Il avait annoncé son projet pour la première fois en 2012 pour une mise à l’eau en 2016. La construction de la réplique, avait-il alors avoué à un magazine australien, répondait à une demande de constructeurs navals chinois qui cherchaient à s’introduire sur le marché des croisières. «J’ai dit “Construisons le Titanic!” Ce sera un moyen formidable de démontrer la compétitivité des constructeurs navals chinois.» (En outre, il est fan du film.) En avril 2012, Palmer avait demandé à Deltamarin, une véritable entreprise finlandaise de conception de navires, ainsi qu’à CSC Jinling Shipyard, le constructeur naval d’État chinois, de signer un protocole d’accord et de «mener des études techniques préliminaires». En 2014, il avait repoussé la date butoir à 2018. Et en 2015, les ouvriers de CSC Jinling avaient annoncé à l’Australien que son projet était au point mort. Son accord avec Jinling était nul et non avenu.
Une question d'argent, forcément
Néanmoins, Palmer possède toujours les plans du bateau –ainsi que quelque 3.000 couverts et pièces de vaisselle sur le thème du Titanic.
Qu’a-t-il fait durant tout ce temps, alors que le monde attendait le Titanic II, l’oubliait, puis s’en souvenait à nouveau? Côté réussites, Clive Palmer a créé un parti politique portant son nom et il a été élu au Parlement australien (où il s’est rarement montré présent durant son mandat, qui a pris fin en 2016). De retour en politique, il se présente aujourd’hui avec le slogan «Make Australia Great».
Mais dans d’autres domaines, ces dernières années ont été difficiles. Dans une station balnéaire qu’il a achetée, Palmer a tenté (en vain) de construire le plus grand parc de dinosaures animatroniques au monde, avant de finalement laisser la propriété tomber à l’abandon (même s’il prétend que le site est simplement fermé au public et qu’il s’en sert comme Donald Trump utilise Mar-a-Lago). Alors que l’une de ses sociétés, Mineralogy, se battait devant les tribunaux pour des droits d’exploitation minière non payés par les Chinois, une autre de ses entreprises, appelée Queensland Nickel a fait faillite, avec plus de 200 millions de dollars de dettes envers ses créditeurs et ses anciens employés. En outre, Clive Palmer a chuté puis a disparu de la liste Forbes des cinquante Australiens les plus riches, avant que sa situation ne s’aggrave encore.
Clive Palmer lors d'une réunion politique en Australie, en 2013 | William West / AFP
Selon Palmer, les choses s’améliorent. Ses partenaires chinois (qu’il a un jour traités de «salopards», lorsqu’il était député) s’étaient enfuis avec une partie des fonds destinés au Titanic II. Toutefois, une récente décision de justice en sa faveur lui a permis de récupérer les montants volés et lui a donné l’envie de s’atteler à nouveau à la construction du navire maudit.
Difficile de savoir si cette volonté sera suivie d’efforts plus conséquents que ceux fournis en 2012, époque à laquelle presque personne ne semblait vraiment travailler à plein temps sur la construction du bateau. Les conseillers en décoration, Steve Hall et Daniel Klistorner, n’avaient aucune expérience des bateaux de croisière, mais ils venaient de coécrire deux livres sur la décoration du premier navire, Titanic: The Ship Magnificent (Volumes I et II). James McDonald, directeur du marketing international du projet, allait devenir, après son élection au Parlement, le chef du cabinet de Clive Palmer, mais son poste à la Blue Star Line n’apparaît pas sur son profil LinkedIn. John Eaton, en charge des événements pour le Titanic II, se targue d’avoir mis sur pied une couverture médiatique de plus de 500 millions de dollars pour les festivités du lancement, dont l’une s’est déroulée sur l’USS Intrepid, à New York. Par ailleurs, il était également le directeur général du Palmer Coolum Resort, ancien grand complexe de la Sunshine Coast australienne, aujourd’hui laissé à l’abandon et envahi par les moustiques, où est entreposée la vaisselle du Titanic.
Pour Palmer, rien de tout cela n’est gênant. Mineralogy est son entreprise et il peut transférer des fonds, ainsi que des employés, à sa guise. Suite à la faillite de Queensland Nickel, le seul directeur déclaré, Clive Mensink (le neveu de Palmer), a quitté le pays et se cache en Bulgarie, car il fait l’objet d’un mandat d’arrêt en Australie pour ne pas s’être présenté au tribunal lors de l’enquête publique sur la banqueroute de l’entreprise («Ce n’est rien de plus qu’une contravention», a fanfaronné Palmer). Aujourd’hui, bien que fugitif, Mensink est responsable des ressources humaines, des opérations et de la construction du Titanic II.
À LIRE AUSSI L'histoire du Titanic que l'on vous a cachée
Comme la première fois, cette tentative de faire revivre le navire-star du plus célèbre naufrage de l’Atlantique Nord pourrait se résumer à une question d’argent. La construction d’un paquebot de croisière à la pointe de la technologie pourrait coûter un milliard de dollars supplémentaires, bien plus que ce que Palmer va obtenir grâce aux poursuites contre l’entreprise minière chinoise. «Nous ne sommes pas prêts pour la phase commerciale du projet, a concédé Palmer. Mais nous croulons sous les offres et les propositions.» Avec toute l’attention qu’il reçoit, après tout, pourquoi pas?