France

Copé: Il n'y a pas de fatalité aux délocalisations!

Temps de lecture : 6 min

Depuis 1997, l'emploi industriel en France a baissé de plus de 10%, avec un net décrochage en 2001. La crise actuelle est loin d'améliorer les choses. L'opinion et les médias accompagnent, avec une colère mêlée de résignation, une litanie de délocalisations et de destructions d'emplois industriels, comme si elle était une inexorable spirale négative. Doit-on en conclure que la France est condamnée à devenir un désert industriel? Quatre raisons me poussent à considérer qu'il n'y a pas de fatalité aux délocalisations et que la France peut avoir un véritable avenir industriel.

1re raison: Nous pouvons créer de nouvelles filières en misant sur des investissements d'avenir. Des secteurs industriels ont certes fondu en France -par exemple, au milieu des années 1970, la sidérurgie employait plus de 200.000 personnes contre environ 20.000 aujourd'hui-, mais d'autres peuvent émerger. C'est tout le défi du «grand emprunt»: l'Etat va investir 35 milliards d'euros dans des secteurs d'avenir pour générer un effet de levier qui créera croissance et nouveaux emplois, notamment industriels. Imaginons seulement le bénéfice que tirerait la France d'un bon positionnement sur le développement durable, par exemple: le marché des produits et services verts devrait doubler dans le monde d'ici à 2020, passant de 1.370 milliards de dollars par an à 2.740 milliards, créant au passage plus de 20 millions d'emplois nouveaux. Mais la France pourrait aussi tirer son épingle du jeu en renforçant son industrie agroalimentaire ou en devenant leader de la voiture électrique, pour le bénéfice de l'ensemble du secteur automobile français...

2e raison: Les délocalisations se révèlent parfois moins intéressantes qu'elles le paraissaient de prime abord pour les entreprises industrielles. Il arrive qu'on assiste à un certain désenchantement parmi les «délocalisateurs» occidentaux: les pays émergents ne sont pas toujours l'eldorado industriel espéré. La productivité y est souvent moins élevée, les coûts et les délais de transports plus importants, la qualité de production parfois hasardeuse et les salaires ont tendance à augmenter. Ainsi, en 1996, le coût de travail en République tchèque était huit fois moins élevé qu'en France; en 2002, il n'était plus que cinq fois moins cher, et cette dynamique s'est poursuivie depuis. Au final, le coût complet après délocalisation peut avoisiner dans certains cas le coût de production en France.

3e raison: l'enjeu environnemental devient un frein aux délocalisations et même un facteur de relocalisation. Les impératifs écologiques poussent au rapprochement du producteur et du consommateur, pour réduire les émissions de CO2 liés au transport et pour assurer une meilleure traçabilité du respect des normes environnementales. Dans cet esprit, les consommateurs davantage sensibilisés à l'écologie choisiront sans doute de plus en plus d'acheter des produits moins polluants. Pour aider à ce changement de comportement, il est nécessaire de mieux intégrer le coût écologique d'un bien dans le prix de vente, notamment grâce à une taxe carbone aux frontières de l'Europe. Les exigences vertes doivent s'appliquer également aux produits importés.

4e raison: le handicap français lié au coût du travail peut être réduit avec de la volonté politique.

Malgré les facteurs évoqués plus haut, le coût du travail en France reste un problème important. Il ne s'agit bien sûr pas de concurrencer la main d'œuvre chinoise, mais de regagner quelques points en compétitivité, ne serait-ce que par rapport à nos voisins européens. En effet, l'érosion du secteur industriel en France s'explique surtout par un déficit structurel de la compétitivité du travail qu'il va falloir combler. Là encore, il n'y a pas de fatalité. L'Allemagne, qui a perdu proportionnellement plus d'emplois industriels que la France entre 1998 et 2006, a su inverser la tendance au prix d'un effort massif sur son coût du travail.

Pour baisser le coût du travail, il y a trois axes de travail.

  • Première piste: augmenter la productivité. Celle-ci est déjà très élevée en France, mais il faut continuer d'innover ou d'améliorer les conditions de travail pour progresser encore.
  • Deuxième piste: alléger les charges qui pèsent sur le travail. La réforme de la taxe professionnelle va dans ce sens, tout comme les exonérations et allègements de charges sociales financés par l'Etat. Mais avec déjà plus de 30 milliards d'allègement de charges par an, on ne peut plus aller beaucoup plus loin!

Le cœur du débat doit donc porter désormais sur notre protection sociale et particulièrement sur son financement: notre système de sécurité sociale est pour l'instant financé par des cotisations portant principalement sur le travail et en partie sur le capital. Faut-il transférer davantage le poids de ce financement vers le capital ou la consommation? Pour la taxation du capital, les marges de manœuvre sont limitées: les capitaux peuvent franchir les frontières encore plus facilement que les usines et la France a déjà un taux d'imposition de plus de 40% du capital, 20 points supérieur à celui de l'Allemagne.

Faire porter le financement de la sécurité sociale sur la consommation plutôt que sur le travail revient à instaurer une TVA sociale, comme cela a été appliqué en Allemagne. Outre-Rhin, la TVA est passée en 2007 de 16% à 19%: deux points de hausse ont été alloués à la réduction des déficits et l'autre point à une baisse des cotisations des salariés et des employeurs. Cela a permis à l'industrie allemande d'améliorer sa compétitivité et de gagner de nombreuses parts de marché à l'international, notamment aux dépens de la France. Opérer un tel transfert n'est pas sans danger dans notre pays, où la croissance est largement portée par la consommation. D'autant plus que cela éroderait le pouvoir d'achat des Français, à commencer par celui des retraités.

  • Troisième piste: augmenter la durée du temps de travail sans augmenter autant les salaires, au moins à court terme. Les Français sont-ils prêts à travailler plus pour gagner autant? C'est le «deal» qu'acceptent parfois les syndicats de certaines entreprises en échange de la promesse d'éviter une délocalisation. Les salariés sont sommés de se prononcer, «le couteau sous la gorge». Cela relève alors du chantage à l'emploi, ce qui n'est pas très sain pour notre démocratie sociale. Cette question est un tabou considérable dans le débat politique et économique français. Je considère pourtant qu'il faudrait poser cette question à tous les salariés français, dans le cadre d'un grand débat national, en leur proposant des contreparties fortes, par exemple la mise en place d'une sécurité sociale professionnelle qui leur garantirait une employabilité tout au long de la vie.

Aucune de ces pistes n'est un chemin facile. Mais il va falloir les explorer avec les Français et les partenaires sociaux avant de trancher, sous peine de condamner l'emploi industriel et notre système de protection sociale. Nous devons faire les choix courageux qui nous permettront d'inverser la tendance du déclin industriel français. L'exemple de l'Allemagne montre qu'un effort sur quelques années peut porter en germe des gains à moyen terme. Ce débat sera un rendez-vous de vérité au cœur de la campagne présidentielle de 2012.

Jean-François Copé

Image de une: La raffinerie Total près de Dunkerque, le 28 janvier 2010. REUTERS/Pascal Rossignol

Selon l'étude comparative d'Eurostat sur les taux d'imposition dans les pays de l'UE, en 2007.


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