La procédure n’a pas changé d’un iota depuis les prémices. Comme tous les ans ou presque depuis le retour de Viktor Orbán aux responsabilités en mai 2010, les huit millions d’électrices et électeurs hongrois reçoivent dans leur boîte aux lettres un questionnaire assorti d’une lettre signée de la main du Premier ministre. Détrôné en 2002 par les socialistes alors qu’il était devenu l’un des plus jeunes chefs de gouvernement européens de l’histoire peu avant que Zizou ne soulève la Coupe du monde, Orbán instaura durant la campagne législative de 2006 un dialogue avec l’ensemble du pays entre forums et QCM postaux sondant le peuple «délaissé» par la gauche. Ainsi naquirent les fameuses «consultations nationales».
Chaque «consultation» s’accompagne d’un matraquage télévisuel, radiophonique et visuel avec des affiches placardées des bordures d’autoroute et de nationales aux réverbères des plus petits patelins. En deux quadriennats d’orbánisme sur les bords du Danube, les citoyennes et citoyens magyars ont été incités à donner leur avis sur les retraites (2010), la Constitution (février 2011), les aides sociales (mai 2011), les impôts et le salaire minimum (2012), l'immigration et le terrorisme (2015), la nécessité ou pas de «stopper Bruxelles» (mars 2017) et le supposé «plan Soros» (octobre 2017), du nom du milliardaire américain d’origine hongroise devenu bouc-émissaire principal de Budapest depuis la crise migratoire.
Gouffre financier
La dernière en date lancée officiellement ce lundi 5 novembre s’intéresse à la «défense des familles» et soulève autant de postulats polémiques que les trois précédentes. La première des dix questions suggère que le déclin démographique devrait plutôt être corrigé par un soutien appuyé aux familles qu’avec l’aide de l’immigration «continuelle» qu’encourageraient les «bureaucrates de Bruxelles». La neuvième évoque un «droit fondamental à un père et une mère» écartant par omission les familles homoparentales et les couples de même sexe du moule-modèle sanctuarisé dans la Loi fondamentale. Aides à vie pour les familles nombreuses et statut spécial de la mère renforcent ce plaidoyer nataliste.
«Cette consultation nationale s’inscrivant dans la continuité de “l’année des familles” décrétée par le gouvernement s’ajoute à la caravane à fleurs pro-familles du carnaval de Debrecen lors de la fête nationale du 20 août, au court film publicitaire de septembre exaltant la parentalité, à l’actuelle campagne d’affichage répétant le discours du message vidéo et aux drapeaux “année des familles” présents en quantité sur les ponts de Budapest», commente une plume du portail d’opposition Mérce. Les récipendiaires ont jusqu’au 21 décembre pour remplir et renvoyer le formulaire s’ils le souhaitent. Budapest repoussera sans doute la limite afin de vanter le poids de la vox populi, comme de coutume.
Le succès relatif de l’initative (record à 2,3 million de réponses autour du «plan Soros») ne décourage pourtant pas la Hongrie de dillapider les deniers de l’État en enveloppes affranchies et en réclames. Budapest se déleste d’environ 800-900 millions de forints (2,48 –2,79 millions d’euros) par consultation rien qu’en frais postaux et la promotion publicitaire des questionnaires sur Bruxelles et Soros aurait coûté la bagatelle de douze milliards de forints, soit 37,2 millions d’euros. Un tiers de cette somme énorme aurait été dépensé dans des encarts enrichissant les médias nationaux et régionaux contrôlés par l’oligarque favori de l’exécutif, Lőrinc Mészáros, selon le décompte du site d’investigation Átlátszó.
Entériner la ligne ultraconservatrice
Non content d’exploser le budget public en timbres prioritaires et en courriers-types de Viktor Orbán tout en affaiblissant parallèlement les contrepoids institutionnels et démocratiques, le gouvernement profite des consultations nationales pour marteler ses éléments de langage au-delà de son empire médiatique propageant le discours xénophobe, nationaliste, «illibéral» et antiréfugiés de Budapest. Le questionnaire tendancieux de 2015 instillait un lien de cause à effet entre immigration et terrorisme. Celui de 2017 sur Bruxelles brandissait des «menaces» sur la souveraineté et la sécurité de la Hongrie. Le sondage sur le «plan Soros» diabolisait le «spéculateur» présenté comme ennemi majeur du pays.
«Le gouvernement veut qu’un maximum de réponses aille dans son sens afin de transmettre le mot d’ordre suivant à Bruxelles: nous ne devons laisser entrer personne en Europe et concevoir plus d’enfants»
En consultant jusqu’à Noël ses concitoyens et concitoyennes sur la «défense des familles», la Hongrie d’Orbán poursuit l’hypnose idéologique. «Cette initative financée comme d’habitude à grand renfort d’argent public et atteignant sans exception chaque Hongrois et Hongroise en âge de voter sera appuyée par une énorme campagne promotionnelle digne de celles que nous connaissons depuis 2010. Le gouvernement veut qu’un maximum de réponses aille dans son sens afin de transmettre le mot d’ordre suivant à Bruxelles: nous ne devons laisser entrer personne en Europe et concevoir plus d’enfants», ironise le portail 444.hu révélant d’ailleurs que la famille-modèle illustrant le document provient d’une banque d’images russe.
Le meilleur contempteur des consultations nationales n’est autre que le parti satirique du Chien à Deux Queues (MKKP), jamais avare de pitreries sur la politique hongroise. En mai 2015, son questionnaire alternatif sur la «solidarité sociétale» incluait des interrogations aussi farfelues que «Qui détestez-vous le plus?» ou «Saviez-vous que la haine soigne le cancer et le sida?». Durant l’automne 2017, le MKKP récidiva dans la foulée du sondage anti-Soros en demandant notamment aux intéressés et intéressées si le philanthrope honni devait «manger du poisson aujourd’hui» ou «faire dix pompes immédiatement».
«La gauche libérale élitiste chassée du pouvoir en 2010 après deux mandats ayant mené le pays au bord du précipice n’a pas appris de ses erreurs. Elle méprise profondément le principe de la consultation qui s’est enraciné dans la société magyare et reflète l’ancrage populaire du gouvernement actuel. Même Macron s’est inspiré de cette réussite politique d’Orbán en ouvrant une consultation citoyenne sur l’avenir de l’Union européenne», rétorque le site d’actualités Origo proche du Fidesz au pouvoir. Parfois converties en lois ou en amendements constitutionnels, les consultations nationales se voulant démocratiques de Budapest ne semblent servir qu’à entériner la ligne ultraconservatrice de l’exécutif.