France

«L'un de nous deux», miroir d'outre-tombe

Temps de lecture : 2 min

En imaginant un dialogue entre Blum et Mandel, le livre de l'historien Jean-Noël Jeanneney rappelle toute la noblesse de la politique, d'hier et d'aujourd'hui.

Ces deux hommes ont été retenus ensemble pendant 14 mois. Le 28 juin 1944, la résistance assassine Philippe Henriot, le ministre de l'information de Vichy. Quand Blum et Mandel l'apprennent, dans leur geôle, ils comprennent, en même temps, que l'un d'eux sera renvoyé en France et certainement exécuté en représailles. Ce sera finalement Mandel, tué par la milice le 7 juillet dans une forêt française. Ces faits sont historiques.

La pièce de Jeanneney se déroule durant les quelques heures avant et après l'assassinat d'Henriot et recrée un dialogue qui aurait pu exister, qui a du exister, avec d'autres mots certainement, mais qui correspond à la personnalité de ces deux grands républicains. L'immense connaissance de la biographie de ces deux hommes dont l'historien Jeanneney est le spécialiste fournit un huis clos hyper réaliste ou se mêlent tous ce dont est fait la politique: l'anecdotique, le calcul tacticien mais aussi l'altruisme et les hautes aspirations.

Il nous parle de trois époques. Celle où se consolide, où se cristallise la République française, c'est-à-dire la Troisième République à travers un dialogue Jaurès-Clemenceau, références tutélaires et maîtres à penser des deux prisonniers. Jeanneney fait parler Blum et Mandel qui font parler Jaurès et Clemenceau dans un dialogue en forme de poupées russes. On y évoque les couples infernaux que sont l'ordre et la liberté, la responsabilité personnelle ou collective.

Deuxième époque: la guerre, puisque les deux protagonistes en sont des acteurs... C'est celle des choix dramatiques, d'une certaine définition de l'identité, non pas nationale mais française pour ces deux hommes politiques juifs, qui justement n'avaient pas rejoint Londres pour ne pas qu'on les accuse de désertions et pour désamorcer le qualificatif d'apatride...

La teneur souvent philosophique et dramatique du dialogue entre deux hommes qui savent que l'un d'eux va certainement bientôt mourir semble à mille lieues de la politique d'aujourd'hui (troisième époque). Les temps étaient épiques et les choix engageaient les vies mais, en même temps, sont débattus entre ces deux hommes des notions presque éternelles de la politique qui nous ramènent à nos jours: le courage intellectuel, les limites de la fidélité, le rapport entre le discours et l'action, faut-il être pessimiste ou optimiste pour agir? Vaut-il mieux pêcher par excès de confiance ou par excès de défiance? Tout est-il politique ?... On y parle des rapports de servilité ou de courtisanerie dans les sphères du pouvoir. Il y a même la question de la communication politique. Blum reproche à Mandel d'être allé, en tant que ministre des Postes, avec des journalistes dans des bureaux de postes pour surprendre des employés en flagrant délit de fainéantise.

Démagogie dit Blum, bonne communication, répond Mandel... Même dans les moments les plus tragiques, deux hommes politiques peuvent quitter les hauteurs de la réflexion pour parler stratégie et communication.

«L'un de nous deux» est un livre politique rare et riche.

Thomas Legrand

Image de une: Léon Blum, non datée. Library of Congress

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