«Depuis quelques semaines, je subis des attaques que je qualifierais de misogynes», s’est défendue Sophia Chikirou, mardi 23 octobre sur BFMTV, alors qu’elle est empêtrée dans une histoire de surfacturations révélée par France Info.
La journaliste Ruth Elkrief la questionnait sur «tous les portraits» dans la presse qui la décrivent comme «autoritaire, redoutée par ses équipes, qui manage par le stress». Et la conseillère en communication de Jean-Luc Mélenchon de donner des noms de journalistes: «Arfi, Edwy Plenel, Jean-Michel Apathie, Pascal Praud, Sylvain Tronchet, Jean-Louis Burgat, égraine-t-elle. Ce sont tous des hommes, je n’ai pas entendu une seule femme journaliste tenir les propos que ces hommes ont tenu à mon encontre. [...] Les femmes, elles savent tous les coups bas que vous prenez, donc elles ne m’attaquent pas comme cela.»
«Leader» contre «bossy»
«Nul doute qu'il y a de la misogynie dans le lynchage de Sophia Chikirou. J’ai noté aussi qu’elle se fait épingler pour avoir vanté ses talents et coups de génie. Les hommes le font si souvent sans que personne ne relève!», fait remarquer Clémentine Autain, députée La France insoumise, contactée par Slate.fr.
Certes, l’adjectif «autoritaire» est employé bien plus allègrement pour une femme que pour un homme. Historiquement, les femmes qui dirigeaient étaient mal vues; elles n’étaient «pas à leur place» –évidemment supposée être le foyer. Être commandé par une femme était une marque d’infamie pour nombre d’hommes, à tel point que les premières qui ont accédé à des postes de responsabilité ont dû jongler pour ne pas provoquer la susceptibilité de leurs collègues.
«Quand je devais trancher, je voyais que c’était castrateur pour eux», nous racontait par exemple la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, à l’occasion de notre enquête avec l’historienne Mathilde Larrère, parue dans le livre Des Intrus en politique. «Ne me parle pas avec ton ton de mère autoritaire et va t’occuper de tes enfants», lance aussi un député écologiste à sa collègue Véronique Massonneau, dans un moment d’énervement.
Aux États-Unis, il existe même un mot pour décrire ces femmes, «bossy». «Quand un petit garçon s’affirme, on dit que c’est un “leader”. Mais quand une petite fille fait la même chose, on risque de lui reprocher d’être autoritaire [“bossy”]», explique la campagne «Ban Bossy», lancée en 2014 par Sheryl Sandberg, directrice des opérations de Facebook, et Anna Maria Chávez, PDG des Girl Scout of the USA.
«Le féminisme a bon dos, parfois»
Pour autant, toutes les femmes accusées d’être «autoritaires» sont-elles victimes de sexisme? C’est là où les choses se corsent. Parce que les femmes de pouvoir sont des hommes de pouvoir comme les autres, et peuvent à ce titre abuser de l’autorité qui leur est confiée.
Depuis que le mot féminisme n’est plus un repoussoir, il est devenu possible de crier au sexisme pour asseoir son empire. On se souvient par exemple de la polémique sur la loi Travail portée par Myriam El Khomri. En février 2016, deux femmes de gauche lui tiennent tête: la maire de Lille, Martine Aubry, et Caroline De Haas, ancienne militante socialiste, autrice d’une pétition en ligne culminant à plus de 1,36 million de signatures.
Le 1er mars, la ministre est hospitalisée après un «petit malaise». Ce non-évènement, qui ne méritait pas de commentaires particuliers, suscite un florilège de remarques sexistes, en ligne et dans les journaux. Dans un édito sur L'Opinion, Nicolas Beytout évoque une ministre «indisposée», «un peu frêle pour porter le boulet de la réforme du Code du travail» et propose de la remplacer par le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger. Une aubaine pour le gouvernement: les réactions permettent de faire passer la ministre pour une victime, et d'adoucir ainsi son image.
Mais des membres du gouvernement vont plus loin, et en profitent pour tirer sur leurs adversaires à gauche. Quand une journaliste de France Inter lui demande: «Le fait que ce soit une femme, cela change quelque chose? Elle est plus durement attaquée?», le secrétaire d'État chargé des Relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, répond: «Je pense qu’elle est plus durement attaquée, y compris par des femmes.» «Myriam El Khomri a été la cible d'une attaque violente venant d'une femme», ajoute le même jour Ségolène Royal, invitée sur le plateau d'i-Télé. «Le féminisme a bon dos, parfois», commente Caroline De Haas.
«Management par la terreur»
S’agissant de Sophia Chikirou, les accusations d’autoritarisme ont été maintes et maintes fois étayées par des témoignages, publiés notamment dans de longues enquêtes de Mediapart sur sa gestion du Média. De multiples portraits les mentionnent, y compris rédigés par des femmes journalistes. Et quand bien même ce sont des «journalistes hommes» qui signent certains articles, ils ont en réalité donné la parole à des employées et employés de sa société, ou des militantes et militants –souvent des femmes, d'ailleurs.
Contactées par Slate.fr, sept personnes proches de la communicante, issues de La France insoumise ou qui ont travaillé de près avec elle, par exemple au Média, ont confirmé ces critiques. Parmi elles, cinq femmes, cinq féministes, qui pour la plupart s’expriment en off, de peur des représailles.
Avec en substance ce message, résumé par la journaliste Aude Rossigneux, évincée en février 2018 du Média, dont Sophia Chikirou était la directrice générale: «Le management de Sophia était un management par la terreur, et notamment en direction des femmes. Le coup du sexisme, c’est un axe de défense (malin), mais parfaitement infondé à mon sens.»