Les accusations d'agressions sexuelles contre le candidat à la Cour Suprême Brett Kavanaugh sont largement perçues comme une bénédiction pour les Démocrates sur le point de se confronter aux midterms –élections de mi-mandat– en novembre. «Les femmes de ce pays s’identifient au docteure Ford et n'oublierons pas ce qui est en train de se passer», a déclaré Neera Tanden, la présidente du Center for American Progress [think tank progressiste, ndlr] à NBC News, le weekend dernier. «Elles ne sont pas en colère, elles sont furieuses, et je m'attends à observer la plus grosse participation aux élections de mi-mandat jamais enregistrée.»
Dans les faits, cependant, le spectacle Kavanaugh semble avoir évaporé l'enthousiasme des Démocrates, selon un sondage conduit en début de semaine par les médias NPR, PBS NewsHour et l'université de Marist. En juillet, les Démocrates étaient plus susceptibles, avec dix points d'avance, de déclarer que les élections de novembre étaient «très importantes». Cet écart s'est maintenant réduit à une égalité statistique avec les Républicains. «Le résultat des audiences, au moins à court terme, est un réveil de la base républicaine», estime Lee Miringoff, professeure de sciences politiques à Marist.
En comparant l'opinion des femmes dans les deux partis, le changement est particulièrement frappant. Les femmes Démocrates sont les seules à montrer moins d'enthousiasme pour les élections de mi-mandat cette semaine qu'en juillet, parmi tous les groupes interrogés dans le sondage –y compris des hommes et femmes non affiliées à un parti. À l'inverse, les femmes Républicaines semblent revigorées. En juillet, 81% des femmes Démocrates affirmaient que l'élection de novembre était très importante, contre 71% des femmes Républicaines. Maintenant, les femmes Républicaines les devancent de quatre points dans cette considération (83% contre 79%). C'est un revirement de quatorze points de l'intérêt des votantes pour les midterms après les audiences, et en faveur des Républicains.
Fureur
La colère titanique des femmes progressistes est un thème dominant de l'actualité depuis l'élection du président Trump et sa victoire surprise contre Hillary Clinton il y a deux ans. Des livres sur cette rage féminine ont été publiés à l'automne et notamment Good and Mad [Bon et Fou, ndlr] de l'écrivaine et journaliste Rebecca Traister. «Ce moment politique a engendré une époque dans laquelle de plus en plus de femmes ne sont plus d'humeur à déguiser leur fureur en autre chose que de la rage crue et brûlante», a-t-elle écrit dans le New York Times dimanche. «Beaucoup de femmes crient, hurlent et utilisent du marqueur indélébile pour graver des slogans cinglant sur des bannières de manifestation, et passent des coups de téléphones furieux à leurs députés.»
Mais la rage féminine n'est pas un choeur à l'unisson. La journaliste d'Atlantic, Emma Green a parlé avec une douzaine de dirigeantes conservatrices à travers le pays dans un article qui donne corps au sondage de Marist: l'audition de Kavanaugh a également électrifié les femmes conservatrices.
«J'ai des femmes dans mon église qui n'étaient pas du tout engagées politiquement qui sont révoltées à cause de cela», a expliqué présidente du parti Républicain de Virginie-Occidentale à Green. La directrice de l'Indiana pour la liste anti-avortement de Susan B. Anthony, Jodi Smith, estime que «les gens de l'Indiana sont en colère». Selon elle, les audiences sont «l'une des meilleures choses qui auraient pu nous arriver» et elle attend avec impatience une élection contestée dans son État en novembre.
Le pouvoir des auditions
Le sondage du Marist n'est qu'un sondage et les femmes conservatrices connectées à la politique locale et étatique étaient déjà très à même de voter, et de voter Républicain, avant même l'audience du prétendant à la Cour Suprême par le Sénat. Leur indignation quant au mauvais traitement supposé de Kavanaugh ne donnera pas plus de poids à leur vote. Mais leurs réactions indiquent que les femmes Républicaines moins engagées pourraient bien se sentir tout autant en colère, ou même juste mitigées, à l'égard des accusations faites contre Kavanaugh.
Il y a peu d'événement d'actualité qui ont eu autant de pouvoir que ces auditions. Près de 20% des foyers américains ont regardé des extraits du témoignage la semaine dernière; ce chiffre n'inclut pas les gens qui ont vu les audiences en ligne ou les ont écoutées à la radio.
De ma propre observation anecdotique, mon fil Facebook majoritairement évangéliste a été pris d'assaut par des posts mettant en doute la crédibilité du témoignage de Christine Blasey Ford, souvent rédigés par des femmes, y compris celles qui ne postent que rarement à propos de politique. «C'est une manipulation totale et c'est dégoûtant», assure une femme qui commente le post d'une amie évangéliste qui doute de la possibilité de savoir qui ment: «Je pense qu'elle a été agressée [mais] je refuse simplement de croire que c'était lui». D'autres affirment que les preuves de Ford sont trop minces, que le bon nom de Kavanaugh a été à jamais souillé, que sa famille en souffre injustement.
La propre rhétorique de Trump est un baromètre du genre d'énergie populiste conservatrice qui pourrait, sans cela, être difficile à estimer. Il avait précédemment sobrement qualifié Ford de «femme très bien» et jugé son témoignage convainquant. Il a depuis, radicalement changé de ton. «Ce qu'il traverse...», énonce-t-il songeur à une foule lors d'un rassemblement dans le Mississippi mardi, avant de sombrer dans un discours parodiant les trous de mémoire de Ford. Il est ensuite revenu à Kavanaugh, la «vraie» victime de l'épisode selon lui. «La vie d'un homme est en jeu, a déclaré Trump, la vie d'un homme a été brisée. Sa femme est brisée. Ses filles qui sont de magnifiques et incroyables enfants.» Derrière lui, deux femmes ont levé en l'air des panneaux sur lesquels on pouvait lire «Les femmes pour Trump».