Culture

Les relents racistes de Walt Disney

Temps de lecture : 3 min

La dernière princesse de Disney a beau être noire, elle n'est pas exempte de l'idéologie historiquement raciste de Disney.

Les studios Disney l'avaient annoncé en 2007, trois ans avant la sortie du film en salles: pour la première fois dans l'histoire de la légendaire maison de l'oncle Walt —par ailleurs célèbre réactionnaire, obsédé par la chasse aux rouges— la Princesse serait noire. Et voici que nous y sommes et que Tiana, l'héroïne de La Princesse et la grenouille, succède non seulement aux Cendrillon et Blanche-Neige de la grande époque, mais aussi aux héroïnes des dix dernières années: Jasmine, Mulan et Pocahontas, une Arabe, une Chinoise et une Indienne. Comme les autres, Tiana aura droit à un mariage de rêve avec un prince irrésistible ainsi qu'à tous les produits dérivés qui vont avec sa fonction: poupée, vaisselle et tutti quanti.

Même si Disney avait réagi plus tôt, au lieu d'attendre 2010 —73 ans après la sortie du tout premier long-métrage du studio, Blanche-Neige et les sept nains —pour mettre en scène une héroïne noire, le climat autour de la sortie du film aurait été légèrement tendu. Car il y a un passif des studios Disney. Prenons d'abord Walt lui-même tel que l'évoque son remarquable biographe, Neal Gabler:

Lors d'une réunion sur le scénario, il décrivit la scène où les nains de Blanche-Neige s'empilent les uns au-dessus des autres comme une pile de nègres.

Un état d'esprit qui contamine parfois les films

«Comme la plupart des producteurs hollywoodiens, il pratiquait le stéréotype racial, du merle dans le court-métrage Who killed Cock Robin? qui parle avec un accent traînant particulièrement marqué, aux corbeaux gangsters de Dumbo (même si pour sa défense, on a pu dire que les corbeaux se rangent du côté de Dumbo justement parce qu'ils savent ce que c'est d'être ostracisé).»

Le fond est atteint avec Le Chant du Sud (1946) qui dépeint la vie idyllique, sur une plantation post-guerre de Sécession, d'une famille servie par un adorable vieux domestique noir, par ailleurs logé dans un taudis malgré la grande gentillesse de ses patrons... Le film suscite les vives protestations de la NAACP et même des manifestations où des soldats de la Deuxième Guerre Mondiale —tout juste démobilisés— brandissent des banderoles: «Nous nous sommes battus pour l'oncle Sam, pas pour l'oncle Tom!».

La formule pourrait resservir à l'occasion de cette Princesse et la grenouille. D'abord parce que les réalisateurs Ron Clements et John Musker ont pris le parti de situer l'histoire dans les années 1920, à La Nouvelle-Orléans... Autrement dit à une époque et dans un lieu qui ne sont pas des plus progressistes. Une image du prologue le dit clairement: Tiana, enfant, monte dans un tramway avec sa maman. Elles vont toutes les deux s'asseoir au fond (une Blanche est déjà assise à l'avant). L'image est claire. Plus que le propos du film qui ignore avec superbe toute division ou même vague mésentente entre Blancs et Noirs, alors même qu'il se situe en pleine ségrégation, dans un monde où - sans parler des lynchages - les humiliations, les privations et les inégalités légales étaient légion!

Alors bien sûr, direz-vous, ce n'est qu'un dessin animé. L'histoire d'une jolie jeune fille qui - à cause d'un magicien vaudou (cliché sur La Nouvelle-Orléans oblige) - est transformée en grenouille au bout de 25 minutes. Là aussi, le procédé rappelle une fâcheuse habitude Disney. Car cela fait des décennies que les animateurs maison utilisent des animaux dotés d'un accent spécifique et de certaines caractéristiques pour figurer les personnages noirs. Les corbeaux de Dumbo cités plus haut (1941), donc, mais aussi Big Mama, la grosse chouette réconfortante (qui ressemble à la nounou d'Autant en emporte le vent) de Rox et Rouky, et encore les singes chanteurs de jazz du Livre de la jungle (1967) pour n'en nommer que quelques-uns... Sans parler du Roi lion (1992) qui se passe en Afrique sans un seul être humain en vue. Non seulement La Princesse et la grenouille transforme son couple de héros noirs en grenouilles (puisque le prince est frappé du même sort) mais en plus, un personnage secondaire renoue avec la tradition maison: c'est le crocodile trompettiste de jazz que tous les orchestres rejettent violemment tant il leur fait peur... On comprend aisément l'allusion à l'interdiction faite aux Noirs de jouer dans des orchestres avec des Blancs et le message de tolérance qui s'ensuit. On comprend aussi que les vieilles habitudes ont la vie dure. «La Princesse Disney ne peut pas s'échapper du ghetto», titrait le Village Voice à la sortie du film aux Etats-Unis. Un ghetto animalier, que la maison Disney a elle-même construit.

Jonathan Schel

Image de une: La Princesse et la Grenouille, Disney, DR

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