Politique

La démission de Collomb, ou le retour des pratiques de «l'ancien monde»

Temps de lecture : 5 min

Pour quitter le gouvernement, le ministre de l'Intérieur a tordu le bras du président. Les oppositions s'en donnent à coeur joie. Pour Macron, il n'y a pas de «crise politique». Il faudrait tout de même reprendre le manche.

Emmanuel Macron et Gérard Collomb le 7 janvier 2018, à Paris. | Christian Hartmann / AFP
Emmanuel Macron et Gérard Collomb le 7 janvier 2018, à Paris. | Christian Hartmann / AFP

Le macronisme était une espérance, en avril 2017, pour près d'un quart des électeurs et électrices qui avaient exprimé un choix au premier tour de la présidentielle. Pas loin de dix-huit mois plus tard, en octobre 2018, suscite-t-il le désespoir chez ces mêmes électeurs? Il s'avère être, en tout cas, depuis quelques mois, un chemin de croix pour son promoteur tant l'exercice de l'État présente de vicissitudes.

C'est peu dire, que dans la continuité de l'affaire Benalla qui a commencé avant l'été, la rentrée de l'exécutif est pourrie depuis la fin du mois d'août. Aucune des deux têtes de l'exécutif n'a connu de trêve depuis la démission surprise de Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique, le 28 août. Et trente-cinq jours plus tard, la séquence horribilis se poursuit avec la démission d'un autre ministre d'État, celui de l'Intérieur, Gérard Collomb.

Le coup est rude pour le chef de l'État car Collomb était un fidèle de la première heure, en rupture avec son parti d'origine, le PS, et un des poids lourds politiques de la macronie qui n'en compte pas tant que ça. Maire de la troisième plus grande ville de France, Lyon, de 2001 jusqu'à son entrée au gouvernement en 2017, il était l'un des rares gros calibres socialistes à avoir misé très tôt, en juillet 2016, sur Emmanuel Macron. Il est vrai qu'il se situait aux antipodes des frondeurs de son parti.

Collomb a fait tourner la machine institutionnelle à l'envers

De façon assez surprenante, alors que la cote de popularité de Macron traverse une période de basses eaux, Collomb avait annoncé dans l'Express, en septembre dernier, sa candidature –la quatrième– à la mairie de Lyon. Il aura 72 ans au moment des élections municipales de 2020. Il indiquait, dans cet entretien, qu'il quitterait le gouvernement après les européennes de mai 2019. Pour plusieurs raisons, cette annonce ne rendait pas vraiment service à Macron.

Il n'est pas habituel, c'est même inédit sous la Ve République, qu'un ministre annonce sa démission plusieurs mois à l'avance. C'était d'autant plus dommageable pour le président de la République qu'il s'agit d'un ministre d'État, numéro deux du gouvernement et titulaire d'un poste régalien extrêmement sensible, le portefeuille de l'Intérieur. Cette annonce risquait de donner le sentiment à l'opinion que Collomb n'occuperait la place Beauvau, siège de son ministère, qu'à mi-temps.

De plus, elle affaiblissait l'autorité du chef de l'État qui, selon l'article 8 de la Constitution, nomme les membres du gouvernement et met fin à leur fonction, sur proposition du Premier ministre. D'un seul coup, Collomb a fait tourner la machine institutionnelle à l'envers. En court-circuitant, dans un même mouvement, le président et le chef du gouvernement. Cela ne pouvait plaire ni à l'un ni à l'autre. Le problème est qu'il était en position de force face à eux et qu'il estimait pouvoir leur imposer sa volonté politique personnelle.

Une aubaine pour les oppositions

C'est ce qui a fini par arriver. Après avoir refusé une première fois sa démission, Macron a été contraint d'en prendre acte, Collomb ne voulant pas reculer. Était-ce une des conséquences de l'affaire Benalla dont le ministre de l'Intérieur a semblé craindre, un moment, que l'Élysée voulait lui faire endosser la responsabilité alors qu'il s'estimait étranger à toute cette histoire? Toujours est-il que les liens forts entre les deux hommes ont commencé à se distendre dans cette période.

Cette nouvelle séquence, surgissant après celle –catastrophique sur le plan de l'image– du chargé de mission de l'Élysée qui voulait jouer les gros bras, était une occasion rêvée pour les oppositions qui ne pouvaient laisser passer un telle aubaine. C'est aussi là que se situe la responsabilité de Collomb qui a manifestement privilégié son avenir personnel à l'exercice compliqué de l'État.

«Le Titanic s'enfonce de plus en plus vite et l'orchestre a arrêté de jouer», a ainsi ironisé Éric Ciotti, député Les Républicains (LR) qui aurait probablement occupé le ministère de l'Intérieur si François Fillon (éliminé au premier tour) avait remporté l'élection présidentielle de 2017... Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat et autre ministrable filloniste, a noté que Macron «n'est plus le maitre des horloges». «C'est la chienlit au sommet de l'État», a estimé, pour sa part, Boris Vallaud, porte-parole du PS. Marine Le Pen s'amusant, elle, de «l'évasion réussie» de Collomb.

Le surgissement de pratiques de «l'ancien monde»

Après l'affaire Benalla considérée comme une affaire d'État, la démission du ministre de l'Intérieur, forçant la main du président de la République, est présentée comme une «crise politique». Macron s'est empressé de couper les pattes de cette interprétation lors du conseil des ministres du 3 octobre où ne siégeait plus Collomb qui n'avait pas encore de remplaçant.

«Rien de ce qui se passe depuis 48 heures ne s'apparente à une crise politique. L'État fonctionne», a déclaré le président, selon des propos rapportés par le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux. Certes, les critiques de l'opposition, qui est dans son rôle, peuvent paraître excessives, comme c'est souvent le cas dans ces circonstances –tout comme les commentaires de certains observateurs– mais il n'en demeure pas moins que cette crise de croissance du macronisme n'est pas sans soulever quelques interrogations.

Les électeurs et électrices qui avaient porté leur suffrage sur le nom du jeune candidat Macron plaçaient beaucoup d'espoir dans un renouvellement profond du cadre et des réflexes politiques. À cet égard, surtout pour l'électorat jeune, la campagne macroniste apparaissait comme une promesse. S'il est indéniable que beaucoup de choses ont été bousculées en dix-huit mois, laissant aphones les oppositions dont aucun leader alternatif n'émerge hors la persistance de la présence de l'extrême droite, la démission de Collomb a fait resurgir, inopinément, les pratiques de «l'ancien monde».

Le moment est venu de se ressourcer

Il n'est pas tout à fait indifférent de constater qu'il reste un seul vrai poids lourd politique de cet ancien monde au gouvernement en la personne de Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères et européennes. C'est peut-être le seul qui a su s'adapter au «nouveau monde» de Macron; il faut dire que l'ancien ministre de la Défense de François Hollande a fait du macronisme avant l'heure dans sa région Bretagne. Pour le reste, les nouveaux ministres de poids qui ont émergé –Agnès Buzyn à la Santé, Nicole Pénicaud au Travail ou Jean-Michel Blanquer à l'Éducation nationale– étaient, au départ, des ministres dits techniques. Et des ministres sans mandat électif notoire.

À l'évidence, la nouvelle période qui s'ouvre est extrêmement délicate pour Macron. De sa capacité à redresser son image et la perception qu'une bonne partie de l'opinion en a, de sa compréhension des messages que lui envoie cette même opinion publique sur sa gouvernance, de son habileté à choisir les personnalités adéquates dans les postes à pourvoir dépendra l'avenir politique du macronisme dans les prochains mois. Et jusqu'à la fin du quinquennat. Le moment est venu de se ressourcer.

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