Cette première semaine d'octobre, une poignée de scientifiques va recevoir des prix Nobel en médecine, en chimie et en physique. Leurs vies et leurs notoriétés seront transformées par cette haute distinction internationale, et ils et elles (qui sait?) recevront de surcroît beaucoup d'argent.
Mais pour le cosmologue Brian Keating, de l'université de Californie, les Nobel «récompensent une version archaïque de la science». De plus en plus de scientifiques s'opposent à ces prix jugés inadaptés au monde moderne de la recherche, notamment parce qu'ils encourageraient la compétition plutôt que la coopération.
Prix trop personnel
Pour le Lord Martin Rees, astronome, un Nobel donne au public une idée faussée de ce qui serait important dans le domaine scientifique: «Seulement trois sciences sont récompensées: la chimie, la physique et la médecine». Il déplore que les mathématiques, l'informatique, la robotique, l'intelligence artificielle et les sciences environnementales soient ignorées.
Venkatraman Ramakrishnan, président de l'académie scientifique indépendante britannique, la Royal Society, a remporté un Nobel en 2009 mais ne se prive pas de critiquer le système de récompenses dans son livre Gene Machine, expliquant que «le prix devient de plus en plus une loterie» et serait biaisé par du «copinage».
Pour le cosmologue Keating, la procédure de sélection est trop secrète: «Vous ne savez pas qui était nommé pour le prix, ni comment s'est passée la nomination». Il ose la comparaison avec «un procédé sacré comme la nomination d'un nouveau pape».
Depuis la création des Nobel en 1901, plus d'un milliard de dollars ont été attribués aux lauréats et lauréates. Les premiers prix ont récompensé des scientifiques comme Marie et Pierre Curie ou Albert Einstein, qui travaillaient à l'époque d'une science plus individualiste qu'aujourd'hui, marquée par les grandes inventions. Au début du XXe siècle, le comité d'attribution du prix Nobel a décidé qu'une récompense ne pourrait être accordée à plus de trois personnes pour la même découverte. C'est ainsi qu'en 2013, Peter Higgs et François Englert ont été récompensés pour leur découverte d'une particule subatomique nommée boson de Higgs, alors que six personnes avaient participé à la recherche. En 2017, le prix Nobel de physique a été décerné pour la première observation d'ondes gravitationnelles, découverte exposée dans un article signé par plus de 1.000 scientifiques dont seulement trois ont remporté le prix.
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Le mythe du génie isolé
Ramakrishnan, tout comme Keating, estime que cette règle des trois personnes récompensées n'est plus adaptée au monde d'aujourd'hui. «La règle de trois renforce l'impression que la science est le fruit d'un ou deux génies –souvent des hommes blancs– travaillant sans le vaste réseau de soutien derrière eux», assure le cosmologue Keating au Guardian. Il ajoute que «si une femme remporte [un prix] cette année, ce sera la première en cinquante ans» –seulement deux femmes ont déjà été distinguées du Nobel de physique.
Le mythe du génie isolé donne une voix à certains scientifiques dont l'expertise est finalement restreinte, explique aussi Lord Rees. «Leur opinion sur des sujet plus généraux ne devrait pas avoir de poids, mais certains exploitent ce statut de prix Nobel», assure-t-il. Le Norvégien Ivar Giaver, qui a gagné le Nobel de physique en 1973, nie aujourd'hui le réchauffement climatique. William Shockley, lui, s'est servi de son statut pour diffuser des théories racistes.
Les scientifiques critiques des Nobel dans le domaine des sciences estiment qu'il faudrait leur appliquer les mêmes règles qu'au Nobel de la paix, à savoir la possibilité de récompenser aussi des associations ou collectifs, comme la Croix Rouge ou le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat par exemple.