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Les abeilles, bonnes physionomistes

Temps de lecture : 4 min

Contrairement à toutes les attentes, les abeilles, insectes sociaux, savent distinguer les visages humains.

Depuis des millénaires, les abeilles butinent les pistils, réalisent quotidiennement et sans jamais se perdre des marathons aériens, informent leurs congénères de leurs dernières trouvailles florales, servent leur reine et leur ruche jusqu'à plus soif. Elles savent élaborer le miel et, mieux encore le partager avec les hommes sans rien jamais attendre, semble-t-il, en retour. Domestiquées tout en conservant leur liberté en somme. Depuis peu, elles meurent aussi massivement sous nos latitudes sans une plainte, victimes d'un mal mystérieux.

Et voici que l'on découvre aujourd'hui que ces formidables insectes sociaux peuvent, en outre, reconnaître les visages humains. Un résultat obtenu par des chercheurs français spécialistes de la cognition animale qui bouleverse bien des certitudes scientifiques et qui impose un nouveau regard sur les abeilles comme, sans doute, sur leurs nombreux voisins présents sur le grand arbre de l'évolution.

Comment parvient-on à un tel résultat?

Plus facilement peut-être qu'on pourrait l'imaginer. «Pour les spécialistes des mécanismes impliqués dans la connaissance l'une des grandes questions fondamentales concerne les processus impliqués dans la construction des images, dans la représentation du monde qui entoure les organismes vivants», explique le Pr Martin Giurfa (Centre de recherches sur la cognition animale. CNRS - Université Paul Sabatier - Toulouse), responsable de ce travail que vient de publier le Journal of Experimental Biology (1). Pour mieux comprendre de quoi il retourne, le Pr Giurfa propose à chacun une expérience des plus simples: 1. tracer sur une feuille de papier deux traits verticaux parallèles; 2. tracer au dessus deux autres traits en forme d'accent circonflexe les chapeautant; 3. dire à quoi vous fait penser le dessin obtenu. Pour ce qui me concerne j'ai répondu «un pavillon chinois». «D'autres parlent de chalets suisses, de cabanes, etc. Mais il s'agit presque toujours d'une réponse qui évoque une habitation, précise le Pr Giurfa. Ainsi la vision de quatre traits sur une feuille suffit pour provoquer cette évocation. Pas besoin d'une somme de détails pour y parvenir. Ce sont les mécanismes cognitifs sous-jacents qui nous intéressent.»

Les êtres humains et plus généralement les primates disposent de facultés remarquables pour ce qui est de la reconnaissance des visages. On retrouve également ces facultés particulièrement développées chez l'ensemble des primates. Dans tous les cas, différents travaux menés ces dernières années ont permis d'établir un lien entre ces capacités et des régions cérébrales spécialisées. La reconnaissance faciale semble d'autre part impliquer des processus développés dès l'enfance et permettant d'analyser toute une série de stimuli visuels complexes à la fois individuellement mais aussi associés les uns aux autres. D'autres processus, plus simples, semblent impliqués pour la reconnaissance d'autres éléments que les visages ou les faces sans qu'un consensus existe dans ce domaine au sein de la communauté scientifique.

Comment le Pr Giurfa a-t-il résumé tout cela?

Bien loin des primates, les insectes fournissent un modèle intéressant pour comprendre comment les cerveaux acquièrent les processus d'analyse des images et c'est tout particulièrement vrai des abeilles qui apprennent et mémorisent une large série de données visuelles leur permettant notamment d'identifier les fleurs où elles trouvent leurs ressources alimentaires. «Notre communauté avait été très surprise des résultats obtenus par Adrian Dyer (une collègue australienne de la Monash University) qui avait annoncé que les abeilles étaient susceptibles de distinguer des photographies de visages humains. Imaginez ces hyménoptères faire la part entre Noémie Campbell et Claudia Schiffer.... Outre que l'on ne voyait pas l'intérêt qu'ils pouvaient y trouver, il nous est apparu que ce travail n'avait rien de convaincant, les seules différences de luminosité des clichés pouvant expliquer le phénomène observé.»

L'équipe française a alors proposé à sa collègue australienne de reprendre le travail de manière plus rigoureuse pour savoir de manière indiscutable ce que les yeux et les cerveaux des abeilles parviennent ou pas à percevoir et à distinguer chez les humains. Travaillant en été, tour à tour dans la région toulousaine puis en Australie, les chercheurs ont patiemment dressé individuellement des dizaines et des dizaines de ces hyménoptères (Apis mellifera) laissés en liberté.

Expéricence ultime

Il s'agissait tout d'abord de les attirer progressivement vers des coupelles contenant une solution sucrée, au départ bien visibles au sortir de la ruche. Chaque abeille ainsi dressée était marquée d'un point de couleur sur le thorax.

Puis, progressivement, on éloignait cet appât pour le placer dans un ingénieux système en forme de labyrinthe transparent; un labyrinthe dans lequel à chaque croisement un choix devait impérativement être effectué avant de pouvoir retrouver le sucrose dilué. Et ce choix portait, précisément, sur différents visages, d'abord schématiquement dessinés (deux points pour les yeux, d'un tiret vertical court pour un nez et une ligne plus horizontale pour la bouche), puis sur des représentations fidèles de visages humains. En multipliant les types de représentations, les solutions proposées dans le labyrinthe et les pièges expérimentaux, les chercheurs ont progressivement acquis la certitude que le comportement des insectes ne devait rien au hasard.

Mieux, en compliquant l'expérience, ils ont mis en évidence le fait que les abeilles pouvaient garder les informations en mémoire et établir des distinctions entre les différentes représentations qui leur étaient proposées.

Et quand l'équipe a retouché les représentations photographiques en déplaçant la position relative des yeux, du nez ou la bouche, les abeilles ne reconnaissaient ce qui leur était proposé avant pour les guider vers leur friandise sucrée. Il s'agissait là pour elles de modèles inconnus incapables de les guider dans leur environnement. Est-ce dire que les abeilles peuvent reconnaître des personnes? Peut-être pas vraiment; et a fortiori leur apiculteur préféré lorsqu'il se présente devant elles avec un masque grillagé. Mais on ne peut pourtant pas ne pas être stupéfait devant des performances que l'on croyait être l'apanage des hommes, des grands singes et de quelques autres vertébrés; d'autant que le capital neuronal des insectes est infinitésimal comparé à celui des individus trônant sur les branches les plus élevées de l'arbre de l'évolution.

Et maintenant? Pour mieux comprendre, par déduction, ce qui se passe chez l'homme, les chercheurs français analysent, à «ciel ouvert» et le plus finement possible, ce qui se passe au sein même du cerveau d'abeilles maintenues immobiles quand elles «reconnaissent» qui leur est présenté. «Quand les abeilles auront disparu, ce sera la fin de l'humanité», se plait-on à répéter dans les milieux écologistes en citant, croit-on, Albert Einstein. D'ici là, cet hyménoptère nous réserve peut-être encore quelques heureuses surprises. Mais nous ne le regarderons plus vraiment du même œil.

(1)''Configural processing enables discrimination and categorization of face-like stimuli in honeybees''
Avargues-Weber, A., Portelli, G., Bénard, J., Dyer A. and Giurfa, M.
J. Exp. Biol. 213, 593-601.

Jean-Yves Nau

Image de une: Pendant le carnaval et la traditionnelle parade, Ovar. REUTERS/Jose Manuel Ribeiro

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