Si Paris se réjouit déjà d’une Fashion Week qui s’annonce bien remplie, il faut se demander: la mode des créateurs n’est-elle plus qu’un pré carré pour personnes initiées?
À l’ombre des jeunes filles en fleurs vêtues de leurs plus belles tenues pour les mariages cet été, point de robe dite de créateur. Un désamour, une question pécuniaire? Les deux, mais peut-être aussi une méconnaisance du paysage actuel de la mode.
À quoi rêvent ces jeunes filles? À un sac Chanel ou une paire de Louboutin, assurément, mais pour les robes, ce sera les grandes enseignes d’une mode fast and cheap, ou alors quelques marques milieu de gamme non admises dans le cénacle des «créateurs».
Incontournable, malgré tout
Pour les véritables amateurs et amatrices de mode, les journalistes et les acheteurs, la Fashion Week de Paris demeure la mecque plus ultra [sic]. Les défilés sont la petite partie émergée, mais très visible, de l'iceberg de la création. Ces présentations ont des répercussions sur l'ensemble du secteur: elles donnent des impulsions qui vont ensuite être copiées, diluées dans les grandes enseignes. Et si le grand public ne fantasme pas ou plus directement sur ces noms de plus en plus inaccessibles financièrement, il en choisira sûrement des ersatz, le plus souvent sans le savoir.
Le paysage de la mode a tellement évolué ces dernières années que ses gourous parlent même de disparition, telle la consultante en tendances néerlandaise Lidewij Edelkoort dans son manifeste «Anti-Fashion».
Incontestablement, le système est perturbé et en perpétuelle mutation –en témoignent les nouveaux enjeux de la distribution, du rôle des réseaux sociaux, de la prolifération des acteurs. Mais même si les voyants sont passés à l’orange, la roue continue de tourner.
Le défilé a beau être considéré comme obsolète, aucune autre vraie solution ne le remplace, et il demeure un vecteur de visibilité prisé et souvent incontournable. Des milliers de journalistes répondront à l'appel, des acheteurs du monde entier s'y presseront et des people en veux-tu en voilà s'y afficheront –immédiateté de la communication oblige.
Des prix excessifs, et pourtant le rêve, la fantaisie, le chic, la provocation, l’élégance et l’humour vont tournoyer à la Paris Fashion Week. Une foultitude de propositions vont débarquer sur les podiums, où tout le monde ne joue pas dans la même cour, ni avec les mêmes moyens. De la nef du Grand Palais au garage abandonné, le coût d’un défilé varie de chiffres vertigineux au système D entre proches.
La prolifération des noms ajoute encore à la méconnaissance du secteur. Dans les années 1960, on connaissait obligatoirement Pierre Cardin, Courrèges et Paco Rabanne, et le très grand public s’habillait dans l’esprit des Swinging Sixties. Suivirent dans les années 1980 Jean-Paul Gaultier, Thierry Mugler, Claude Montana ou Azzedine Alaïa, et le style des femmes conquérantes s'étalait autant sur les podiums que dans la rue. Aujourd’hui, le grand public ne connaît pas les nouveaux noms, ni même ceux qui montent.
Comment s’y retrouver, devant une telle diversité de propositions? Grâce à notre mode d’emploi en sept familles de la création, un univers en mutation où se concentre toute la vitalité du secteur de la mode. Avec des designers venus du monde entier, la Fashion Week de Paris en montrera toutes les facettes, des maisons célèbres jusqu’au jeune créateur fraîchement adoubé qui va peut-être percer.
1. Les grandes maisons
Issus de la couture, les noms les plus connus ont désormais le prêt-à-porter comme fer de lance. Des directeurs artistiques ont repris l’héritage, avec plus ou moins de fidélité. Chanel, Dior, Yves Saint Laurent, Paco Rabanne, Lanvin, Givenchy, Rochas... prolongent le prestige de belles histoires.
Défilé printemps-été 2019 Christian Dior prêt-à-porter, le 24 septembre 2018 à Paris | François Guillot / AFP
Il ne faudrait pas non plus oublier de belles endormies, périodiquement relancées –avec un succès variable. On suivra notamment Schiaparelli par Bertrand Guyon, qui a recommencé avec la couture et va faire une première présentation en prêt-à-porter cette année, et Paul Poiret, ressuscité avec Yiqing Yin.
2. Les piliers
Créateurs désormais respectés et respectables, d’hier et d’aujourd’hui, ils viennent de différents horizons géographiques. Les plus anciens ont débuté dans les années 1980 ou 1990 et continuent de défiler à Paris: Yohji Yamamoto, Maison Margiela (désormais par Galliano), Vivienne Westwood, Dries Van Noten, Lutz Huelle, Véronique Leroy...
Issus de générations plus récentes, quelques créateurs ont déjà acquis un statut quasi institutionnel, comme l’Américain Rick Owens, l’Indien Manish Arora ou le Français Haider Ackermann.
3. Les radicaux
Les marques les plus pointues, tenantes d’une mode radicale, sont aux mains des talents les plus créatifs, dont une majorité de Japonais: Comme des garçons, Junya Watanabe, Undercover...
Ces marques placent la création au-dessus de tout, et sont celles qui font bouger les lignes. Pas de tendance, mais des parcours personnels. Audace et jubilation au rendez-vous.
4. Les expérimentaux
Toujours en recherche et à la pointe des innovations, quelques créateurs utilisent la technologie pour faire évoluer le vêtement vers l’avenir: Issey Miyake, Hussein Chalayan, Anrealage, Iris Van Herpen...
Découvertes autour de textiles intelligents, intervention des mathématiques, utilisation d'imprimantes 3D: ces designers ne ressassent pas le passé et conjuguent la mode au futur.
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5. La jeune garde
Une pléthore de créateurs ont réussi à intégrer le calendrier officiel, parfois par intermittence: Sacai, Aganovich, Jacquemus, Wanda Nylon, Y/Project, Victoria/Tomas, Koché, Marine Serre, Atlein, Jour/Né...
Simon Porte Jacquemus et les mannequins présentant sa collection prêt-à-porter printemps-été 2019, le 24 septembre 2018 | Bertrand Guay / AFP
On retrouve ces noms parmi les candidates et candidats aux prestigieux prix de la mode décernés en France. Marine Serre, lauréate du prix LVMH, défile pour la deuxième fois. Atlein (Antonin Tron), prix de l’Andam, en est à six collections et trois défilés.
6. Le mainstream
Des marques plus basiques, en style comme en prix, défilent occasionnellement. Agnès B, A.P.C., Paule Ka ou Isabel Marant proposent des collections plus accessibles, en phase avec l’époque ou bien intemporelles.
7. Les coqueluches
Quelques créateurs optent aussi pour une communication hors défilé tous azimuts, une stratégie payante dans un monde où Instagram joue le rôle de prescripteur. Identifiables aux premiers rangs, portées par des people, des marques comme Balmain, Vêtements (qui défile en unisexe) et Balenciaga brillent et captent l’attention.
P.-S.: mon tiercé, le 3, 4, 5.