Pourquoi tant de haine? Pour dénoncer la collusion médias-pouvoir, son nouveau cheval de bataille, Vincent Peillon aurait pu se contenter d'annuler sa présence sur le plateau d'Arlette Chabot en se fendant d'un communiqué bien senti. L'homme est apprécié des médias, il aurait été entendu. Il aurait pu également venir débattre face à Eric Besson tout en critiquant l'organisation de la soirée télévisée.
Mais non, il a fallu qu'il verse dans l'excès. Demander la démission de la patronne de France 2, traiter les dirigeants de France Télévision de «serviles»; et pourquoi pas réclamer la destitution de Nicolas Sarkozy pendant qu'il y est! Il ne s'agit pas ici de sous-estimer la pertinence de son combat: l'indépendance des médias est un sujet majeur et la nomination du président de la télévision publique par le chef de l'Etat suscite, et c'est légitime, de nombreuses interrogations.
Peillon n'est d'ailleurs pas le premier à entonner ce credo. La lutte contre une presse aux ordres du sarkozysme a fait les beaux jours de la campagne présidentielle d'un certain François Bayrou. Mais aussi sévère soit-il, le patron du Modem s'est toujours gardé d'attaques personnelles et d'insultes inutiles.
Les quadras sont déjà presque quinquas
La colère de Peillon dit bien autre chose que ce qu'il affime vouloir pourfendre. Elle dit la frustration d'un homme qui appartient à une génération sacrifiée: celle de ces socialistes proches de la cinquantaine, trop jeunes pour avoir pu participer aux années Jospin, et qui, à force d'avoir attendu le pouvoir, finissent par perdre leurs nerfs.
Ils s'appellent Vincent Peillon, Manuel Valls ou Arnaud Montebourg. Ils sont nés au début des années 1960 et ont déjà une bonne vingtaine d'années d'engagement politique au compteur. Ils sont brillants, plutôt beaux gosses, bien habillés, ils ont apporté un peu de fraîcheur au PS après la période des «éléphants». La presse s'intéresse à eux, relève glamour d'un PS modernisé. Leur but: se faire remarquer. Montebourg en tapant comme un sourd sur l'ancien Président Chirac, Manuel Valls en se positionnant à la droite du PS et en endossant le dossier de la sécurité, Peillon en prônant le rapprochement avec le Modem dans le cadre d'un «arc républicain».
Au sein du Parti socialiste, ils se sont baladés d'écurie en écurie en quête de visibilité. Ils se sont tous retrouvés dans le sillage de celle sur laquelle tout les projecteurs étaient braqués: Ségolène Royal. La recherche de la lumière, encore. Aujourd'hui que l'aventure Royal tourne court, ils se cherchent de nouveaux moyens d'exister. Et paniquent. Car, le temps leur paraît bien long: vingt ans de combat politique pour ça! Condamnés au rôle de spectateurs, de commentateurs... Qu'il est ingrat le rôle d'opposant!
La génération Besson
Et le pire reste peut-être à venir. Même en cas de victoire de la gauche en 2012, ils ne sont pas assurés de gagner les meilleures places. «Martine Aubry, si elle était élue, pourrait choisir de s'entourer de gens plus jeunes comme Aurélie Fillipetti ou Benoît Hamon et de sauter cette génération-là», note un membre du bureau national du PS. Les quinquas du PS seraient déjà trop vieux, usés, fatigués. Sans jamais avoir été ministres. On comprend que certains s'aigrissent.
Dans la même génération, un autre homme s'est évité quelques années d'attente supplémentaires. Il est allé prendre le pouvoir là où il est, chez Nicolas Sarkozy. Il s'appelle Eric Besson. En échange de sa trahison, il a obtenu un poste au gouvernement. Mais ce qu'il est devenu ne donne pas envie à ses anciens camarades de l'imiter.
Ariane Istrati
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Image de une: Vincent Peillon et Manuel Valls au congrès de Reims le 15 novembre 2008.