Plongée dans la nouvelle ruée vers l’or qui agite le cercle arctique
Monde / Culture

Plongée dans la nouvelle ruée vers l’or qui agite le cercle arctique

Temps de lecture : 6 min
Alexis Rapin Alexis Rapin

Deux siècles après la conquête de l’Ouest américain, le continent connaît une nouvelle course au métal jaune, industrielle et mondialisée. Le territoire canadien du Nunavut est l’un des terrains de chasse des nouveaux pionniers.

RANKIN INLET, CANADA

Son nom signifie «notre pays» en inuktitut, la langue des Inuits. Vaste comme trois fois la France, chevauchant le cercle arctique, le territoire canadien du Nunavut n’abrite que 0,02 personne au kilomètre carré, l’une des plus faibles densités de population au monde. Son sous-sol, toutefois, recèle moult richesses: du gaz, du cuivre, de l’uranium… et de l’or.

L’histoire, parfois, a le hoquet. Au XIXe siècle, des nuées de paysans appauvris partaient à la conquête de l’Ouest américain, repoussant avec leurs chariots la fameuse «frontière», cette ligne imaginaire qui séparait dans les esprits d’alors le monde sauvage de la «civilisation».

Aujourd’hui, de l’Alaska au Nunavut, des «pionniers» subsistent et se sont trouvé une nouvelle frontière: le Grand Nord. Face à eux, une nature indomptée, des peuples natifs, et de l’or. La ville de Rankin Inlet, accolée aux berges de la baie d’Hudson, est l’un des épicentres de cette nouvelle fièvre jaune.

Intermittents de l’exil

Ancien village de pêcheurs inuits, elle ne comptait que 360 âmes dans les années 1960. Désormais, avec 2.840 habitantes et habitants, elle est la seconde plus importante municipalité du Nunavut. À une vingtaine de kilomètres au nord des dernières barraques de pêche, le camp minier de Meliadine (du nom d’un lac voisin), ouvert en 2014, attire d’année en année un peu plus d’ouvriers.

Rankin Inlet | Alexis Rapin

Qui sont-ils, ces nouveaux pionniers? Pour l’essentiel, des Québécois venus d’anciennes villes minières aujourd’hui paupérisées, comme Val-d’Or ou Rouyn-Noranda. À l’image des conquérants du Grand Ouest, nombre font figure d’écorchés vifs. Martin, la trentaine, a longtemps été SDF à Vancouver, métropole de la côte ouest. Cédric, début de vingtaine, sort d’un court séjour en prison pour trafic de stupéfiants. Il a mis le cap sur Meliadine «pour ne pas retomber dedans».

D’autres sont de simples pères de famille, arrivés au Nunavut au gré des restructurations de mines québécoises. Leur vie est rythmée par les «runs» de deux semaines qu’ils effectuent dans le Grand Nord. Deux semaines aux confins du monde, puis deux semaines auprès de leur famille, et ainsi de suite. Un exil intermittent plutôt bien compensé: un mineur peut gagner jusqu’à trente-neuf dollars canadiens de l’heure, soit trois fois le salaire minimum en vigueur au Québec.

Choc des civilisations

Et puis il y a les «autochtones», les Inuits. Plusieurs siècles après la colonisation du continent, le choc des civilisations entre Blancs et populations natives persiste. Si, désormais, les visages pâles viennent plutôt exploiter la terre que l’occuper, l’industrie extractive n’en bouleverse pas moins la région: or, diamant, zinc, près de trente mines sont actuellement opérationnelles ou en développement à travers le Grand Nord canadien.

Un phénomène qui divise profondément les communautés inuites environnantes: si certains voient d’un bon œil les promesses d’emploi et de développement qui en découlent, d’autres en dénoncent les retombées écologiques et sociales: perturbations des écosystèmes et des modes de vie ancestraux, recrudescence de l’alcoolisme, pour ne citer que celles-là.

Délicate cohabitation

Les entreprises, elles, affirment être bienvenues: un sondage commandité en 2015 par la chambre minière du Nunavut avançait que 60% de la population autochtone de la province serait «favorable» à leur activité. Pour autant, à Meliadine, autochtones et travailleurs de passage se parlent peu, voire s’ignorent.

Blizzard | Alexis Rapin

En vertu d’un accord entre la compagnie minière et les communautés locales, les Inuits doivent théoriquement constituer la moitié de la main d’œuvre du camp. Un ratio que l’entreprise maintient difficilement: conservant souvent un mode de vie traditionnel, ceux-ci quittent parfois le camp inopinément pour retourner assister leur famille au village.

«La compagnie ferme généralement les yeux, pour tenir la proportion d’ouvriers autochtones et ainsi rester en bons termes avec les pouvoirs publics», glisse Rachid, géologue consultant à Meliadine.

Blizzard et mignardises

En sus des autorités, l’entreprise veille aussi à choyer ses ouvriers détachés à Meliadine: steak ou homard à la cantine, buffet de snacks à volonté, télévisions et salle de musculation à disposition. Un luxe arctique qui frise parfois le surréalisme: le camp dispose d’un pâtissier à plein temps, Justin, qui confectionne tous les soirs des mignardises, en observant les aurores boréales de sa cuisine.

Aurore boréale | Alexis Rapin

Un confort qui doit compenser l’isolement et la rudesse des conditions: le mercure à Rankin Inlet peut descendre jusqu’à -45°C, et les vents des plaines arctiques n’attendent qu’un flocon pour devenir blizzard. «Un jour, pendant la construction du camp, les vents ont été si violents qu’une section du corridor en containers a été emportée», raconte Jérémie.

Par chance pour les mineurs, c’est dans une mine sous-terraine qu’ils s’échinent à extraire l’objet de toutes les convoitises. Creusé à l’explosif, le puits plonge déjà actuellement à plus de 350 mètres dans les entrailles de la terre. «Une fois pleinement opérationnel, il devrait fournir plus de onze tonnes d’or par an», précise le géologue Rachid.

Douze heures par jour

Son entrée ressemble à un tunnel routier, qui avale puis recrache des bulldozers et des camions chargés de rocaille. Et à l’intérieur? «C’est un interminable couloir, qui descend et descend encore, faut pas être claustrophobe, sourit Sébastien. Par moment, on peut voir les particules d’or scintiller sur les parois noires.» On n’en saura pas plus: l’entrée est strictement réservée au personnel habilité.

Aube | Alexis Rapin

Tels les protagonistes de Germinal, les mineurs qui en ressortent ont le visage noirci par la poussière. Se relayant jour et nuit, ils travaillent douze heures par jour, sept jours sur sept, fériés compris. Coûts d’exploitation obligent, il faut tirer le maximum de la présence de chacun. «La moindre nourriture, le moindre équipement qu’on utilise ici a parcouru plus de 2.000 kilomètres, rappelle Rachid. L’été, les cargos naviguent sur la baie d’Hudson, mais le reste de l’année, il n’y a que l’avion qui se rende ici. Et l’avion, ça coûte cher.»

De fait, les chiffres publiés par la compagnie exploitante donnent le vertige: 900 millions de dollars canadiens d’investissements initiaux, plusieurs centaines d’ouvriers sur place et la concession de 111 hectares font de Meliadine une petite ville en soi. L’extraction minière mondialisée est bien loin des chariots et des tentes du XIXe siècle.

Froide ritournelle

Une démesure à l’image de l’immensité du Grand Nord: autour de Meliadine, aussi loin que le regard puisse porter, l’horizon est plat et blanc, écrasé par un vaste ciel cristallin. Glace et rochers monopolisent le paysage, au moins durant la saison froide… soit d’octobre à mai. Toutefois, si la nouvelle «frontière» est un environnement en tout point extraordinaire, le quotidien du camp, lui, demeure empreint de banalité et jalonné de rituels.

Au matin, les ouvriers affichent le détachement de citadins pendulaires. Les équipes se relaient à heure fixe. Les tombereaux, tantôt vides tantôt pleins, vont et viennent inlassablement sur la même route. Les foreuses bourdonnent du même bruit strident le jour comme la nuit. Même la terre, tel un lent métronome, tremble à l’intervalle régulier des détonations de la mine.

Tombereaux | Alexis Rapin

Toujours plus au nord

Combien de temps durera la froide ritournelle de Meliadine? «Il y a un sacré paquet d’or là-dessous», répond Amanda, responsable des équipes d’intendance. «Selon les estimations, on en a au moins pour dix ans ici.» Et après? Le camp sera peut-être démonté et reconstruit ailleurs.

De fait, les containers accolés dans lesquels logent les ouvriers vivent déjà leur seconde vie: ils étaient auparavant employés sur une exploitation de sables bitumineux en Alberta, qui a succombé à la chute des prix du brut. Le cours de l’or, moins volatile, offre a priori une meilleure espérance de vie à Meliadine.

Une fois la dernière veine épuisée, le dernier roc broyé, la dernière once raffinée, où iront alors les nouveaux pionniers? Nul ne le sait. Seule certitude: le sol du Nunavut renferme encore bien des trésors, et avec les changements climatiques, la «frontière» a toutes les chances d’être repoussée un peu plus au nord. Toujours plus au nord. Après tout, de Rankin Inlet, le pôle est encore à plus de 3.000 kilomètres.

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