Le rappeur américain Mac Miller est mort vendredi 7 septembre à l’âge de 26 ans, des suites d’une overdose si l'on en croit TMZ. Derrière cette triste nouvelle, qui a suscité l’émoi de la quasi-totalité du monde du rap, il y a évidemment une famille et des proches en deuil. Et une ex-petite amie aussi, la pop star Ariana Grande.
Celle qui l’a quitté en mai dernier à cause –entre autres– de ses problèmes de drogues et de sa dépression, celle qui a inspiré les deux derniers albums du rappeur (The Divine Feminine en 2016, puis l’excellent Swimming en août), celle qui aujourd’hui doit faire face à un torrent d’insultes sur les réseaux sociaux de la part de personnes la tenant pour responsable de la mort de Mac Miller. Ce lynchage a poussé Ariana Grande à supprimer d’emblée la section commentaires de son compte Instagram, pour faire taire les horreurs, les mettre sous le tapis.
Fossé entre vie privée et perception du public
Pour une partie du public, visiblement, la logique est simple: il aurait fallu que la chanteuse sacrifie son bien-être et sa carrière pour tenir à bout de bras un boyfriend mal en point depuis des lustres.
Qui peut demander cela sans connaître l’intimité d’un couple? Les deux artistes, au-delà des chiffres pharamineux que l’on associe à leur succès, menaient aussi une vie privée, avec tout ce que cela comprend de moments heureux, mais aussi de blessures. Blâmer Ariana Grande pour le décès de Mac Miller est ridicule et cruel.
L’image renvoyée par les stars de la musique, qui ont en apparence tout pour elles, rend parfois difficile la visualisation d’une dépression. La drogue, on comprend, on dit même qu'elle fait partie du truc; mais la dépression… L’argent, le succès, les fans ou l’épanouissement artistique: cela rend forcément heureux! Que nenni.
Mac Miller était mal depuis belle lurette, et Ariana Grande n’a visiblement pas pu y faire grand-chose. Il suffit d’ailleurs de se pencher sur les textes du rappeur depuis 2012 pour percevoir un mal-être évident, explicite, et une musique souvent cathartique.
«J’avais des problèmes de drogue, reconnaissait-il en 2015 dans une interview avec l'animateur Larry King. Pendant longtemps, ça ne s’est pas limité à la musique, j’avais ces problèmes qui provenaient d’un certain état d’esprit dans lequel j’étais. J’étais dépressif. C’est drôle, parce que quand tu discutes avec des gens, ils te demandent: “Comment peux-tu être déprimé? Tu as de l’argent, etc.” Je devais avoir 18 ou 19 ans quand ça m’est arrivé pour la première fois. C’est une période où les jeunes essaient de savoir qui ils sont, de trouver leur propre identité. Tout est décuplé. La célébrité est trompeuse, parce que tu lis des choses, tout ce qui est dit sur toi, et tu commences à ne plus savoir ce qui est vrai ou non. La limite commence à être floue. J’avais du mal à m’avouer que j’étais dépressif. Enfin, je voulais me l’avouer, mais je n’y arrivais pas. Je me réveillais en étant… pas très heureux, disons.»
Œuvre triste, textes prémonitoires
La musique de Mac Miller a été profondément influencée par sa dépression. Sur l’album Watching Movies With The Sound Off en 2013, certainement celui le plus complexe et le plus noir, sa relation aux drogues le questionne déjà, comme le prouve le titre «The Star Room»: «Dealing with these demons, feel the pressure / Find the perfect style / Making sure my mom and dad are still somewhat in love / All there backfires of my experiments with drugs» («Composer avec mes démons, ressentir la pression / Trouver le style parfait / S’assurer que maman et papa ont encore un peu d’amour pour moi / Et tout cela se retourne contre moi avec mon expérimentation des drogues»).
Deux ans plus tard, sur GO:OD AM, et notamment sur le morceau «Perfect Circle / God Speed», c’est la peur face à l’ampleur de son addiction qui le hante: «Them pills that I’m popping, I need to man up / Admit it’s a problem, I need a wake up / Before one morning, I don’t wake up» («Ces pilules que je gobe, il faut que je mûrisse / Que j’admette que c’est un problème, il faut que je me réveille / Avant qu’un matin, je ne me réveille pas»).
Et que dire du titre «Small Worlds», extrait de son dernier album, Swimming? «Nobody know me, oh well / Hard to complain from this five stars hotel […] Nine times out of ten I get it wrong / That’s why I wrote this song, told myself to hold on / I can feel my fingers slippin’ / In a motherfuckin’ instant, I’ll be gone» («Personne ne me connaît / Difficile de se plaindre depuis cet hôtel cinq étoiles […] Neuf fois sur dix, je fais mal les choses / C’est pourquoi j’ai écrit cette chanson, pour me dire à moi-même de tenir / Je peux sentir mes doigts glisser / Dans un putain d’instant, j’aurai disparu»).
Tabou partiellement levé
Un malaise pèse sur le rap depuis quelques années: celui d’une dépression massive. Puisque cette musique est devenue plus introspective qu’avant, plus égocentrée encore, que les artistes ont de moins en moins peur de cacher leurs fêlures, il est de bon ton de dire que la dépression est à la mode. Chez les jeunes rappeurs, surtout.
On peut y voir un effet de style, certes, mais pas que. Il existe tout un tas de raisons qui peuvent pousser un artiste à succès vers les pensées noires, et la drogue en est une. Alors que la lean, ce mélange de sirop codéiné et de soda très populaire parmi les rappeurs américains (et pas que), se cantonnait surtout au rap sudiste ou de Chicago il y a encore dix ans, elle est aujourd’hui partout. Mac Miller en savait quelque chose, il y fut accroc.
Les troubles mentaux, les vrais, ne sont pas nouveaux dans le rap. Il n’y a qu’à écouter le titre «Mind Playing Tricks On Me» des Geto Boys, sorti en 1991, pour s’en apercevoir. Les trois rappeurs y content leur mal-être, leur schizophrénie et leurs délires psychotiques dans une chanson géniale, mais parfaitement déglinguée.
Dans le milieu du rap, la dépression a pourtant longtemps été taboue. Qu’est-ce qu’Eminem n’a pas entendu lorsqu’il a avoué en souffrir en 2008... Si son album de 2010 s’appelle Recovery, ce n’est pas pour rien.
La prise de conscience a peut-être eu lieu en 2012, lorsque le rappeur new-yorkais Capital STEEZ se donne la mort, à seulement 19 ans. Depuis, les artistes rap sont plus nombreux à se confier, que ce soit Mac Miller dans ses textes ou une petite dizaine d’autres au site Vice, qui a rassemblé de nombreux témoignages éclairants en 2016.
Troublante scène «emo-rap»
Il ne faut pas que les nouvelles générations se trompent: la dépression décrite par beaucoup de jeunes rappeurs n’est pas feinte, elle n’est pas qu’une figure de style.
Dans la scène Soundcloud, du nom de la plateforme via laquelle de très nombreux nouveaux artistes ont émergé depuis cinq ans, parmi lesquels XXXTentacion ou 6ix9ine, elle est même omniprésente, au point de la caractériser aux yeux du grand public et d'être baptisée «emo-rap». L’overdose au Fentanyl et au Xanax de Lil Peep à 21 ans, en novembre 2017, a jeté un froid dans cette scène marquée par les délires trash et la violence.
Le rap a encore une grande difficulté à appréhender la dépression, soit taboue, soit érigée au rang de code musical. Et la glorification de la lean n’arrange rien. Depuis la mort de Mac Miller, les rappeurs ont multiplié les appels à une meilleure prise en charge des troubles mentaux dans leur milieu, à l'image de J. Cole.
This is a message for anybody in this game that’s going through something. If you don’t feel right, if you feel you have a substance problem, if you need a ear to vent to. If you uncomfortable talking to people around you. Please reach out to me.
— J. Cole (@JColeNC) 7 septembre 2018
«Ceci est un message pour toutes les personnes dans ce milieu qui traversent une mauvaise passe. Si vous ne vous sentez pas bien, si vous avez un problème d'addiction, si vous avez besoin d'une oreille attentive pour vider votre sac. Si vous n'êtes pas à l'aise à l'idée de parler à votre entourage. Contactez-moi, s'il vous plaît.»
C’est une bonne chose. Car si le rap est un jeu, la dépression, elle, n’en est pas un –loin de là.