Culture

Plus belle la vie ou le réalisme télévisé

Temps de lecture : 5 min

Derrière ses intrigues abracadabrantesques, ses meurtres et ses marivaudages, «Plus belle la vie» serait-elle la seule série française à offrir une image décemment réaliste de notre société?

Plus belle la vie

est une série réaliste. L'affirmation manque volontairement de nuances, mais elle ne tient pas du canular. Le feuilleton quotidien de France 3, avec ses allures de soap, ses histoires pas possibles, ses meurtres, ses méchants grimaçants et ses rebondissements improbables, est pourtant un cas unique de crédibilité sociétale dans la fiction hexagonale. «Plus belle la vie n'est pas réaliste, mais elle est vraisemblable, explique Marjolaine Boutet, universitaire spécialiste des séries, qui s'est penchée sur la question. Bien sûr, il leur arrive 50.000 trucs pas possibles, mais leur quotidien est fait d'histoires et de problèmes plausibles.» Lors de son appel à candidature, en 2004, France 3 avait demandé une série qui pourrait «montrer à travers un quartier populaire la société telle qu'elle est.» Une condition que la critique - mais notre ambition n'est pas ici de dire si l'on aime ou pas la série - a sans doute fini par oublier...

Au départ, «Plus belle la vie est une commande du service public en réaction à la téléréalité, pour montrer une autre réalité de notre société», se souvient Hubert Besson, son producteur. «L'autre réalité» de la société, c'est un peu celle de la France d'en bas (Raffarin était toujours premier ministre au lancement de la série), celle du Mistral, petit quartier populaire de Marseille, et de ses habitants aux modestes emplois. Pas question de faire un soap à l'américaine, avec ses familles croulant sous l'or. «Je me demande bien si on voit même une seule fois les villas de nos riches à nous, qui sont bien souvent les méchants», s'amuse George Desmouceaux, un des créateurs de la série. Avec la France d'en bas, il faut aussi de la France «black-blanc-beur.»

«Il a fallu créer des personnages qui ressemblent à la société française: un avocat d'origine arabe, un homosexuel qui sortait rapidement avec un flic homosexuel et qui l'embrassait, etc. des choses qu'on avait pas vues ailleurs», rappelle Desmouceaux. «En général, les séries françaises font des «cas»: l'homo, le musulman, etc., note Marjolaine Boutet. Ici, ce sont des personnages à part entière, qui participent à la société comme les autres et font face à bien d'autres problèmes, qui sont aussi les nôtres.»

Actualité et réalisme

Des personnages réalistes, rendus plus crédibles et plus solides par leur exposition quotidienne, ça ne suffit cependant pas à faire une série réaliste. «Plus belle la vie est ancrée dans notre société, raconte des histoires liées à la société. On y parle de problèmes de vie citoyenne, de quotidien, du pouvoir d'achat, du racisme, etc.», commence Hubert Besson, avant de préciser, «il faut faire une différence entre actualité et réalisme. La réalité de la série est prégnante. Nous ne serons jamais d'actualité.»

Autrement dit, «nous ne sommes pas d'actualité, mais nous sommes dans le temps présent. Nous ne pouvons pas vous dire six à douze semaines à l'avance qui va gagner la Coupe du monde de foot ou s'il va y avoir un attentat. Nous ne sommes pas devin. Néanmoins, nous faisons l'effort de nous imprégner de notre société. Il y a dans l'actualité des sujets récurrents, ou qui vont le devenir.» Ces sujets-là, Plus belle la vie les aborde avec une régularité inédite à la télévision française. «On n'a jamais entendu des sujets comme le ramadan, les sans-papiers, le sida, l'avortement, etc. tous dans une même série française», s'enthousiasme Marjolaine Boutet.

Cet attachement à une certaine réalité sociale n'est pas seulement un principe, mais aussi un rouage «industrialisé» de la série, écrite et tournée en flux tendu quasiment toute l'année. «Dans la mécanique même de Plus belle la vie, il y a une volonté de développer un aspect sociétal, explique Hubert Besson. La série est basée sur trois grands axes: une intrigue principale - chargée de générer du suspens, donc avec un peu polar, un peu thriller, etc. - une intrigue secondaire, «l'histoire B» et de petites histoires plus comiques. L'histoire B est l'axe sociétal de Plus belle la vie. C'est une histoire qu'on essaye de caler par rapport à une donnée sociale ou un fait de société qui nous concerne tous.»

Impossible de coller à l'actualité, pour des problèmes de délais de production - «La seule fois où on a pu le faire, c'est après l'élection présidentielle. Nous avions tourné une scène avec "Sarkozy élu" et une avec "Royal élue"», se souvient Besson - il faut donc se concentrer sur les grands débats. «On essaye de traiter de sujets plus chauds, insiste George Desmouceaux. Quand la loi sur l'aide aux personnes en situation illégale a été votée, on a fait un épisode où trois de nos personnages risquaient une grosse amande en aidant un immigré illégal.»

En traitant de sujets si polémiques, la série, suivie par jusqu'à 6 millions de téléspectateurs, peut-elle jouer un rôle social? «On est tout à fait à même de faire passer des messages, se félicite Hubert Besson. Par exemple, il y a deux ans, nous avons traité du baptême citoyen, un sujet peu connu. Nous avons aussi parlé du don du sang. Ce genre d'histoire B a un impact sur le comportement des téléspectateurs. Cependant, nous devons faire ça avec beaucoup de modération, avec un grand sens civique, parce qu'on sait qu'il y aura une répercutions sur nos téléspectateurs.» Le «sens civique» sous-entend aussi d'arrondir les angles au maximum. Impossible d'asséner des vérités trop pénibles à la ménagère et à sa famille à l'heure du dessert.

«On peut parler sérieusement de problèmes sociétaux, mais il faut toujours qu'on raconte une histoire, explique George Desmouceaux. Que l'on parle de l'adoption par les homosexuels, du racisme, de l'avortement ou autre, ce sera toujours à travers une histoire.» «Nous n'avons pas la prétention d'être le journal télévisé, renchérit Hubert Besson. On ne peut pas montrer d'images de guerre. On peut parler d'un attentat, mais seulement sur son côté sentimental, sur la tragédie, pas sur un type qui se fait exploser. Nous sommes dans la réalité sociale, mais avec un prisme. La réalité est trop dure. On ne peut pas parler frontalement des gens qui meurent de froid dans la rue. Il faut trouver un angle, via nos personnages, via le feuilleton.»

«Donner la parole»

L'affaire se complique encore quand il s'agit de prendre position. L'histoire de ces trois personnages accusés d'avoir aidés un immigré clandestin constitue un parfait exemple. «Blanche, l'instit de gauche, trouvait ça scandaleux qu'on condamne quelqu'un pour avoir aidé un sans-papiers, alors que Boher, le flic un peu réac, trouvait ça normal... on essaye toujours d'avoir des avis contradictoires», explique George Desmouceaux. «Nous ne sommes pas là pour prendre position, mais pour exposer des points de vue. Nous faisons toujours attention de donner la parole au pour et au contre, sans nous engager définitivement», renchérit Hubert Besson.

Citant les feuilletons britanniques Coronation Street et Eastenders, mais aussi Ken Loach (pour sa capacité à «parler de notre Histoire à travers des personnages», explique-t-il), il conclut, plus modeste: «Pendant longtemps, les références des feuilletons c'était Hélène et les garçon, Cap des pins et Les filles d'à côté... on était dans le glamour, on survolait notre jeunesse dorée sans désir de réalisme. Aujourd'hui, on ne peut plus se satisfaire de ce traitement de la fiction... Il est possible que dans dix ans, si nous n'arrivons pas être plus réactif à l'actualité, on devienne nous aussi ringards.»

En attendant, malgré toutes ces contraintes, le politiquement correct et les litres de sirop et de drame versés, Plus belle la vie propose une base sociale vraisemblable, généralement absente des séries françaises au long court. On est loin du documentaire mais, si l'on oublie les meurtres, les disparitions et les improbables histoires du Mistral, cette vie-là n'est pas si éloignée de la notre...

Pierre Langlais

Image de une: Plus Belle la vie DR.

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