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En dégradant le soft power américain, Trump ouvre une brèche aux autres grandes puissances

Temps de lecture : 5 min

Sa manière d'être, sa politique intérieure et ses choix internationaux obscurcissent l'aura des États-Unis à l'échelle mondiale.

Donald Trump intervient lors de l'annonce d'une subvention destinée à un programme de lutte contre la drogue, le 29 août 2018 à la Maison-Blanche. | Mandel Ngan / AFP
Donald Trump intervient lors de l'annonce d'une subvention destinée à un programme de lutte contre la drogue, le 29 août 2018 à la Maison-Blanche. | Mandel Ngan / AFP

On résume bien souvent le soft power au seul domaine culturel. Or, Joseph Nye, inventeur du concept, précise bien que le soft power se rapporte d’une manière générale à la capacité de séduction d’un pays. Cela peut concerner la culture (les séries et le cinéma hollywoodiens apparaissent comme l’alpha et l’oméga en la matière), le sport (on peut penser notamment au Qatar et à ses investissements dans le domaine), mais aussi les politiques publiques, qu’il s'agisse de politique extérieure ou intérieure.

Sur ce dernier point, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’activité de Donald Trump ne se présente pas spécialement comme un atout. Joseph Nye écrit d’ailleurs que la majeure partie du soft power américain a été produit par Hollywood, Harvard et Michael Jordan. Donald Trump a régulièrement affiché son mépris pour les deux premiers et s’est disputé publiquement sur Twitter avec le successeur du troisième, Lebron James. Que ce soit au sujet de la puissance ou d’autre chose, le «soft» n’est visiblement pas ce qui caractérise l’actuel président des États-Unis.

Si le soft power a le vent en poupe, il semble néanmoins difficile de mesurer ses effets avec précision. Le but du soft power est en fait de créer une représentation positive du pays dans l’opinion publique des autres pays, ce qui incitera davantage le gouvernement récepteur à adopter des arbitrages favorables au pays émetteur. Lorsque cette représentation est négative dans l’opinion d’un pays, le gouvernement dispose de moins de marge de manœuvre pour agir favorablement à son égard.

Joseph Nye prend ainsi l’exemple du refus de la Turquie d’autoriser des avions américains à survoler son espace aérien au moment de la guerre en Irak. Bien que proche allié des États-Unis, le gouvernement turc n’avait d’autre choix que de refuser cet accès à son espace aérien, tant la décision d’intervenir en Irak était mal perçue en Turquie.

La recherche permanente du rapport de force

Donald Trump prouve par ses choix que la séduction des autres opinions publiques n’est pas un objectif. Les seules personnes qu’il entend séduire, c’est son électorat, avec son fameux slogan qui lui sert de colonne vertébrale politique et diplomatique: «America First».

Là où Barack Obama mettait souvent en avant son aura et son charisme, notamment à destination des opinions publiques, et cherchait les compromis diplomatiques, Donald Trump joue ouvertement et systématiquement le rapport de force. On le mesure à propos des dossiers coréen et iranien, mais aussi à l’égard de ses alliés, comme l’UE ainsi que le Mexique et le Canada au sujet de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena).

La seule nation où son soft power semble avoir un effet positif est Israël.

La manière d’être de Donald Trump, sa vulgarité, ses déclarations à l’emporte-pièce, ses positions politiques pro-armes, sa décision de séparer les enfants migrants de leurs parents donnent une mauvaise image des États-Unis dans le monde. Ses choix internationaux, comme le retrait de l’accord de Paris sur le climat, nuisent clairement à son image.

Certains aspects de la législation américaine, comme celle sur les armes ou la peine de mort, ternissaient déjà quelque peu l’image de l’Amérique dans le monde. Avec Donald Trump, ces aspects négatifs occupent non seulement le devant de la scène, mais apparaissent d’autant plus néfastes qu’ils s’inscrivent dans une perspective unilatéraliste et isolationniste.

La seule nation où son soft power semble avoir un effet positif est Israël, notamment avec la décision, qui les concerne directement, de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem. Mais peut-être mise-t-il davantage sur la capacité de séduction de la force américaine qu’il entend restaurer, autrement dit le soft power du hard power américain?

Une perspective isolationniste pénalisante

Donald Trump, par sa perspective isolationniste et l’extrémisme de ses choix, peut considérablement abîmer le potentiel du soft power américain. Et ce d’autant plus qu’il use et abuse du rapport de force à l’égard des plus proches alliés des États-Unis.

Bien sûr, on ne résumera pas ce pays à Donald Trump. Et s’il n'effectuait qu’un mandat, cela ne constituerait qu’une parenthèse dont les effets se résorberaient rapidement –sous réserve d’avoir un successeur plus ouvert, tout de même.

Mais s’il venait à se faire réélire, les conséquences seraient très négatives pour les États-Unis sur le long terme. Notamment parce que d’autres acteurs pourraient combler ce vide.

Emmanuel Macron l’a d’ailleurs bien compris et a tenté de s’immiscer dans cette brèche avec son fameux slogan «Make Our Planet Great Again». Une grande part de l’effort diplomatique du président français mise ainsi sur le soft power basé sur sa capacité de séduction visant à le présenter comme le leader du monde occidental en remplacement du président américain.

À l’échelle du monde, la concurrence de la Chine se fait déjà jour. Alors certes, sa vision des droits humains et de la démocratie en rebute plus d’un, mais on ne peut pas dire que Trump brille particulièrement dans le domaine non plus. De plus, la Chine applique, elle, consciencieusement l’accord de Paris. Un élément non négligeable à l’heure où le défi climatique a semblé donner forme, pour la première fois, à une communauté internationale et où la prise de conscience des opinions publiques est réelle.

À travers le monde, l’exemple chinois a en outre déjà montré que l’on pouvait se développer sans adopter nécessairement le modèle démocratique occidental. Ce que n’ont pas manqué de noter quelques autocrates. La culture chinoise, millénaire, jouit également d’un attrait certain, même si elle n’a pas forcément la dimension populaire de sa concurrente américaine.

Un soft power aux assises encore solides

Il convient toutefois de nuancer: la Chine et la France d’Emmanuel Macron sont encore loin d’égaler la puissance du soft power américain. Joseph Nye explique ainsi que le soft power d’un pays repose principalement sur sa culture, ses valeurs politiques et sa politique étrangère. Heureusement, donc, pour les États-Unis, que la majeure partie de leur soft power ne dépend pas de Donald Trump.

Elles sont le fait, comme le dit Nye, de leur industrie culturelle, de leur système d’universités et de leurs stars de NBA. On pourrait ajouter également ses industries innovantes, avec des figures de proue comme Steve Jobs, Bill Gates ou Elon Musk.

On pourrait aussi évoquer le mythe au cœur des valeurs américaines: le rêve américain, cette possibilité de partir de rien et d’arriver au sommet de la hiérarchie sociale.

Si les séries s’internationalisent et que de bonnes sont produites à travers le monde, les États-Unis demeurent de loin la référence, tout comme Hollywood s’agissant de la production cinématographique.

Si les assises du soft power américain sont solides, la part du politique est vacillante. Ce qui laisse une opportunité intéressante pour des acteurs comme la Chine, la France, et pourquoi pas l’Union européenne.

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