S’il vous est déjà arrivé de pleurer au travail, vous vous êtes sans doute senti mortifié –et vous ne vous êtes probablement pas rendu compte à quel point vous n’étiez pas seul à vivre ce genre de situation. Si nous avons tendance à penser que les larmes n’ont pas leur place au bureau, la réalité est qu’un tas de gens pleurent au travail. Ce qui ne devrait pas être si surprenant que ça. Le travail peut être frustrant, souvent plein de déceptions et d’émotions fortes, et une foule de personnes sont extrêmement investies émotionnellement dans leur carrière. Or, on nous a aussi inculqué que faire preuve de «professionnalisme» signifiait ne pas montrer certains types d’émotions, et fondre en larmes peut sembler en totale dissonance avec l’image calme et lisse que la plupart des gens veulent donner d’eux-mêmes.
Voici le témoignage d’une lectrice qui a écrit à ma rubrique «vie au travail», et qui se demande comment se remettre, professionnellement, après avoir pleuré devant sa patronne:
«Toute notre équipe est submergée de travail. Nous avons trop de projets et tournons en surrégime. La direction en est consciente et œuvre à recruter de nouvelles personnes, tout en passant son temps à nous remercier pour notre travail. Je signale ma surcharge de travail à ma supérieure toutes les semaines. Elle compatit, et elle ne cesse d’essayer de me soulager un peu, mais tant que nous n’aurons pas de nouvelles recrues, ce sera comme ça.
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La semaine dernière, une erreur a été commise dans un projet, avec des conséquences graves. J’aurais dû remarquer cette erreur, mais j’allais tellement vite et j’étais tellement ensevelie sous des montagnes de travail que je n’ai rien vu. Personne ne me reproche rien, mais je me sens toujours très mal.
Pendant un point avec ma boss cette semaine, je me suis effondrée. Elle a été prise de court et a tenté d’être aussi compréhensive que possible –désolée de ma surcharge de travail, elle a tenté de trouver une solution pour l’alléger un peu, etc. Mais je me sens affreusement mal. Ce n’était pas professionnel de ma part et je crois que ça prouve que je ne suis pas capable de diriger une équipe et/ou ce volume de travail. Comment me sortir de là?»
S'excuser ou se faire oublier?
Cette incertitude sur la manière de se remettre professionnellement après une crise de larmes est une inquiétude courante. En voici une autre:
«J’ai pleuré devant ma patronne pendant notre entretien individuel hebdomadaire hier. J’ai eu des retours sur ce qu’il fallait que je fasse pour m’améliorer et elle m’a dit que je n’étais toujours pas arrivée là où elle m’attendait après deux semaines de feedback plutôt neutre mais accompagné de la sensation que je la stressais de plus en plus.
Je n’ai pas eu ce genre de retours très souvent dans ma vie, parce qu’en général je travaille bien, mais c’est arrivé. En revanche, c’est la première fois que je me mets à pleurer. D’habitude je me tais, je hoche la tête, je prends des notes et j’y repense plus tard.
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Mais hier, je me suis mise à pleurer sans pouvoir m’arrêter. Je crois que c’était presque de soulagement de savoir ce qu’ils attendaient de moi, combiné à un peu de surprise et de peur. Je sais que j’aurais dû prendre congé ou serrer les dents. J’ai l’impression qu’elle était bienveillante, mais ça n’en reste pas moins une situation délicate pour elle et je ne veux pas que ça ait des répercussions négatives sur mon avenir (si c’est possible).
Étant donné que je n’ai pas de machine à remonter le temps, est-ce qu’il vaut mieux que je m’excuse auprès de ma boss ou est-ce qu’elle préfèrerait qu’on fasse comme si je n’avais jamais pleuré?»
«Ça vous dérange si je sors deux minutes boire un verre d’eau?»
La plupart des boss comprennent parfaitement que les émotions peuvent être à fleur de peau au travail et que le stress ne fait que les intensifier. Certes, personne n’a envie de se mettre à sangloter à la moindre réflexion, mais une seule petite crise de larmes ne va pas détruire votre réputation. Ceci dit, il vaut mieux reconnaître qu’elle a existé plutôt que de faire comme s’il ne s’était jamais rien passé. Sur le moment, vous pouvez dire quelque chose comme «Je suis désolé, je suis plutôt stressé par cette histoire. Mais je veux continuer à en parler». Ou «Je ne sais pas pourquoi, mais ça me touche beaucoup. Est-ce que ça vous dérange si je sors deux minutes boire un verre d’eau?»
Si vous n’en avez pas parlé sur le moment, plus tard vous pouvez dire quelque chose comme: «Je suis un peu gêné d’avoir réagi si intensément hier, et j’espère que vous voudrez bien m’excuser. Je tiens à vous dire que j’ai vraiment apprécié cette conversation et que je réfléchis aux points que nous avons abordés.» Cette dernière partie est importante pour que votre supérieur ne s’inquiète pas à l’idée que vous n’ayez pas enregistré tout ce sur quoi portait la discussion ou qu’il va falloir qu’il se prépare à affronter une crise de larmes chaque fois qu’il abordera un sujet sensible avec vous. Votre hiérarchie appréciera que vous vous adressiez à elle de cette manière, ce qui vous permettra de mettre cet épisode derrière vous et de continuer comme avant.
Larmes chroniques
Ceci dit, il est indéniable que pleurer de façon chronique au travail peut être un réel problème, car cela peut être perturbant et conduire les gens à hésiter à aborder la moindre difficulté avec celui ou celle qui a le débordement lacrymal trop facile. En voici un témoignage, côté manager:
«J’ai une employée qui pleure très souvent (plus d’une fois par semaine). Chaque fois qu’il se produit une petite chose qu’elle perçoit comme un affront ou qui ne va pas dans le sens qu’elle aurait voulu, elle se met à pleurer et à protester qu’elle est victime d’injustices. Même pendant des réunions d’équipe neutres où nous abordons des sujets apparemment sans importance, c’est presque constamment un problème. Cela pousse les autres employés à se sentir manipulés et persécutés. J’ai essayé toutes les réactions qui me sont venues à l’esprit, et j’ai probablement été bien trop patient avec ce qui est devenu une sérieuse perturbation dans notre société.»
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Contrairement aux exemples précédents, les pleurs de cette personne interfèrent dans le cours normal du fonctionnement de l’entreprise. Dans un cas comme ça, la manager doit se concentrer moins sur le professionnalisme que sur la manière dont les crises de larmes affectent le travail. Par exemple: «Des réactions aussi excessives et fréquentes nous empêchent de poursuivre normalement notre travail. Que pourriez-vous faire pour que votre réaction n’interfère pas avec les tâches que nous devons réaliser?» Il y a un stade où il est raisonnable de considérer qu’une «attitude calme et professionnelle» est une qualité aussi légitimement requise qu’une autre dans le cadre de l'emploi.
Subtilité et empathie
Mais il s’agit là d’un exemple extrême. Pour la grande majorité des gens qui pleurent au travail, c’est un épisode rare, pas une habitude hebdomadaire. Et dans ces cas-là, la ligne de conduite la plus bienveillante pour un manager consiste à accepter que nous sommes humains et que parfois, les larmes coulent. On peut tout à fait dire gentiment: «Je vois que vous êtes contrarié. Voudriez-vous prendre quelques minutes de pause?» ou bien imiter la supérieure de cette lectrice:
«J’étais extrêmement stressée pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec mon travail (candidature à l’université, problèmes familiaux, et ma boss était au courant pour les deux). À un moment pendant notre réunion bihebdomadaire, mes yeux ont commencé à s’embuer un peu. Qu’a fait ma boss? Elle ne m’a PAS posé de question –demander «Est-ce que ça va?» ou «Qu’est-ce qui se passe?» sont les meilleurs moyens de faire perdre le contrôle à quelqu’un qui essaie désespérément de le garder. Au lieu de ça, elle s’est mouchée (comme ça je savais où étaient les mouchoirs) et a annoncé qu’elle avait envie de faire pipi et est-ce que ça me dérangeait de l’attendre quelques instants dans son bureau? Sa petite astuce m’a donné les trente secondes dont j’avais besoin pour me remettre, tout en reconnaissant que parfois, on peut être submergé par ses émotions sans en faire toute une histoire ou que ça me fasse passer pour quelqu’un qui manque de professionnalisme, et elle, ça l’a montrée sous un jour exceptionnel. Que demander de plus?»